Avril 2009 marquera le 50e anniversaire du début de la carrière de Claude Raymond dans les ligues majeures. C'était au sein d'une remarquable équipe des White Sox de Chicago, qui donnera à ses partisans son unique championnat de la ligue américaine entre 1919 et 2005. Dans le cadre d'un livre à paraître sur cette équipe, Alexandre Pratt a rédigé une courte biographie du premier joueur québécois à avoir été invité au Match des étoiles.

L'auteur, Alexandre Pratt, est directeur des pages culturelles du quotidien La Presse de Montréal. De 1999 à 2001, il a couvert les Expos de Montréal et a côtoyé Claude Raymond. Il a aussi profité de ses conseils lors d'une clinique de baseball à Saint-Jean, en 1988… Monsieur Pratt a autorisé Baseball Québec à publier son texte qui a déjà été publié sur le site Internet de SABR (http://quebec.sabr.org/).

Si, aux États-Unis, les garçons naissent avec un gant de baseball dans la main, au Québec, les enfants viennent plutôt au monde avec des patins aux pieds. Claude Raymond, qui fut le seul baseballeur québécois du XXe siècle invité au match des Étoiles, n'a pas fait exception à la règle.

Comme tous les petits Québécois dans les années 40, Raymond a tué ses journées sur les patinoires du quartier à tenter d'imiter les feintes de Maurice «Rocket» Richard, le joueur-étoile du Canadien de Montréal. «Pendant les vacances du temps des Fêtes, raconte-t-il, je partais de la maison de bonne heure le matin avec les patins aux pieds. Le midi, je n'enlevais même pas mes patins pour dîner. Ma mère couvrait le plancher de journaux jusqu'à la table. Au souper, c'était la même chose.»[1]

Le jeune Raymond, né le 7 mai 1937 à Saint-Jean-sur-Richelieu, à 25 miles de Montréal, se nourrit de hockey jour et nuit. Mais il est aussi réaliste : il reconnait rapidement qu'il n'a pas les outils nécessaires pour marquer 50 buts en 50 matchs, comme l'a fait le Rocket en 1945. Par contre, au baseball, il casse littéralement la baraque. Si bien qu'on le force très jeune à frapper du côté gauche, lui qui est droitier, pour éviter que ses flèches ne brisent le beau vitrail de l'église adjacente au terrain de jeu[2].

Raymond a eu la chance de grandir dans une ville où le baseball était jadis considéré, au même titre que le hockey, comme une religion. Grâce à sa proximité avec la frontière américaine, Saint-Jean est l'une des premières villes au Québec à s'initier au baseball. Le Crescent, en 1869, est le premier club de la province à l'extérieur de l'île de Montréal[3]. Saint-Jean hérite aussi d'une équipe dans la Ligue provinciale, en 1898, lorsque les francophones mettent sur pied ce circuit amateur pour contrer les professionnels anglophones des Royaux de Montréal.

Mais c'est dans les années 40 que le baseball connait son âge d'or à Saint-Jean. Au retour de la Deuxième Guerre mondiale, le surplus de joueurs entraîne la création d'une ligue majeure au Mexique. Lorsque ce circuit cesse ses activités, ses joueurs - bannis du baseball organisé - suivent les recommandations de Roland Gladu et Jean-Pierre Roy et joignent les rangs de la Ligue provinciale du Québec, un circuit hors-la-loi. C'est ainsi qu'entre 1947 et 1949, Saint-Jean accueille des joueurs vedettes de partout comme Roy, le Portoricain Valmy Thomas, le Canadien d'origine japonaise Kaz Sugi, et d'anciennes gloires des Negro Leagues comme Quincy Barbee et Terris McDuffie.

Les Braves sont la principale attraction de la ville. Claude Raymond est un de leurs plus fidèles partisans. À sept ans, raconte-t-il dans son autobiographie, il paie ses entrées en remettant aux préposés des fausses balles qu'il capte à l'extérieur du stade. Il deviendra par la suite vendeur de popcorn, mascotte du club, puis à 12 ans, on lui demande occasionnellement de lancer l'entraînement au bâton[4].

C'est dans cet environnement particulier d'après-Guerre, dans une ville passionnée de baseball, que Claude Raymond se développe. En 1953, lors d'un camp d'essai des Royaux de Drummondville, de la Ligue provinciale, il se démarque nettement des autres. Les Royaux proposent un contrat illico, mais sont forcés à retirer leur offre quand ils apprennent que le brillant lanceur n'a pas 17 ans, comme il le prétend, mais… 15 ans[5]!

