* Cette série d'articles sur l'alpinisme est présentée en partenariat avec Jeep ®

Vous êtes fin prêt pour un trek en altitude. Équipement, organisation et entraînement : vous avez perfectionné la technique en multipliant les expériences en montagne. Mais vous n’avez encore jamais vécu les conditions particulières qui s’imposent en altitude. Cette petite histoire vécue pourrait vous donner quelques outils pour gérer leurs effets et parvenir au bout de votre projet d’ascension… avec le sourire.

Bienvenue en hypoxie!

Je viens tout juste d’atterrir à Cuzco pour amorcer une randonnée à vélo dans la vallée inca, suivie d’un trek au massif de l’Ausangate. Le voyage a été un peu long, mais entre le Québec et le Pérou, le décalage horaire est quasi nul. Alors que je prends une douche et me change pour la nuit, me voilà prise d’un curieux essoufflement… comme si je venais de grimper une centaine de mètres à la course! Je viens de comprendre : en quelques heures, je suis passée du plancher des vaches à une altitude de 3400 m. Mon corps est en plein processus d’adaptation. Je sais, pour l’avoir lu, que l’essoufflement est le tout premier symptôme physiologique manifesté par la diminution de l’oxygène contenu dans l’air. Après quelques gorgées d’infusion de feuilles de coca, je me sens déjà mieux…

La phase dite d’«adaptation» dure généralement quelques jours, une durée variable selon les individus, et provoque un certain inconfort chez des sujets même en très bonne forme physique : augmentation du rythme cardiaque, sensation de manquer d’air, fatigue inhabituelle. Il ne faut pas s’en inquiéter : ces réactions du métabolisme permettent un meilleur acheminement des molécules d’oxygène dans le sang. Pendant cette période, on recommande de modérer ses efforts, le temps que le métabolisme s’habitue à son nouvel environnement.

Je le constate de moi-même : deux ou trois jours après mon arrivée, cet inconfort a presque totalement disparu. Je suis donc prête à commencer ce trek de deux semaines avec mes guides Quetchuas. Durant les deux premiers jours, c’est tout juste si je ne cours pas sur les sentiers, à plus de 3600 m au-dessus du niveau de la mer. Devant les vallées parsemées de lamas, les montagnes aux mille nuances ocres, les lacs d’altitudes émeraude, je suis en état de grâce. Mais à mesure que nous progressons, je me sens moins alerte, comme engourdie. Le soir, sous la tente, j’ai du mal à avaler ma ration de quinoa; j’ai l’impression de manger du carton. Plus de saveur, et plus d’appétit non plus. Je me force pour manger et pour boire.

La phase appelée « acclimatation » apparaît après une semaine consécutive passée en altitude. C’est le moment ou le métabolisme produit un certain nombre d’ajustements pour aider le corps à surmonter l’hypoxie, comme une urine plus abondante (ceci pour équilibrer le pH sanguin). Le plus connu est la surproduction de globules rouges, chargés d’optimiser  l’oxygénation du sang. C’est cet effet régénérateur que certains athlètes vont chercher en passant des nuits sous la tente à hypoxie, pour accroître leur performance sportive.

Sitôt mon premier café avalé, j’engouffre quelques feuilles de coca que je place sous ma langue, pour en extraire le jus, comme le font les bergers d’altitude que je rencontre en chemin. Je ne sais si la feuille de coca exerce sur moi un effet placébo, toujours est-il que je me sens moins fatiguée et le petit mal de tête persistant qui ne me quittait pas disparaît progressivement. Je dois me rendre à l’évidence : la médication traditionnelle de ces Montagnards fait ses preuves.

Les guides de montagnes et autres spécialistes de l’altitude le savent bien : certaines règles doivent être impérativement respectées pour que l’expérience en haute montagne soit agréable et, surtout, sans risque sur la santé. La première, sans doute la plus importante, consiste à respecter un plan d’ascension graduel. Au-delà de 2500 m d’altitude, il ne faut pas grimper plus de 500 m par jour. Dès les 3000 m franchis, ce sont deux nuits que l’on doit passer à la même altitude aussitôt qu’un palier de 1000 m est franchi. Au-delà de ces limites, le corps n’a pas les moyens de s’acclimater adéquatement. Et les risques sont très sérieux. D’autre part, il faut veiller à s’hydrater en continu, c'est-à-dire bien plus qu’en temps normal (4 à 5 l de liquide par jour). Si l’appétit faiblit, il convient d’ingérer les aliments riches en protéines en plus petites quantités, mais plus souvent durant la journée.

Cette nuit, j’ai passé une nuit en pointillé, à me tourner et me retourner dans mon sac de couchage. Je sais que nous devons passer le premier haut col de notre expédition et cette perspective me cause un peu d’anxiété. Et mon appétit qui ne revient pas n’est pas fait pour arranger les choses…

Passé les 5000 m, je ralentis le pas. Même sans le vouloir, mon rythme de progression avoisine celui de l’escargot. Mon cœur bat à tout rompre et je dois multiplier les pauses pour revenir à un rythme cardiaque plus confortable. J’en profite pour ingurgiter ma millième gorgée d’eau de la matinée. L’air est d’une pureté indescriptible, sommets acérés sur fond de ciel immaculé. C’est beau sans bon sens. Mais c’est dur aussi. Je compte mes pas dans ma tête : dix, quinze, à vingt, je m’arrête quelques secondes. Trois heures s’écoulent ainsi, entre émerveillement et acharnement. À 100 m, je lève les yeux et aperçois un guide qui me fait de grands gestes d’encouragement. Je parviens sur la neige croûtée d’altitude, un sourire béat aux lèvres, heureuse d’arriver au point culminant de ce trek, à près de 6000 m. Au bout de mes forces, mais comblée.

La meilleure façon de se préparer à un sommet ambitieux est d’établir son camp de base avancé à un niveau inférieur d’au moins 500 m. Le métabolisme, ainsi acclimaté durant la nuit, a plus de chances de fournir l’effort nécessaire au gain d’altitude qui doit suivre. Bien sûr, en expédition himalayenne, au-dessus de 8000 m, l’acclimatation prend bien plus de temps; l’idée, c’est de grimper progressivement un peu plus chaque jour et de redescendre à chaque fois pour passer la nuit à une altitude inférieure. Ces aller-retour exigent du temps mais sont indispensables pour donner toutes les chances à une ascension aussi ambitieuse.

Qui ne respecte pas les règles de la progression graduelle se soumet au risque du « mal aigu des montagnes », bien connu des alpinistes, qui résulte d’une mauvaise acclimatation. Ses causes sont multiples et sans lien avec la forme physique : problème respiratoire, apnée du sommeil, surpoids, etc. Outre les symptômes de l’acclimatation (mal de tête, perte d’appétit, fatigue, urine peu abondante), ce diagnostic peut mener à des vertiges et, dans les cas plus graves, vers l’œdème pulmonaire. Dans ces cas-là, il est impératif de redescendre au plus vite car le pronostic vital est engagé.

En deçà de 6000 m, ces situations sont plutôt rares si on respecte les règles de la progression. Mais, sans qu’on sache pourquoi, certaines personnes y sont plus sujettes que d’autres. D’où la nécessité de planifier son séjour en haute montagne sous l’encadrement de professionnels et d’en discuter sous tous les angles avant de partir à l’aventure.

Il n’y a rien comme une première fois… il est donc important de ne pas brûler les étapes. Ainsi réussie, votre première ascension pourrait bien vous donner l’envie d’en planifier une autre, et une autre. Car le bonheur ressenti en haute montagne, au-dessus des nuages, est bel et bien unique.