À 5 pi 4 po, Leylah Annie Fernandez passe parfois sous le radar.

 

« Dès mes tout débuts, j’étais beaucoup sous-estimée, que ce soit à l’école, au tennis ou même au soccer. Personne ne pensait que je pouvais être une attaquante au sein d’une équipe de soccer. Personne ne pensait que je pouvais être l’enfant la plus intelligente de la classe non plus, mais j’aime prouver aux gens qu’ils ont tort. »

 

La Lavaloise de 17 ans grimpe rapidement sur l’échiquier mondial. Jusqu’à maintenant cette saison, Fernandez s’est qualifiée pour son premier tournoi majeur, elle a disputé une première finale WTA, battu une joueuse du top-5 mondial et une championne de Grand Chelem.

 

Fernandez a amorcé l’année au 209e rang mondial et s’est rapidement hissé jusqu’au 118e échelon. Parmi les joueuses qui la devancent, seule l’Américaine de 16 ans Cori « Coco » Gauff est plus jeune qu’elle.

 

« Tout le monde veut le receveur éloigné stéréotypé », fait remarquer Jorge Fernandez, le père et entraîneur de Leylah Annie. « Tout le monde veut le quart-arrière stéréotypé, tout le monde veut ça. Je regarde Tom Brady, qui est dans l’actualité, la carrière qu’il a menée et où il a été repêché (en 6e ronde au repêchage, ndlr). Je regarde tout ça et je mets toujours dans leur tête "qu’être unique ou différent est un avantage, que les gens qui ne te comprennent pas et qui te voient comme une énigme, ça leur cause problème parce qu’ils ne peuvent pas te cerner ". Que beaucoup d’experts manquent trop de vision. »

 

TSN s’est entretenu longuement cette semaine avec Fernandez et son père. Ceux-ci ont tenté d’expliquer comment la petite gauchère est parvenue à faire une transition en douceur chez les professionnelles.

 

La graine de ce succès a été plantée durant la saison morte.

 

La saison morte

 

Rang : 209e

 

Après avoir remporté les Internationaux de France juniors en juin dernier, Fernandez a principalement joué sur le circuit ITF, remportant un titre à Gatineau, atteignant la finale à Granby, les demi-finales à Vancouver et la finale à Waco au Texas, notamment.

 

À son équipe se sont greffés durant la saison morte Romain Deridder, à titre d’entraîneur adjoint, et Mark Wellington, qui avait pour mandat de l’aider pour son conditionnement physique.

 

« On s’est réunis et on s’est dit "On va faire vivre l’enfer sur terre à cette petite gauchère pour s’assurer qu’elle arrive aux Internationaux d’Australie avec le meilleur état d’esprit et le meilleur de tout ce qu’elle pourrait possiblement avoir en tant que joueuse de 17 ans », se souvient Jorge.

 

Une partie de l’objectif était alors d’être plus offensive sur le court, ce que Leylah Annie dit avoir appris de son expérience sur le circuit ITF.

 

« J’ai constaté à quel point mon niveau de jeu de l’an dernier était différent. Je pense que nous avons fait du bon travail dans cet aspect de mon jeu. C’est sans compter que physiquement, j’ai gagné en force et en rapidité, ce qui aide beaucoup. »

 

 

Internationaux d’Australie

 

Rang : 207e

 

Après s’être inclinée dès le premier tour des qualifications du tournoi en Nouvelle-Zélande, Fernandez a réussi sa première percée de la saison à Melbourne, se qualifiant pour le tableau principal de son premier Grand Chelem en n’échappant pas le moindre set.

 

 « Ce dont je me rappelle le plus c’est le sentiment de finalement pouvoir jouer professionnellement dans un tournoi du Grand Chelem, raconte Fernandez. Pour la première fois, je pouvais dire à mon père : "Je suis ici en tant que professionnelle et non pas en tant que junior ou simple fan". C’était un sentiment incroyable. Les trois rondes ont été de dures batailles et de parvenir à me qualifier, c’était fantastique. C’est un moment que je n’oublierai jamais. Maintenant, c’est le temps de se concentrer sur le prochain objectif sur la liste, franchir des rondes au tableau principal d’un Grand Chelem. »

 

Fernandez s’était inclinée 4-6, 2-6 devant la 62e joueuse mondiale Lauren Davis au premier tour.

