Il n’y a pas si longtemps, on se demandait encore quelle trame narrative la saison de l’Impact allait emprunter. Après douze matchs disputés, l’intrigue est peut-être toujours en train de se développer, mais c’est clairement le scénario du film catastrophe qui est en train de l’emporter. Et comme à d’autres moments durant les 25 dernières années, la panique et la frustration semblent prendre les commandes d’une organisation qui n’est jamais à l’abri d’une nouvelle remise en question.

Parlant sous le coup de l’émotion à l’issue de la défaite des siens lundi contre un LA Galaxy amoindri, le président Joey Saputo aura réussi à secouer les colonnes du Stade Saputo d’une manière qui aura résonné encore plus fort dans la communauté que lors de sa fameuse visite dans les vestiaires une semaine plus tôt. Doit-on pour autant déduire que les déhanchements de Piatti dans HoMa seront bientôt chose du passé?

« Je ne suis pas content de la situation où l’on est présentement », déclarait-il au micro du collègue Jeremy Filosa. Contrairement à la saison 2017 où le sort d’un Mauro Biello s’était vraisemblablement scellé dans l’esprit du président dès le milieu de l’été, le désir de changement est cette fois promis en toute transparence: « on doit bouger. Je suis quelqu’un de compétitif (…) Je ne laisse pas tomber les bras ».

Si le discours du président s’était arrêté là, il y aurait peut-être plus d’espoir que d’inquiétude chez les partisans. Parce qu’en laissant entendre que l’argent consenti pour un joueur désigné comme Piatti pourrait être mieux investi s’il était réparti sur trois joueurs se divisant son salaire actuel, on provoque une réaction forte chez le fan « ordinaire ». À vrai dire, un Impact sans Nacho, pour la grande majorité des amateurs, ça n’a tout simplement pas la même saveur. C'est bien connu, dans l’effectif stérile du onze montréalais, Piatti est le seul artiste encore capable de magie...

Désir d’être plus intelligent

Mais quand Saputo s’interroge sur la pertinence de ses dépenses et qu’il en vient au constat que pour suivre la cadence en MLS, il faut utiliser son argent plus intelligemment, disons avec confiance qu'il se range dans le camp des lucides. Et comme on vient tout juste de balancer par la fenêtre le tabou entourant l'échange de Piatti, aussi bien considérer ce que l’Impact pourrait y gagner - si bien sûr on peut parler de gagner, une rareté cette année.

Que ça ait fait partie de la vision qu’on avait pour 2018 ou pas, l’attaque montréalaise dépend beaucoup trop de son joueur désigné. Même si Piatti marquait vingt fois d’ici à la fin de l’année, on peut sérieusement douter des chances de l’Impact d’atteindre les séries. Évidemment, vous me direz que c’est une hypothèse qui ne fait pas état de la production des autres autour de lui. Or, l’une des faiblesses de l’animation offensive montréalaise depuis l'arrivée de Rémi Garde, c’est le manque de chimie entre Piatti et ses coéquipiers. Et ce n'est pas un simple replacement sur la gauche qui va tout régler.

En fait, le problème ne date pas d'hier. Qu’il en plaise ou non aux inconditionnels du génie venu de San Lorenzo, Nacho a rarement retrouvé avec un partenaire l’entente éphémère qu’il avait développée à son arrivée avec Di Vaio. Malgré de bons résultats pour l'Impact en 2015 et 2016, la cohésion sur le terrain avec Drogba aura toujours été plutôt tiède. Et si Oduro, Dzemaili et Mancosu ont chacun pu bénéficier du service de Piatti, pour différentes raisons, ils ne sont plus en mesure de former avec lui un duo dynamique. À vrai dire, il manque une muse pour inspirer notre Argentin au sein de l’effectif actuel.

Dans un monde idéal, on jumellerait donc Piatti avec un numéro 9 qui lui plaît, mais avant même de parler de budget, on peut se demander si l’Impact a bien défini les critères du profil qu'il faudrait rechercher? Qui parle en dernier dans ce dossier? Garde? Saputo? Braz? De Santis? Piatti? Et même s’il y avait un joueur dans les tuyaux, l’acquisition d’un 9 compatible avec Nacho suffirait-elle à masquer les carences tout aussi criantes en défense et au milieu?

Modèle et décision

Bien que le pincement au coeur soit douloureux quand on évoque la possibilité d’une transaction impliquant Piatti, on ne peut pas rester indifférent à l'idée d’étoffer l’équipe de Rémi Garde de renforts à chacune de ses lignes. Quand Joey Saputo parle de remplacer un joueur payé 6 millions par des joueurs payés entre 1 et 2 millions, peut-être s’inspire-t-il du modèle maintes fois cités des Red Bulls de New York? À titre d'exemple on parle ici d'un attaquant: Bradley Wright-Phillips 1,6M$; des milieux Marc Rzatkowski 976K$ et Kaku 709K$. À noter qu'en défense, Tim Parker ne gagne que 115K$ cette saison, mais on aura dépensé beaucoup d'argent d'allocation pour faire son acquisition.

Or, le principal ennui, c’est que de demander à l’Impact de recruter trois fois, ça augmente les risques de se tromper par trois. D’autant plus que les ratés sont nombreux en MLS dans la catégorie de joueurs désignés ou TAM « bon marché ». Si c’est pour amener à Montréal des Dockal, Katai, Gashi ou Vako Qazaishvili, autant se croiser les doigts et continuer à croire au miracle dont est capable Piatti. (Là, vous seriez supposés répondre: Oui, papa! https://www.youtube.com/watch?v=huzOHxjMDxk)

Au final, Joey Saputo ne fait plus de secret de sa frustration. Les crochets de trop de Nacho sont sans doute plus difficiles à digérer depuis que son salaire a augmenté. Et que dire du prix de chaque point au classement quand on pense que le personnel technique le mieux payé de l'histoire de l'organisation soit celui qui obtienne le pire début de saison. La sensation d'humiliation est d'ailleurs exacerbée par le fait que les choses ne semblent pas plus roses à Bologne: son autre propriété.  

Dans ces circonstances, on a l'impression que Saputo doit décider si Montréal est dorénavant trop petit pour Nacho Piatti et Rémi Garde. D’une certaine manière, c’est par rapport au plan de recrutement présenté par Garde que le président devra prendre une décision. S’il croit encore à la capacité de son entraîneur de bâtir une équipe gagnante dans le circuit Garber, Saputo a tout intérêt à le laisser faire les changements annoncés. Toutefois, s’il remet en doute le travail de Garde, on se demande bien ce qu’on gagnerait à sacrifier son joueur désigné. Parce que des montants de TAM et de GAM, ce ne pas ça qui nous assure des victoires et des gradins bien remplis…

« On a l'opportunité de changer les choses »
« Il manque beaucoup de justesse dans le dernier geste »