MONTRÉAL – L’Impact? Le Québec? Le fait français? Tout ça ne voulait vraiment pas dire grand-chose à Davy Arnaud, un Texan pur et dur qui venait de passer les dix premières années de sa carrière au cœur du Midwest américain, quand il a été échangé à la nouvelle équipe d’expansion de la MLS en 2011.

Arnaud ne connaissait pas non plus l’homme qui lui a tendu la main lorsqu’il s’est présenté, un bon matin, à l’une de ses premières obligations en tant que membre du onze montréalais, une séance photo qui allait s’étirer jusque tard dans la journée.

Rapidement, Patrice Bernier allait devenir l’un de ses amis les plus chers.

« On a parlé de tout et de rien, de soccer et de bien d’autres choses, se souvient l’ancien numéro 22 du Bleu-blanc-noir. Même si nos parcours étaient différents, on partageait plusieurs expériences similaires. Il m’a parlé en long et en large de Montréal, il m’a éclairé sur tous les petits détails qui faisaient de cette ville un endroit unique. Ça a cliqué immédiatement entre lui et moi. »

Bernier revenait à l’époque d’un exil de dix ans en Europe, mais ses racines n’avaient jamais cessé de s’abreuver au Québec. Ces gens, c’était les siens. Il connaissait leur passion, leurs attentes, leurs points sensibles. Il savait ce que représentait la vie d’un athlète dans un marché aussi unique.

« Encore aujourd’hui, on me demande souvent c’était comment, jouer à Montréal, affirme Arnaud. C’est difficile à expliquer, il faut le vivre pour le comprendre, mais Patrice avait tout fait pour me préparer. Il m’avait dit que c’était un endroit très spécial et il avait raison. Sa présence a été d’une valeur inestimable pour moi parce quand les choses n’étaient pas trop claires, je savais que je pouvais compter sur lui. »

Les deux hommes auraient pourtant pu être comme chien et chat. Bernier était la première grande vedette locale du club, l’enfant prodigue enfin de retour. C’était lui, le visage du club. Arnaud était presque considéré comme une légende du circuit Garber, un joueur étoile et un international américain, un leader respecté aux quatre coins de la Ligue. Mais à Montréal, son nom laissait les partisans de glace.

Bernier aurait été un choix populaire incontesté pour devenir le premier capitaine de l’histoire de l’Impact en MLS. Mais quand l’entraîneur Jesse Marsch l’a pris à l’écart du groupe, vers la fin du camp d’entraînement, c’était pour lui annoncer que c’est à Arnaud qu’il avait décidé de remettre le brassard.

« C’est toujours spécial d’être désigné comme le capitaine d’une équipe, mais j’ai découvert qu’à Montréal, que ce soit avec l’équipe de hockey, de football ou de soccer, c’est un honneur encore plus valorisé qu’ailleurs. J’avais été capitaine à Kansas City, mais le feeling n’était pas le même. Je ne l’ai pas réalisé sur le coup, mais c’est gros, être capitaine à Montréal », met en contexte Arnaud.

« Dans ce contexte, et sachant tout ce que ça représentait pour Patrice, j’appréhendais un peu sa réaction. Mais jamais, même pas pour une seule seconde, il ne m’a fait sentir mal par rapport à ça. Ça n’a jamais été un problème et en tout temps, j’ai ressenti son plein support. Je ne sais pas si je connais un autre gars qui aurait réagi avec autant de classe. Je lui en serai toujours reconnaissant. »

Presque six ans plus tard, Bernier décrit Davy Arnaud comme « le premier capitaine parfait pour l’Impact » et « un gars avec qui j’irais à la guerre n’importe quand ». Quand on lui demande si la décision de Marsch lui avait fait un petit pincement au cœur, il répond sans hésiter par la négative.

« Quand je suis arrivé avec l’Impact, j’avais regardé l’alignement et j’avais identifié les gars qui pourraient être capitaines, relate-t-il. Je ne m’étais pas dit que ça allait être moi. Pratiquement toute l’équipe provenait de la MLS, on n’était que trois ou quatre qui arrivaient de l’Europe. Davy connaissait tout le monde, il connaissait la ligue. Quand Jesse m’a fait part de sa décision, je me suis dit que c’était le choix logique. »

Un leader, avec ou sans brassard

Il faut assister à un entraînement de l’Impact pour bien saisir la place qu’occupe Patrice Bernier au sein du groupe. Sur le terrain du Centre Nutrilait, la période d’échauffement expose généralement les alliances naturelles formées au fil du temps. Les joueurs sud-américains forment un petit cercle pour se délier les muscles, imités pas trop loin par les vétérans francophones. Dans un autre coin, les jeunes issus de l’Académie s’activent et se mettent au boulot.

Bernier, lui, se promène d’un rassemblement à l’autre, faisant quotidiennement le pont entre les origines, les langues et les générations. Arnaud précise que l’absence d’un morceau de tissu à son bras n’a jamais empêché son ancien coéquipier d’exhiber ses qualités de rassembleur et de prêcher par l’exemple. 

« Ça a toujours été sa marque de commerce. Pour être un leader au sein d’une équipe, c’est le genre de personnalité qu’il vous faut et depuis que je le connais, Patrice est comme ça. C’est normal que des cliques se forment, mais les meilleurs meneurs sont ceux qui sont capables de réunir tout le monde et de les pousser vers l’accomplissement d’un but commun. Ça, c’était Patrice. »

Mais Bernier n’était pas revenu au Québec pour être le bon gars de service. Il tenait aussi à contribuer aux succès de l’équipe sur le terrain. Il voulait jouer et à un certain moment, il ne jouait plus, Marsch jugeant que l’équipe était mieux servie sans lui. Dans une récente confidence qu’il a signée sur le site de Radio-Canada Sports, Bernier a admis qu’il avait alors songé à tout lâcher et à retourner en Europe, où il se savait désiré.  

« Il n’a jamais rien dit à ce sujet, assure Davy Arnaud. Ce que je sais, c’est que si son mécontentement avait transpiré, ça aurait assurément affecté l’équipe et ça, ce n’était pas son genre. En tout cas, je suis content qu’il n’ait pas pris cette décision et quand je regarde ce qu’il a accompli depuis, quelque chose me dit que je ne suis pas le seul! »