Raymond tente alors sa chance dans une ligue junior de Montréal, où il se rend matin et soir sur le pouce depuis Saint-Jean. C'est dans cette ligue que les dépisteurs le remarquent à la suite de deux matchs sans point ni coup sûr. Au terme de sa deuxième saison chez les juniors, il signe un contrat avec l'organisation des Dodgers de Brooklyn, mais celui-ci est annulé car Raymond n'avait pas terminé ses études et que les Dodgers avaient omis de demander une permission spéciale pour l'embaucher. Ce sont finalement les Braves de Milwaukee, et l'ancien joueur-vedette de la Ligue provinciale, Roland Gladu, qui le mettront sous contrat.

En mars 1955, Raymond part donc aux États-Unis avec d'autres protégés francophones de Gladu (Yvan Dubois, Ron Piché et Bobby Laforest). Raymond, un unilingue francophone, se donne comme objectif d'apprendre 10 nouveaux mots d'anglais chaque jour[6]. Contrairement à plusieurs Canadiens-français des années 40, 50 et 60 qui reviendront au Québec en raison de problèmes de langue, Raymond n'a pas le «mal du pays».

Rapidement, il gravit les échelons des mineures en se distinguant comme lanceur de relève, une spécialisation rare pour l'époque. En 1957, à Jacksonville (A), il bat un record de la ligue pour le nombre de matchs lancés (54). Mais en 1958, une inflammation de l'épaule freine son développement et les Braves le soumettent au repêchage intra-ligue. «Je souhaitais tellement être repêché que j'ai passé deux heures en prière à l'Église Notre-Dame-Auxiliatrice», raconte-t-il dans son autobiographie[7].

De retour chez lui, Raymond reçoit un appel de Chuck Comiskey, qui l'accueille au sein de l'organisation des White Sox de Chicago. Sa prière exaucée, Raymond sent un vent nouveau souffler sur sa carrière. Quelques semaines plus tard, au camp d'entraînement à Tampa, où il était le chambreur de Nellie Fox, il tombe dans l'œil de l'entraîneur-chef Al Lopez.

«Je me souviens que Lopez, à un moment donné, a dit à tout le monde que j'avais la meilleure courbe du camp. Soudainement, la saison a commencé et j'étais dans les majeures[8]!»

«Ce fut pour moi un très grand jour. Je n'aurais jamais pensé me faufiler aussi rapidement dans les majeures», relate-t-il dans son autobiographie. «J'ai passé un mois avec les White Sox. Le gérant Al Lopez fit trois fois appel à mes services. J'ai été utilisé en relève pour la première fois dans une cause perdue contre Kansas City. Le premier joueur à qui j'ai lancé fut Bob Cerv… que j'ai atteint à mon tout premier lancer.[9]»

À la mi-mai, Raymond n'avait lancé que quatre manches et accordé autant de points mérités. «Il était question que les White Sox se passent de John Callison, mais c'est moi qui fut l'infortuné joueur détrôné», se souvient-il.

Le lanceur québécois est donc retourné avec les Braves, comme le prévoit le règlement du repêchage intra-ligue. «Je me consolais à l'idée que les White Sox m'avaient laissé aller en raison du fait qu'ils avaient un excellent arsenal de lanceurs en Early Wynn, Billy Pierce, Bob Shaw, Dick Donovan, Turk Lown et Gerry Staley[10].»

De retour dans le AAA, à Louisville, il retrouve les Canadiens Ron Piché, Georges Maranda et Ken McKenzie. Mais après seulement huit manches de travail, il subit une autre démotion dans le AA, puis termine la saison… comme voltigeur de droite!

Il revient dans les majeures comme lanceur en 1961, avec les Braves de Milwaukee. Il obtient sa première victoire en retirant au bâton deux de ses idoles de jeunesse, les Dodgers Gil Hodges et Duke Snider. Au mois d'août, toutefois, les Braves embauchent le vétéran Johnny Antonelli et Raymond reçoit de nouveau son billet pour le AAA. «J'étais d'autant plus humilié que mes parents, en vacances, étaient venus m'encourager à Milwaukee.[11]»

Le renvoi aux mineures fut difficile à accepter. L'hiver suivant, Raymond songe abandonner. «J'étais désabusé. Je songeais à tout balancer. Je me suis mis à faire du ski et à jouer au hockey. Je risquais le tout pour le tout. Combien de mauvaises chutes ai-je faites sur les pentes au cours de cet hiver?[12]»

En 1962, il se présente néanmoins au camp des Braves et est rappelé à la mi-juin. Il parvient à maintenir une moyenne de 2,72 en 26 matchs pour être élu recrue de l'année de l'organisation. Mais lorsque Bob Bragan s'amène comme entraîneur-chef en 1963, les choses déraillent. Bragan croyait pouvoir remporter le championnat avec seulement 8 ou 9 lanceurs et cloua Raymond au banc 27 jours de suite (ainsi que Frank Funk 28 jours).

