Le football américain est un sport de contact. Là-dessus, il n'y a pas de doute possible. Par contre, ce qui est moins évident, pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas, c'est que le football est d'abord et avant tout un sport éminemment stratégique. Ce sont les joueurs qui exécutent les jeux sur le terrain, bien sûr, mais à bien des égards, un match de football ressemble énormément à une partie d'échecs, entre les deux équipes d'entraîneurs.

En fait, il y a bien peu d'autres disciplines où les X et les O dessinés sur le tableau importent autant. À chacune des séquences, l'entraîneur doit choisir une stratégie parmi les centaines qui font partie de son livre de jeu. Une stratégie qui donne une responsabilité bien spécifique aux douze joueurs de son équipe. Tel un joueur d'échecs qui place ses pions comme bon lui semble, en essayant de surprendre son adversaire.

Si on constate que le football québécois est dans une phase de développement ahurissante depuis une dizaine d'années, il va sans dire que la qualité des entraîneurs de notre belle province y est pour quelque chose. Certains n'ont plus besoin de présentation, comme les Glen Constantin, Marc Santerre, et Marc Loranger de ce monde, tandis que d'autres commencent à se faire connaître, en raison de leurs qualités de motivateurs et de stratèges. Il y a également de plus en plus d'anciens joueurs des rangs universitaires et collégiaux qui décident de s'investir dans le monde du coaching, histoire de redonner à un sport qui leur a tant appris.

Voici donc, à travers le portrait de certains des meilleurs entraîneurs de football au Québec, un aperçu de l'univers du football québécois, mais avec un regard différent : celui du coach!

Denis Touchette

Quand on pense aux Carabins de l'Université de Montréal, on pense d'abord à leur défensive. Une défensive qui a terminé au deuxième rang au Québec, au cours des deux dernières années, au chapitre des points accordés en saison régulière. Une défensive qui n'a accordé plus de 20 points qu'à deux reprises, l'an dernier, en saison.

Bien sûr, des joueurs étoiles comme Martin Gagné, Joash Gesse ou Hamid Mahmoudi ont contribué aux succès de l'unité, dans les dernières années. Mais l'architecte derrière l'agressive défensive des Bleus, c'est son coordonnateur, Denis Touchette. Entraîneur depuis plus de 20 ans, il travaille à temps plein comme entraîneur à l'Université de Montréal depuis trois ans.

Véritable bourreau de travail, cet homme moustachu de 46 ans est reconnu par ses pairs comme l'une des meilleures têtes de football au Québec. Pas étonnant qu'il ait connu autant de succès partout où il est passé. Ex-coordonnateur défensif notamment chez les Spartiates du Vieux Montréal et les Cactus du Collège Notre-Dame, il compte 14 victoires du Bol d'Or à son actif.

«J'aime ça faire des choses que les autres entraîneurs ne font pas, déclare d'emblée Denis Touchette, avec un large sourire. Amener de nouveaux concepts, de nouvelles idées. L'important pour moi, c'est que mes joueurs aient du fun à jouer dans le système que j'implante. Je ne veux pas qu'on soit statique, j'aime ça quand on bouge, quand on essaie de mélanger l'adversaire.»

Parlant de système défensif, celui qu'il a instauré depuis son arrivée chez les Carabins en est un basé sur la vitesse. «Je veux que mes joueurs jouent de manière agressive. J'aime utiliser plusieurs fronts défensifs différents, plusieurs couvertures de passe. J'aime avoir une unité intense, rapide et physique. Il faut qu'on rentre là-dedans, ça, c'est sûr.»

Pour lui, il est clair que le football est un sport incroyablement stratégique. La preuve, il passe des dizaines d'heures chaque semaine à préparer un plan de match basé sur les tendances de l'équipe qu'il va affronter, après avoir analysé sur vidéo le moindre de leurs faits et gestes.

Il reconnaît, toutefois, que l'entraîneur a beau préparer un plan de match impeccable, ce n'est pas lui qui est sur le terrain pour réaliser une interception, ou réussir un plaqué.

«C'est un sport extrêmement stratégique, il n'y a aucun doute. Mais reste que ce sont les joueurs qui font la différence sur le terrain. J'ai beau choisir le jeu parfait pour contrer la stratégie de l'offensive adverse, si le secondeur de ligne rate son plaqué ou si le demi de coin tombe en tentant de couvrir son homme, ça peut se terminer par un touché. Et là, on dira que c'est moi qui n'ai pas bien fait mon travail.»

«Ma responsabilité, au fond, c'est de placer les gars dans la meilleure position possible face à ce que j'anticipe de l'autre côté. Mais à partir de là, c'est à eux de réussir des jeux.»

Travail à temps plus que plein

Denis Touchette est l'un des quelques entraîneurs de la province qui sont employés à temps plein comme coach de football. C'est donc dire que douze mois par année, il travaille en fonction d'une saison qui elle, peut prendre fin après huit matchs. Mais si vous pensez qu'il doit se la couler douce, détrompez-vous.

«Pendant la saison, c'est complètement fou, admet-il en riant. On travaille sept jours sur sept, pour préparer nos joueurs en fonction du prochain match.»

Le tout commence, le dimanche, par l'analyse sur vidéo de la rencontre jouée la veille par les Carabins. Il faut voir ce qui a bien marché, ce qui a moins bien marché et essayer de comprendre pourquoi.

