Il y avait une grande sérénité dans les paysages brûlés de Monument Valley où je prenais quelques jours de liberté après une année chargée et avant un été qui le sera tout autant. Les buttes et les mesas se découpaient dans un ciel si bleu qu’il paraissait irréel. Quand les sabots de mon cheval accrochaient une roche, un son clair se faisait entendre, comme une note de musique qui s’échapperait d’un piano. Au-dessus de moi, un aigle semblait glisser sous les nuages et, malgré la distance, je pouvais sentir son regard aiguisé traquant une possible proie. Alors que je m’imprégnais de l’atmosphère de ce désert du pays navajo, j’étais loin de me douter qu’à l’autre bout du continent, mon amie Liliane Lacroix quittait ce monde pour un ailleurs inconnu.

Je n’ai appris son décès qu’à mon retour et encore à ce jour, au moment d’écrire ces lignes, il me paraît très irréel. J’ai connu Liliane au début des années 1980, au moment où j’amorçais ma carrière de commentatrice de sports. Notre amitié s’est tissée sur un fond de boxe, alors que nous couvrions les longs week-ends des Gants dorés, elle pour La Presse, moi pour TVSQ, précurseur de RDS. Liliane était déjà une spécialiste alors que j’avais tout à apprendre. Elle fut une guide précieuse, partageant généreusement ses connaissances et jetant les bases d’une amitié qui allait durer jusqu’à ce qu’elle parte trop vite, laissant familles et amis dans un deuil pétrifié.

On a dit de Liliane qu’elle était une main de fer dans un gant de velours, ce qui la décrit très bien. Véritable précurseure dans le domaine du journalisme sportif, elle a eu des barrières à briser, ce qu’elle a toujours fait élégamment, sans éclats ni esclandres, mais avec fermeté et détermination. Alors que j’entrais dans les vestiaires, escortée d’un régisseur, d’un caméraman et parfois d’un audioman, elle n’était armée que d’un carnet et d’un stylo, ce qui rendait les rapports de force moins évidents… Elle arrivait à ses fins, sachant exiger ce qui était possible, comme rencontrer les athlètes dans une chambre à part, hors du vestiaire populeux et malodorant, et finissait même par y trouver un avantage. Les athlètes aimaient se confier à elle.

Liliane Lacroix a été une journaliste prépondérante dans le monde du sport amateur où elle était grandement appréciée. Les Jeux du Québec ont évidemment fait partie de sa feuille de route de même que les championnats panaméricains de tir à l’arc tenus à Joliette dans les années 1980, où elle a été touchée par une flèche inattendue…y rencontrant celui qui allait devenir le père de ses deux filles, Audrey et Évelyne.

Liliane s’investissait complètement dans ses dossiers. Elle riait en racontant cette anecdote où, voulant interviewer Roberto Duran, elle s’était mise à l’espagnol. Elle avait abordé la rencontre en disant « Estoy un poco embarrazada… » Devant l’air interloqué de Duran et de sa suite, elle a vite compris qu’en espagnol, le terme ne veut pas dire « embarrassée » mais plutôt « enceinte »…

Au fil des années, notre amitié s’est solidifiée même si nos carrières se sont un peu éloignées quand elle a quitté les sports pour « aller faire autre chose ». Elle s’est mise à couvrir de grands dossiers au général, mettant à contribution sa très belle plume, sa curiosité insatiable, son esprit d’analyse et sa créativité. À l’heure de la retraite, Liliane a continué à s’engager dans le sport amateur, suivant le sillon de sa fille Audrey dans la nage synchronisée où elle s’est impliquée aux niveaux local, régional et provincial. Elle a aussi signé la biographie de Sylvie Fréchette, « Sylvie Fréchette sans fausse note » parue aux Éditions de l’Homme en 1993.

Puis elle a laissé les engagements contraignants, bien décidée à voyager et profiter de cette retraite méritée. Encore à l’automne dernier, elle est allée découvrir le Costa Rica en solitaire et en est revenue le cœur et les yeux pleins d’étoiles. Elle vivait avec un grand bonheur son récent statut de grand-mère et sa fierté envers ses filles illuminait constamment ses propos. Avec Michelle Gendron, directrice des communications de Sports-Québec, nous refaisions régulièrement le monde, dans des « dîners de filles » où nous échangions souvenirs et potins sur nos connaissances communes, avec entrain et bonne humeur en trinquant à l’amitié qui nous unissait et aux projets de chacune d’entre nous.

Liliane laisse un grand vide derrière elle. Son décès nous a tous pris par surprise et chacun de ceux qui l’ont connue est resté secoué par son annonce. Il y aura même eu des remous au Mexique où elle avait séjourné dans ma belle-famille, y laissant un souvenir empreint d’affection. On ne pouvait s’empêcher d’aimer Liliane Lacroix.

Ce fut un retour de vacances brutal, douloureux. Et aujourd’hui je ne peux m’empêcher de penser que ce mercredi 27 avril, alors que les silhouettes torturées des rochers rouges de Monument Valley m’entouraient, c’était peut-être l’esprit de Liliane qui planait au-dessus de moi, dans cet aigle solitaire qui montait toujours plus haut vers le ciel. Liliane dont il sera impossible d’oublier la mémoire, Liliane dont l’amitié a maintenant une saveur d’éternité.