«Milwaukee à l'époque était une ville superbe, accueillante, raconta-t-il à des journalistes québécois en 1998 avant une série Expos-Brewers. Entre autres avantages, on recevait une caisse de bière par semaine, gracieuseté du plus important employeur de la place. Quoi d'autre? On avait l'auto fournie, le plein d'essence, un carton de cigarettes, des produits laitiers. On pouvait même faire nettoyer nos vêtements gratis.[13]»

Au terme de la saison 1963, la Ligue nationale tient un repêchage spécial pour venir en aide aux pauvres Mets de New York et Colts de Houston. Raymond est repêché par Houston et connait la meilleure saison de sa jeune carrière (5-5, 2.81). «Je demeurais à Surrey House et Kenny Rogers était mon voisin. Le soir, il chantait dans un club avec le trio de Bobby Doyle, il fallait une clé pour entrer là après minuit et les joueurs y allaient pour l'écouter. Le dimanche, tout était fermé et on faisait des partys sur le bord de la piscine[14]», racontait-il l'été dernier au Festival western de Saint-Tite, avant de renouer avec Rogers.

En 1965, toujours avec Houston, Raymond est utilisé comme partant à sept occasions avant de terminer l'année dans l'enclos avec une fiche respectable de 7-4 et 2.91. En 1966, alors un des rares spécialistes de la courte relève, il présente à la mi-saison la meilleure moyenne de points mérités des deux ligues (1.35).

L'entraîneur-chef des Dodgers, Walt Alston, lui envoie alors un télégramme pour l'inviter à prendre part au match des Étoiles, une première pour un joueur né au Québec. «J'étais célibataire et je ne pouvais pas le dire à personne. J'ai appelé mes parents et ils sont allés à St-Louis en auto[15]», racontait-il en 1992.

Mais comme ce fut le cas lors du voyage de ses parents à Milwaukee en 1961, Raymond est laissé sur la touche. En fait, Alston ne fait appel qu'à quatre lanceurs ce jour-là. «J'étais déçu mais c'est comme ça que ça fonctionnait dans le temps. Alston m'a demandé de me réchauffer quand Sandy Koufax a lancé trois balles de suite en troisième. Il faisait 117 degrés sur le terrain (à St.Louis) et ça n'a pas pris de temps.[16]»

Ce fut le haut-fait de la carrière de Raymond. En 1967, il retournait (encore!) avec les Braves, en retour de Wade Blasingame. Il n'a qu'à faire quelques pas pour changer de vestiaire, car Atlanta est en visite à Houston ce week-end. Raymond sauvegarde la partie du vendredi et obtient la victoire dans celle du samedi. Il termine la saison en beauté à Atlanta (4-1, 2.65) et brille tout autant en 1968 (3-5, 2.85).

1969 changera la vie de Raymond. Le 1er février, il marie Rita Duval au cours d'une grande cérémonie. Le gâteau de noces, comme il se doit, est une maquette de stade de baseball! Le 16 mai, les Braves l'envoient dans la mêlée au parc Jarry contre les nouveaux Expos de Montréal. «J'étais nerveux quand l'annonceur-maison dit : et maintenant, au monticule pour les Braves d'Atlanta… le numéro 36… de Saint-Jean, Québec… Claude Raymond![17]»

«Je ne me suis jamais senti autant chez moi que ce soir-là. J'étais très nerveux. Pour la première fois, je tremblais au monticule. J'échappais la balle tellement l'émotion était forte.» Finalement, le releveur droitier remporte la victoire en 11e manche. Les spectateurs se lèvent debout et lui réservent une ovation monstre. Le 19 août, Raymond passe aux Expos et devient le premier Québécois à porter l'uniforme tricolore (les deux autres seront Denis Boucher et Derek Aucoin dans les années 90).

Les Braves sont alors en première position et les Expos, au dernier rang. Raymond prend néanmoins la nouvelle avec le sourire. «J'étais content de changer d'équipe. Avec Atlanta, je ne lançais presque plus. Et pour un lanceur de relève, il n'y a rien de pire que l'inaction[18].» Il se rapproche aussi de sa famille et de celle de sa femme Rita, alors enceinte de cinq mois de leur fille Natalie.

Après une fin de saison sans histoire, Raymond peine au camp de 1970. Il fait de l'arthrite à l'index de sa main droite - sa main de lanceur - et l'entraîneur-chef Gene Mauch l'utilise peu. En fait, le Québécois sera le dernier lanceur à participer à un match du camp d'entraînement, puis aussi le dernier à être employé en saison régulière[19].