Ensuite, le lundi, Touchette reçoit la vidéo du dernier match joué par l'équipe qu'il affrontera le samedi suivant. S'en suit une très longue analyse où rien n'est laissé au hasard.

À l'aide d'un système informatique très spécialisé, il décortique chaque jeu et rentre le tout dans une énorme base de données. Celle-ci lui permet de savoir chacun des jeux que l'autre équipe a effectués à partir d'une certaine formation offensive, ou encore chacune des stratégies appelées en situation de deuxième essai et cinq verges à parcourir, par exemple. Des informations qui lui sont essentielles, lors d'un match.

Par contre, à voir le regard de désespoir que coach Touchette a jeté en nous parlant de son système informatique, on devine que l'homme a pas mal plus de facilité avec un ballon de football qu'avec un ordinateur…

Le reste de la semaine, Touchette le passe à élaborer son plan de match et à préparer sa semaine de pratique. Il a quatre entraînements pour que ses joueurs soient le plus prêts possible en vue de leur rencontre, généralement jouée le samedi. En plus, chacune des pratiques est filmée et analysée. Inutile de dire, donc, que pour avoir la chance de voir du terrain, les joueurs ont intérêt à se donner à 100%. En situation de match, mais également en pratique.

Puis arrive le samedi, où notre homme moustachu est sur les lignes de côté, durant le match. Quand sa défensive est sur le terrain, il choisit pour chaque séquence un jeu défensif, parmi les plusieurs centaines que compte son livre de jeux.

Lorsqu'on lui demande combien d'heures est-ce qu'il travaille, en une semaine, Touchette répond qu'il ne sait pas, qu'il ne compte pas vraiment. Mais après avoir fait un rapide calcul, on se rend compte que l'homme consacre plus de 80 heures par semaine au football, durant la saison.

Palmarès bien rempli

Après avoir gagné la coupe Vanier en 1987 à sa dernière saison universitaire chez les Redmen de McGill, Denis Touchette accepte la proposition de son bon ami, un dénommé Marc Santerre. Il s'embarque donc comme entraîneur d'une équipe qui traîne dans les bas-fonds de la ligue collégiale AAA, depuis quelques années : les Spartiates du Vieux Montréal.

C'est là qu'il attrape la piqure du coaching, une piqure qu'il a toujours aujourd'hui. Mais à l'époque, il ne se doutait pas qu'il se retrouverait là, 20 ans plus tard.

«Je n'ai jamais été un carriériste, nous dit-il très humblement. Je n'ai jamais vraiment pensé à long terme et je ne croyais pas finir par être entraîneur à temps plein. Mais je me considère très chanceux, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui voudraient être à ma place», répond celui qui a également travaillé pendant près de 15 ans comme professeur d'éducation physique au Collège Notre-Dame.

Comme joueur, Touchette a connu énormément de succès au poste de receveur de passes, mais surtout à celui de demi de coin. En 1986, il avait d'ailleurs été repêché par les Alouettes de Montréal, avant qu'une blessure ne mette fin à son rêve. En cinq saisons avec les Redmen de McGill, il a été nommé All-Canadian à une reprise et trois fois il s'est retrouvé sur l'équipe d'étoiles universitaire. Avant d'évoluer pour McGill, il avait joué pour les Diablos du Cégep de Trois-Rivières et pour les Broncos de la Polyvalente Baie Saint-François.

Un avenir chez les professionnels?

Après avoir connu autant de succès aux niveaux juvénile, collégial et universitaire, la suite logique pour l'homme de 46 ans serait une carrière d'entraîneur chez les pros. Mais même s'il ne cache pas qu'il y verrait une opportunité unique et difficile à refuser, Touchette ne rêve pas nécessairement d'avoir une chance dans la Ligue canadienne de football.

«Je ne suis pas sûr que je me lancerais là-dedans, sérieusement. C'est un monde où tu n'as aucune stabilité. Je ne me vois pas partir deux ans à Hamilton, pour ensuite aller en Colombie-Britannique, et me balader comme ça toute ma vie.»

De plus, il ne cache pas que le football scolaire est un milieu qu'il apprécie énormément. «Je côtoie chaque jour des étudiants qui ont des objectifs importants. Au niveau sportif, bien sûr, mais également au niveau de leur vie. Je trouve ça vraiment le fun de travailler avec des gars comme ça, c'est stimulant.»

«Mais c'est sûr que si une équipe professionnelle m'approchait, je m'assoirais avec ma femme et on aurait une bonne discussion. Mais je ne peux pas dire que c'est une chose à laquelle j'aspire nécessairement.»

Derrière chaque grand homme…

Le samedi, après son match, dépendant la manière dont son équipe a joué, il rentre plus ou moins content, auprès de ses quatre enfants, et auprès de sa femme. Une femme qui est pour beaucoup dans ce que Denis Touchette a accompli, depuis plus de 20 ans.

«Tout ce que j'ai fait, depuis que je coache, c'est grâce à ma femme. Si elle n'avait pas accepté ma vie, j'étais fait! Écoute, j'ai quatre enfants, et pendant plus de 15 ans, j'étais entraîneur pour deux équipes, en plus d'être professeur d'éducation physique. Tu en connais beaucoup des femmes qui auraient accepté ça?»