MONTRÉAL – Les conditions exceptionnelles dans lesquelles a été disputée la saison 2020 de la MLS sont un facteur important à considérer lorsqu’on se lance dans l’évaluation du travail de Thierry Henry à sa première année à la barre de l’Impact. Mais elles n’excusent pas tout et ne devrait pas être utilisées pour absoudre le jeune entraîneur de tout blâme.

C’est le constat qui se dégage d’un entretien avec Valerio Gazzola, Sandro Grande et John Limniatis, trois entraîneurs et anciens membres de la grande famille de l’Impact qui ont accepté de se prêter à l’exercice lorsque joints par RDS.

« C’est un peu difficile de faire le bilan de la saison de Henry parce que c’est une saison sans précédent. C’est une année difficile à juger, reconnaît d’emblée Limniatis, qui a lui-même dirigé l’Impact en 2008 et 2009. En même temps, l’équipe n’a pas bien fait, d’après moi. C’était moyen. Oui, elle a réussi à faire les séries, mais dans une année normale... Peut-être qu’elle aurait mieux joué, mais une neuvième place n’aurait pas été suffisant. Et l’entraîneur a une responsabilité là-dedans. »

« On n’a pas tout vu et on ne peut pas tout juger sur Thierry Henry à la suite de cette saison, lui fait écho Gazzola, qui a dirigé l’Impact pendant six saisons entre 1994 et 2001. C’était une saison difficile pour tout le monde. Mais d’un autre côté, il faut être honnête. On ne peut pas être tout à fait satisfait avec la saison que l’Impact a connue. »

« Henry n'a pas soutiré le meilleur de son équipe »

L’avenir semblait rose pour la version pré-pandémie de l’Impact. En février, Henry a rempli avec brio son premier mandat avec sa nouvelle équipe en la qualifiant pour les quarts de finale de la Ligue des champions de la CONCACAF. Le championnat MLS a ensuite débuté sur une note positive : une victoire de 2-1 contre la Nouvelle-Angleterre, puis un nul encourageant sur le terrain du FC Dallas. Puis, juste avant l’arrêt de la saison, petit retour à la réalité contre le CD Olimpia au Stade olympique.

L’Impact a peiné à reprendre son élan à la reprise des activités. Au tournoi MLS is Back à Orlando, Henry a multiplié les expériences dans l’élaboration de son XI partant. Des joueurs ont été placés dans des positions inhabituelles, des déploiements tactiques ont soulevé des questionnements. Les résultats ont été mitigés.

« Toute la saison, on parlait de [Samuel] Piette, de [Shamit] Shome qui n’étaient pas dans leur position naturelle. Regarde, l’entraîneur est là, il va prendre des décisions, il va faire des choix. Des fois, ça va être bon, d’autres fois ça ne va pas bien aller, défend Grande, un ancien joueur qui est aujourd’hui directeur technique du club de soccer des Étoiles de l’Est à Montréal. On regarde Pep Guardiola à Manchester City, à un certain moment il n’avait plus de défenseur central, il a mis Fernandinho et ça a bien fonctionné. [...] Il y a des choix à faire. Après ça, la responsabilité repose sur les épaules de l’entraîneur et je pense que Henry ne s’est jamais caché derrière quoi que ce soit. Il a pris ses responsabilités et c’est tout. »

Gestion du banc déficiente

L’Impact a ensuite repris le boulot en entreprenant une série de six matchs contre ses rivaux canadiens. Neuf joueurs ont été titularisés pour l’entièreté d’une première séquence de trois matchs en huit jours au cours de laquelle Henry a effectué un total de sept substitutions sur les 15 auxquelles il avait droit. Une semaine plus tard, dans des circonstances similaires, la même formule a été reprise à la virgule près.

Cette réticence de Henry à faire rouler son effectif allait devenir son modus operandi et le principal clou sur lequel allait frapper ses critiques au cours des semaines suivantes.

« Henry aurait pu mieux utiliser son banc »

« Là-dessus, je suis d’accord. Je pense qu’il aurait pu utiliser son banc un peu plus, affirme Grande. Avec la COVID, il y avait beaucoup de voyages et pas beaucoup d’entraînement. Ça, c’est un challenge en soi. En plus, tu es toujours en train d’utiliser les mêmes joueurs. Je crois que [Victor] Wanyama a joué toutes les minutes. [Rod] Fanni, au moment où il s’est blessé, je crois qu’il avait joué trois ou quatre matchs de suite. Il a quand même 38 ans. Je pense qu’il pouvait mieux les utiliser. »

« D’après moi, ça montre qu’il n’avait pas confiance en certains joueurs, interprète Limniatis. Il y avait 12 à 13 joueurs qui avaient vraiment sa confiance. C’était une erreur parce qu’à la fin, on l’a vu, sans Piette et sans Wanyama, ceux qui devaient les remplacer n’étaient pas prêts pour à en donner plus. C’est une question de gestion : il faut donner quelques minutes à certains joueurs, que l’équipe aille bien ou non, au cas où tu en aurais besoin plus tard dans la saison. Pour moi, il n’a pas assez bien utilisé son banc et j’espère que ça sera une leçon pour lui afin qu’il gère la situation un peu mieux dans l’avenir. »

« Henry n'avait pas confiance en certains joueurs »

Gazzola se joint au débat avec un argument non-négligeable. « S’il croyait sincèrement qu’il valait mieux avoir des joueurs à 80% pour aller chercher des points plutôt que de joueurs à 100% qui risquent de perdre des points, ça te dit quelque chose sur la qualité de son effectif. Et ça, c’est lui qui en est plus conscient que n’importe qui parce que c’est lui qui le vit. »

Le manque de talent n’excuse toutefois pas tout. Gazzola cite en exemple une situation comme celle qui s’est produite le 20 septembre contre l’Union de Philadelphie. Même si l’Impact est tombé en déficit de trois buts à la 65e minute, Henry a gardé deux changements dans sa poche plutôt que de disperser les minutes dans une cause perdue.  

