MONTRÉAL – La fabuleuse histoire de Jackie Robinson a fait le tour du monde. Pourtant, même si son immense influence s’est entamée à Montréal, ce chapitre de sa carrière a souvent été résumé très rapidement. L’auteur Marcel Dugas a résolu ce mystère avec un livre passionnant autant pour le volet social que sportif.

 

La beauté de son récit dépasse les performances sur le terrain et elle permet de se plonger dans cette époque d'injustice alors que la ségrégation persistait. Du début à la fin, il dose avec doigté les informations sportives et historiques pour décrire le contexte qui régnait après la Deuxième Guerre mondiale.

 

Les détails sont si précieux sous sa plume qu’on a parfois l’impression d’être l’un des spectateurs aux matchs des Royaux qui encouragent Robinson à s’illustrer.

 

Étant donné que ce son travail - échelonné sur sept ans - nous permet d’apprendre une panoplie d’informations sur le passage marquant de Robinson à Montréal, ce livre se transforme parfois en un roman dans la tête du lecteur. On poursuit la lecture, page après page, en voulant en découvrir encore plus sur ses exploits en sol montréalais.

 

« Trippeux » de baseball, Dugas a toujours été fasciné par les anciennes équipes dont celles qui n’existent plus et les vieux stades. Sa passion de l’histoire et du baseball ont trouvé le terrain parfait pour s’exprimer avec les Royaux et le résultat sera disponible en librairie mercredi. 

 

Jackie Robinson« Il y a plusieurs histoires intéressantes par rapport aux Royaux dont on ne parle pas beaucoup. On a passablement fouillé l’histoire des Expos au cours des dernières années, mais on parle moins de Royaux pourtant il y a beaucoup de choses à dire », a confié Dugas en citant de grands joueurs qui ont porté cet uniforme comme Robinson, Roberto Clemente, Roy Campanella et Don Drysdale.

 

Ce fossé s’est créé car l’équipe a quitté Montréal en 1960. Par conséquent, la majorité des derniers témoins des Royaux étaient jeunes à leur départ.

 

« Une partie de ceux qui essaient de ranimer la flamme des Expos, ils les ont vus jouer souvent à l’âge adulte, ils ont eu des billets. C’est très différent », a comparé l’auteur.

 

Évidemment, la saison 1946, celle du célèbre numéro 42 à Montréal, sera toujours la plus mémorable de cette organisation.

 

« Cette saison qui ne ressemble à aucune autre saison dans le monde du sport. On parle d’une équipe qui a fait une réussite extraordinaire au niveau sportif et qui a fait changer la société. Les Royaux de 1946 se battaient contre environ 60 ans de ségrégation dans le baseball. Ça faisait depuis les années 1880 qu’on avait séparé les Blancs des Noirs. En une saison, on a détruit tous les arguments qui avaient été avancés plus de six décennies. On disait qu’il y aurait des émeutes, que les joueurs partiraient en grève, que les spectateurs ne voudraient pas voir jouer des Noirs… Tout ça s’est avéré faux. C’est une saison qui a très largement dépassé le cadre sportif », a résumé Dugas en entrevue.

 

Montréal n'était pas une ville parfaite 

 

Cela dit, il ne faut pas croire que le séjour de Robinson avec les Royaux a été facile. En épluchant de nombreux journaux d’époque, l’auteur parvient à relater des événements troublants dans quelques villes où les Royaux s’arrêtaient. Quant à Montréal, si elle a été très accueillante avec son nouveau héros, elle n’était pas exemplaire avec tous les Noirs.

 

« On peut souvent lire ou entendre que ça n’aurait pas été possible de réussir l’intégration ailleurs qu’à Montréal. Ici, on était plus tolérants et tout ça... Mais ce n’était pas vraiment le cas. Il y avait de la discrimination envers la communauté noire comme à bien d’autres endroits. Ce n’était pas aussi pire qu’en Floride ou au Kentucky, comme je le raconte dans le livre, mais la discrimination existait dans plusieurs domaines. Quand tu étais le joueur qui faisait gagner l’équipe de Montréal, tu étais accueilli à bras ouverts et traité comme un roi. Quand ce n’était pas le cas, c’était un peu moins vrai et c’est important pour moi de le dire », a précisé Dugas.