Mais au fur et à mesure que les autres releveurs des Expos échouent, la charge de travail de Raymond augmente. Et le vétéran ne laisse pas passer sa chance. Au début du mois de juin, il retira 27 frappeurs sur 29 en cinq matchs, et protège du même coup cinq victoires consécutives[20]. «J'étais en très bonne forme, confia-t-il quelques années plus tard à Jim Shearon. Je voulais prouver que si j'étais à Montréal, ce n'était pas parce que j'étais canadien-français, mais parce que je pouvais encore lancer. 1970 fut ma saison la plus satisfaisante, alors que j'ai protégé 23 victoires et gagné sept autres matchs.[21]»

Claude Raymond, devenu une idole pour les jeunes athlètes québécois, est alors aussi populaire que les meilleurs joueurs du Canadien de Montréal. En janvier 1971, il profite de son statut d'étoile pour signer le plus lucratif contrat de sa longue carrière, puis part en Europe en famille. Les astres sont tous alignés pour une année 1971 exceptionnelle, jusqu'à ce que le lanceur de Saint-Jean glisse sur un terrain détrempé au camp et subisse une infection à la cheville. Cette absence permet au jeune Mike Marshall de prendre une option sur le poste de releveur numéro un de l'équipe, emploi qu'il gardera toute la saison.

Raymond, lui, s'écroule. Lors d'une séquence de 17 jours au milieu de l'été, il encaisse cinq défaites. Les Expos le garderont jusqu'à la fin de la saison (1-7, 4.66), puis ne renouvelleront pas son contrat. Pendant l'hiver, il approche les Mets, les Yankees, les Cubs, les White Sox et les Tigers, mais aucune équipe ne l'embauche. Il terminera sa carrière avec une fiche de 46-53 et une moyenne de 3,66 en 449 parties.

Après une année sabbatique, Raymond revient chez les Expos comme analyse pour les matchs à la radio (1973-84), puis à la télévision (1985-2001). Pendant ces années, il organise aussi des cliniques de perfectionnement dans tous les coins du Québec. Des milliers de jeunes auront l'occasion de profiter de ses conseils. En février 2002, le directeur général délégué par le baseball majeur pour s'occuper des Expos, Omar Minaya, lui fait une fleur en le nommant instructeur.

Finalement, lors du dernier match des Expos à Montréal, le 29 septembre 2004, c'est lui qui saluera pour une dernière fois les partisans francophones des Expos au nom de l'organisation. «Je ne veux pas quitter le Stade, confie-t-il ce soir-là. Je ne veux pas enlever cet uniforme. Je sais combien de jeunes ont rêvé de le porter. Je pense que je vais coucher avec[22]!»

« Claude Raymond est l'envers des vedettes gâtées de ce sport gâché, écrira trois jours plus tard l'éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte. Un homme simple, discret, travaillant. Raymond s'est expatrié aux États-Unis en 1955, à une époque où les Québécois ignoraient qu'ils pouvaient être parmi les meilleurs, réussir hors de leur paroisse. Il n'avait pas 20 ans.»

«Claude Raymond, poursuivit Pratte, est un pionnier, un athlète de premier niveau, et surtout un homme de classe. Il a été un ambassadeur de qualité pour les Expos, pour Montréal et pour le Québec. Merci, M. Raymond[23].»


[1] Claude Raymond et Marcel Gaudette, Le troisième retrait (Montréal, 1973), 20.

[2] Ibid.

[3] «Baseball», Montreal Star (1869/08/23), 2.

[4] Raymond et Gaudette, 21-22.

[5] Ibid, 24.

[6] Ibid, 30.

[7] Ibid, 37.

[8] Jim Shearon, Canada's Baseball Legends (Kanata, 1994), 170.

[9] Raymond et Gaudette, 39.

[10] Ibid.

[11] Ibid, 42.

[12] Ibid, 44.

[13] Robert Duguay, «On pouvait même faire nettoyer nos vêtements gratis!», La Presse (1998/04/15).

[14] «La rencontre des grands», Le Nouvelliste (2007/11/13).

[15] Richard Milo, «Le match des étoiles de Claude Raymond», Presse canadienne (1992/07/11).

[16] Ibid.

[17] Raymond et Gaudette, 62.

[18] Ibid, 64.

[19] Jean-Paul Sarrault. Les Expos cinq ans après (Montréal, 1974), 47

[20] Ibid.

[21] Shearon, 172.

[22] André Pratte, «Merci M. Raymond», La Presse (2004/10/01).

[23] Ibid.

Revue de Web publié par Jacques Lanciault, collaborateur au site Internet de Baseball Québec.