« Fais entrer des joueurs qui ont peu joué et donne leur du temps de jeu pour qu’ils restent à point dans le but de mieux se préparer pour les prochains matchs. Encore une fois, ce n’est pas une critique. C’est un constat qu’on observe sans connaître le contexte », note Gazzola.

Une nouvelle identité

Même avec un groupe au talent limité, Henry a trouvé le moyen d’installer ses principes et de le modeler à son identité. L’Impact, qui avait adopté une approche résolument conservatrice sous les ordres de Rémi Garde, a migré vers une philosophie qui valorisait la possession du ballon et la prise de risques. « Soyez braves », demandait Henry à ses joueurs, sa façon de leur dire de jouer vers l’avant sans craindre de faire des erreurs.

L’Impact a assurément été visuellement plus attrayant en 2020, mais les avancées concrètes ont été modestes. Il avait marqué 47 buts en 34 parties (1,38 par match) sous Garde et Wilmer Cabrera. Il en a réussi 33 en 23 parties (1,43 par match) depuis leur départ.

« Il faut trouver des solutions dans le tiers offensif »

« Tu peux voir qu’il essaie de faire quelque chose de différent par rapport au style de jeu et la formation, mais en même temps, si on regarde les performances en général et les points qu’il a gagnés, il n’y a pas eu d’amélioration de ce côté-là, souligne Limniatis. Une chose qui m’a un peu déçu de Henry, c’est que je ne pense pas qu’il ait trouvé une façon d’avoir le meilleur de ses joueurs. Il n’y avait pas de constance. Certains matchs c’était pas mauvais, c’était bien. D’autres matchs, ce n’était pas bien. Le talent c’est une chose, mais j’ai trouvé que l’engagement n’était pas totalement là. »

La métamorphose de l’Impact n’a pas surpris Grande. Quand on bat des records dans des institutions comme Barcelone et Arsenal, on ne laisse pas ses influences à la porte en sortant.

« Quand tu joues pour des équipes comme ça, quand tu vas prendre ta retraite et devenir coach, tu vas vouloir jouer comme ça. Maintenant, être joueur et suivre le plan de Pep Guardiola ou Arsène Wenger, c’est une chose. Là, il faut qu’il le transmette à ses joueurs. Je pense qu’on a vu des matchs où c’était bien, la possession. Maintenant il doit trouver une solution dans le dernier tiers, trouver d’autres façons d’aller vers le but. Je pense qu’ils n’ont pas créé autant d’occasions qu’ils pouvaient et quand tu joues un style offensif, on doit avoir un peu plus d’occasions vers le but. »

Quelles attentes pour 2021?

La première saison de Henry à la barre de l’Impact n’est pas terminée. En décembre, le onze montréalais reprendra où il avait laissé en mars en attaquant la suite de son parcours en Ligue des champions.

Et ensuite? De nombreuses questions demeurent sans réponse quant aux conditions dans lesquelles sera jouée la saison 2021 de la MLS, particulièrement pour ses trois clubs canadiens. Henry sera-t-il intéressé à revivre un tel scénario? L’Impact devra-t-il se chercher un nouvel entraîneur pour la huitième fois depuis son passage en MLS?

Sandro Grande, qui déplore les départs précipités d’entraîneurs qualifiés comme Jesse Marsch et Marco Shällibaum, est de ceux pour qui un peu de stabilité serait bienvenue.

« Quand on a un plan, on doit être patient. Je suis Italien. En Italie, ils changent d’entraîneurs comme ils changent de vêtements à chaque jour. C’est trop et ça devient trop risqué Tu amènes une autre personne, c’est un autre message, peut-être une autre philosophie de jeu et ça prend toujours du temps à installer, au moins deux, trois ans. Il faut donner du temps. »

« Même s’il n’a rien fait jusqu’à maintenant comme entraîneur, j’espère qu’il va rester, se positionne Limniatis. Je pense qu’il a besoin d’une autre année pour appliquer ses choses. Ce que j’aime le plus de lui, c’est qu’il doit encore prouver qu’il est un bon entraîneur, alors il va faire tout faire pour y arriver. C’est une bonne motivation pour lui. Mais j’espère qu’il a appris certaines choses et qu’il ne se contentera pas de continuer comme il faisait. Qu’il ajuste un peu les choses parce que ça ne marche pas. Honnêtement, ça ne marche pas très bien pour lui comme entraîneur. »

Gazzola, lui, laisse un peu moins de corde à Henry. Selon lui, c’est surtout sur le siège du directeur sportif Olivier Renard que l’Impact a besoin de stabilité. Si Henry ne fournit pas les résultats attendus, il doit être jugé en conséquence.

« Quand tu vois que Nashville et Miami ont fait aussi bien que l’Impact et viennent de commencer, on ne peut pas dire qu’il faut être patient et qu’on va donner une chance de bâtir. Au contraire! On est dans une ligue où les résultats doivent être au rendez-vous dès aujourd’hui. On veut construire tout en allant chercher des résultats et les deux peuvent se faire.

« Cette année on a fini neuvième, ok. Est-ce que l’an prochain on peut finir cinquième, quatrième? Et dans deux ans, est-ce qu’on peut être premier? Si c’est ça, ça va. Mais on ne peut pas revenir en arrière. Il faut aller chercher des résultats. »