 

 

Coupe Fed

 

Rang : 185e

 

Bianca Andreescu et Eugenie Bouchard étant incapables de jouer en raison de blessures, Fernandez a été appelée à la rescousse face à la Suisse.

 

Alors que le Canada s’accrochait à la vie après avoir perdu ses deux premiers matchs, Fernandez a surpris Belinda Bencic, cinquième joueuse mondiale.

 

« J’ai toujours cru que je pouvais battre n’importe qui, mais d’être capable de battre Belinda, une membre du top-5, à la Coupe Fed, dans une rencontre à l’étranger, c’est le genre de moments où tu t’arrêtes et tu te dis "Wow, tout ce travail acharné que je fais depuis le début, ça paye". Ça m’a ouvert les yeux. Je me suis dit "Je dois continuer à travailler de la sorte, écouter mes entraîneurs et tenter d’être encore meilleure la prochaine fois". »

 

Le Canada s’est néanmoins incliné 3-1 devant la Suisse.

 

 

Tournoi d’Acapulco

 

Rang : 190e

 

La meilleure performance de Fernandez cette saison aurait très bien pu ne jamais avoir lieu. La Québécoise ne figurait même pas dans le tableau des qualifications à quelques jours à peine du début du tournoi.

 

« Elle était tout près d’y accéder grâce à son classement », explique Jorge. « Ils ont tenté de nous convaincre de prendre l’avion et de nous présenter au cas où quelque chose s’ouvrirait, mais j’ai simplement refusé. J’ai dit : "Non, on va continuer de nous entraîner, ça va aller. On va se préparer pour le prochain tournoi". »

 

Le travail en arrière-scène de Telcel, un commanditaire de Fernandez qui commandite également le tournoi à Acapulco, a toutefois fait son œuvre, si bien que la Québécoise a été ajoutée au tableau des qualifications avec à peine quelques jours de préparation.

 

« Ça en dit beaucoup sur l’entraînement et la préparation que nous mettons de l’avant et ça en dit beaucoup sur le niveau d’exécution et l’état d’esprit de Leylah, qui a été en mesure de s’adapter rapidement », fait remarquer Jorge, tout en notant qu’il s’agissait de l’un des tournois que l’équipe visait.

 

« On se disait que c’était un tournoi important. On n’était pas encore au meilleur de nos capacités, mais c’était un endroit où on voulait bien faire. Elle a dépassé les attentes, bien que nous n’étions pas enchantés de perdre en finale. »

 

« On est jamais heureux de perdre », insiste Leylah.

 

Le match qui ressort du parcours de Fernandez à ce tournoi est la demi-finale contre Renata Zarazua, une favorite locale. Fernandez était favorite sur papier, mais pas dans les estrades.

 

« Je lui ai dit "Écoute, il n’y aura que trois personnes dans les estrades qui t’encourageront" », se souvient Jorge. « Je voulais qu’elle sente le support et qu’elle sente qu’elle n’était pas seule contre toutes ces personnes. »

 

Fernandez s’est finalement imposée 6-3, 6-3 contre Zarazua, avant de s’incliner 4-6, 7-6 et 1-6 en finale devant la 69e raquette mondiale Heather Watson.

 

 

Tournoi de Monterrey

 

Rang : 126e

 

À la suite de son brio à Acapulco, Fernandez a reçu une invitation au tournoi de Monterrey, où une fois de plus, elle n’a pas déçu, prenant la mesure de la championne des Internationaux des États-Unis 2017, l’Américaine Sloane Stephens.