 

« Oui, les partisans ont été formidables avec lui et ils ont permis ce mouvement social. Sauf qu’il faut faire attention avant de dire que c’était le paradis ici pour les Noirs. »

 

Le tremplin des Royaux a propulsé Robinson avec les Dodgers de Brooklyn dès 1947. Il ne faut pas se surprendre que cet accès au baseball majeur ait été retenu par bien des auteurs comme le moment charnière de l’intégration au baseball. Le livre de Dugas démontre un son de cloche différent. Jackie Robinson

 

« C’est vraiment en 1946 (avec les Royaux) que ça s’est fait. Il n’y avait plus aucun argument pour justifier de la ségrégation en 1947. Si Jackie s’était planté une fois arrivé à Brooklyn, un autre joueur noir serait arrivé après lui », a précisé Dugas qui n’a pas négligé de raconter l’histoire des autres Noirs qui ont évolué avec Robinson au sein des Royaux.

 

Étrangement, l’héritage de Robinson n’est pas si visible à Montréal. Une statue à son effigie a été déplacée aux abords du Stade olympique pour qu’elle soit mieux préservée. À l’emplacement de l’ancien Stade De Lorimier, il ne reste que de petites traces comme des plaques commémoratives. Dugas ne peut guère s’empêcher de rêver quand on évoque ce constat, il aurait voulu conserver ce stade dessiné par le même architecte que le Forum de Montréal pour en faire « notre Fenway Park ».

 

« On aurait eu notre stade historique. Il s’est écoulé moins de 10 ans entre le départ des Royaux et l’arrivée des Expos (en 1969), ce n’est pas très long. Ce n’est pas comme garder un stade inoccupé pendant 30 ans. Le métro est arrivé pendant la période entre les deux clubs. On aurait pu avoir une station tout près. Je crois que ç’aurait été la solution à nos problèmes de stade », a évoqué Dugas.

 

L'histoire s'est répétee avec les Expos

 

À ce propos, les parallèles avec l’histoire des Expos sautent aux yeux dans son bouquin de 190 pages. Les deux clubs ont éprouvé des ennuis de propriétaires et de stades. Montréal a même perdu les Royaux à deux reprises avant de les retrouver.

 

« Demandez-moi si ça vous rappelle quelque chose?, a rigolé Dugas. C’est finalement l’affiliation avec les Dodgers qui a sauvé les Royaux. Ces deux équipes médiocres qui s’alliaient ont éventuellement connu un essor incroyable et une période extraordinairement faste avec plein de championnats et de grands joueurs. »

 

Décidément, l’argument selon lequel le baseball ne fait pas partie des racines des Québécois ne tient pas la route à la lecture de ce livre publié par Hurtubise.

 

« Je trouve ça très drôle! La mouture initiale des Royaux a remporté son premier championnat dans une ligue à l’échelle nord-américaine en 1898. C’est plus d’une décennie avant la création du Canadien. De dire que le baseball est étranger, que ça ne nous ressemble pas, c’est objectivement faux! Il faut voir la couverture qu’on faisait dans les médias depuis le début des 1900. Ici à Montréal, devant la porte des grands journaux, on présentait les matchs de la Série mondiale sur un tableau électronique. Il y avait de grosses foules qui venaient voir de petits boutons bouger sur un tableau pour suivre cet événement. C’est ce genre d’attachement qu’on avait pour le baseball », a rectifié Dugas.

 

De la première à la dernière page de son livre, l’auteur relate une multitude d’autres détails savoureux. Il évoque les Québécois qui ont évolué pour les Royaux comme Stanislas Bréard et Jean-Pierre Roy, il explique l’importance d’Hector Racine qui a sauvé les Royaux et le Canadien, il s’attarde sur le rôle crucial de la femme de Robinson (Rachel), il raconte que les Alouettes ont voulu l’embaucher pour le football et il précise que Robinson avait quitté Hawaï – où il était parti travailler – deux petits jours avant l’attaque de Pearl Harbor !

 

Avec autant de détails sur une histoire aussi attachante que celle de Robinson, ne vous surprenez pas si votre imagination vous projette sur le terrain à célébrer avec ce héros et les spectateurs montréalais.