Je roule ma boule aux courses auto et moto depuis 1963, comme mécano, pilote, instructeur de pilotage, officiel et maintenant homme de média. J’aime les défis et la venue du Rallycross Mondial à Trois-Rivières m’a permis de rencontrer Jacques Villeneuve, que je ne connaissais pas vraiment.

Je me retrouvais à Mettet en Belgique afin d’assister pour la première fois à une ronde de ce championnat, en préparation pour mon rôle d’analyste à RDS lors de la visite du championnat au Grand Prix de Trois-Rivières. J’y ai passé un week-end instructif au possible, pris en charge par l’équipe de télé internationale et les bonnes gens de l’équipe Albatec qui fournit une voiture à Jacques.

« Ça aurait été frustrant de ne pas faire le Nascar »

Après avoir respecté le protocole de mise et parlé à la relationniste de l’équipe, j’attendais Jacques dans le salon de l’équipe. En me voyant, il vient s’asseoir et répond « Me v’la » à ma demande d’une entrevue. Tout se passe naturellement en français, et je vois immédiatement la réaction habituelle des gens de l’équipe et de Rick Gorne, son nouveau gérant : « Ils se connaissent et on les laisse en paix, car on ne comprend rien de toute façon. »

Que ce soit la langue, ma tête blanche, les questions loin de l’habituel ou l’attitude confortable du pilote, j’ai souvent observé cette réaction de la part des équipes avec Didier Schraenen, Dominic Fugère, Philippe Brasseur ou moi-même, quel que soit le niveau de la série (sauf en F1 ou NASCAR Sprint, plus difficiles d’approche).

Ma première question (« Alors, tu t’amuses en RX? ») déclenche un torrent de commentaires clairs, et pas de gants blancs en vue. « Pas vraiment. Les voitures et l’équipe sont bonnes, je m’entends bien avec tout le monde dans l’équipe, j’aime le pilotage en glisse, les machines sont puissante et très amusantes à piloter, et ma voiture est bien préparée. Malheureusement, nous sommes à l’orée de la qualification pour les demi-finales sans y avoir accédé une seule fois encore cette année, pour une foule de raisons techniques, de malchance ou de circonstances difficiles, et je trouve cela frustrant. »

Jacques me parle alors de problèmes connus du public, comme la perte d’un ingénieur clé à quelques semaines du début de la saison, de son incident en essais qui a détruit sa voiture, le manque d’essais pour peaufiner les réglages, et de son apprentissage rapide qui l’approche des meilleurs pilotes. Il me parle aussi du fait que le Championnat en est à sa première saison, que certaines procédures pourraient être améliorées et que certains officiels pourraient être mieux informés sur le RX et plus constants dans leur interprétation des règlements, surtout en ce qui a trait aux fautes de pilotage et aux incidents en piste.

Un autre dilemme se présente aux organisateurs et aux participants au championnat. La série accepte, encourage même, la participation de pilotes locaux ou occasionnels, ce qui affecte énormément la donne pour les pilotes et équipes qui sont inscrits à la totalité du championnat. Comme il l’explique, « Albatec et les autres grosses équipes ont investi des millions dans la série et jouent naturellement le championnat, avec des victoires comme objectif secondaire. Par contre, certains "occasionnels" arrivent avec un objectif en tête : en mettre plein la vue aux amateurs et commanditaires locaux dans l’espoir de décrocher un volant à plein temps pour l’année suivante, ce qui implique de gagner, presque à tout prix. » En passant, connaissant bien Patrick Carpentier qui participera au RX de Trois-Rivières, je ne m’attends pas du tout à un tel comportement de sa part.

La discipline en piste entre aussi en jeu, car les départs et le premier virage sont d’une importance capitale en RX. Ratez votre départ ou perdez du temps au  premier virage et votre course est foutue et votre qualification aux demi-finales hypothéquée. Les faits ont donné raison à Jacques à Mettet, car il s’est fait rentrer dedans lors des départs dans deux de ses quatre courses qualificatives, perdant en tout presque 20 secondes. En enlevant ces 20 secondes de son temps de qualification cumulatif, Jacques se serait certainement qualifié pour la demi-finale à Mettet.

Jacques reste serein et professionnel lors de notre rencontre, toujours cool et bien à l’aise. Il m’a aussi montré un aspect de sa personnalité que peu de personnes connaissent. Lors de notre discussion, j’ai aperçu une gamine de dix ans et son père à la porte du salon, avec une photo de la voiture de Jacques qu’ils espéraient manifestement faire signer par ce dernier. Je lui mentionne donc leur présence en lui demandant s’il signerait la photo si j’allais la chercher. Sa réponse est immédiate. « Une petite fille? J’y vais ». Et il rejoint le père et sa fille pour photos, signature et courte discussion, puis revient s’asseoir en déclarant : « Les enfants, je trouve ça important. » Ce geste m’en disait plus à son sujet que tout ce que j’avais vu et entendu, un aspect fondamental de ses valeurs humaines.

On en découvre des choses par une journée pluvieuse au centre de la Belgique…