 

« C’était significatif », apprécie Fernandez avec recul. « Elle a remporté un Grand Chelem et il y a une raison pour cela. C’est une excellente joueuse. Elle est très talentueuse et jouer contre elle, en soirée, au deuxième tour, c’est difficile. Je sais qu’elle est affamée et elle sait ce que c’est que de gagner un Grand Chelem. Alors jouer contre une joueuse aussi expérimentée qu’elle était très difficile. J’étais nerveuse au départ, mais d’être en mesure de gagner en trois manches contre elle, de livrer bataille jusqu’à la fin, c’était un sentiment et ça n’a fait qu’augmenter ma confiance. »

 

Fernandez a ensuite semblée manquer d’énergie face à l’une des favorites du tournoi, Elina Svitolina, en quarts de finale. Reste que d’affronter une membre du top-10 est toujours une expérience enrichissante.

 

« À court terme, on se concentre sur les joueuses du top-10 et ce que nous devrons faire lorsque nous obtiendrons l’opportunité de les affronter. Qu’est-ce que nous devons corriger? Affronter Svitolina au premier tour c’est différent que de l’affronter en quarts de finale », note Jorge.

 

 

Indian Wells

 

Rang : 118e

 

Le camp de Fernandez ne fondait pas beaucoup d’espoir sur sa demande d’invitation au tournoi d’Indian Wells avant que celui-ci soit annulé en raison de la pandémie de la COVID-19. Les invitations sont souvent attribuées aux joueurs représentant le pays où se déroule le tournoi ou encore aux gros noms.

 

Fernandez et son entourage songeaient plutôt à un plan B lorsque le téléphone sonna. Les organisateurs de ce qui est considéré comme le cinquième tournoi majeur de la saison avaient été si impressionnés par les récentes percées de Fernandez, qu’ils lui offraient une place dans le tableau principal.

 

« Il est important pour elle de réaliser à quel point ces choses sont difficiles à obtenir et ne pas les tenir pour acquises lorsqu’elle se présente sur le court », commente le paternel. « Je lui ai toujours répété : "Les invitations ne sont pas données, elles sont méritées". Quand on les obtient, il faut faire quelque chose avec. »

 

Le présent

 

La famille Fernandez est de retour dans ses quartiers, à Boynton Beach en Floride, où elle attend une reprise des activités.

 

« On s’entraîne le matin. Il y a des courts de tennis publics tout près, alors on s’entraîne pendant une à deux heures avant une session de conditionnement physique. L’après-midi est réservé aux devoirs. »

 

« On reste loin des gens », assure Jorge. « Quand on parle des courts publics, ils sont vraiment au milieu de nulle part. Ce sont deux courts en piteux état qu’on utilise depuis les tout débuts et on reste isolés de tout le monde. C’est beaucoup de la distanciation sociale. »

 

 

Le futur

 

La détermination dans les voix de Jorge et Leylah Annie est évidente. Le paternel se souvient des conversations frustrantes du passé avec d’autres entraîneurs qui doutaient de la capacité de la petite Leylah à se développer comme l’une des forces du circuit.

 

« Je dis toujours : "Lionel Messi n’est pas le plus grand, Sidney Crosby n’était pas le plus grand. Mike Tyson n’était pas le plus gros poids lourd. Wayne Gretzky n’était pas le plus gros"… La voir affronter une puissante cogneuse en finale sera d’une beauté parce qu’elle sera prête, elle sera à sa place et elle sera impeccable. Mais ça prend quelques défaites avant de se rendre là, alors c’est ce sur quoi nous travaillons plus que tout. »

 

« Je ne suis pas la joueuse la plus grande », convient Fernandez. « Je ne suis pas la plus puissante non plus, mais j’ai la vitesse. Je suis également précise sur mes coups et c’est assez pour moi pour battre la joueuse qui se retrouvera devant moi. Il ne s’agit maintenant que d’améliorer mes faiblesses chaque jour pour prouver qu’ils avaient tort et que je peux remplir les objectifs que je me suis fixés au départ. »

 

Ces objectifs? Rien de moins qu’un titre du Grand Chelem et le premier rang mondial.