TOKYO - Les jeunes joueurs de baseball s'alignent avec une précision presque militaire sur la pelouse, leurs têtes inclinées pour une prière silencieuse.

Shinsuke Noyama, le capitaine d'une des équipes choisies pour représenter tous les participants lors de la cérémonie d'ouverture d'un tournoi la semaine dernière, a pris la parole avec dignité et conviction, rappelant avec émotion le tremblement de terre qui a tué 6400 personnes à Kobe en 1995.

« Nous sommes nés il y a 16 ans, l'année du grand séisme de Kobe, a dit Noyama, le visage sombre. Aujourd'hui, plusieurs vies ont été perdues dans le grand séisme de l'est du Japon, et nos âmes sont remplies de tristesse. »

Deux fois par année, les joueurs de baseball de niveau secondaire s'affrontent au stade Koshien, près de Kobe, dans le cadre d'un tournoi qui passionne les Japonais. Cette année ne fait pas exception - même si le Japon pleure encore les milliers de personnes fauchées par le séisme et le tsunami du 11 mars.

Le baseball est populaire de longue date au Japon. Il avait servi de point de rencontre pour les Japonais après la Deuxième Guerre mondiale, et il pourrait jouer un rôle similaire aujourd'hui - si ce n'était d'une vilaine querelle concernant la pertinence de retarder ou non la journée d'ouverture de la saison professionnelle.

Les Japonais ont donc déniché une nouvelle source d'espoir : des adolescents qui jouent au baseball avec un sérieux et une intégrité qui fait parfois défaut à leurs héros professionnels.

Quelques heures après le discours du jeune Noyama, son équipe a été éliminée dès le premier tour. Mais ses paroles ont été rediffusées en boucle à la télévision nationale.

« C'était bien mieux que le discours d'un politicien médiocre, a dit un passant à Tokyo. Le baseball professionnel est une question d'argent; le baseball au niveau secondaire est une question de passion. »

Ce tournoi de baseball génère au Japon autant d'intérêt et d'enthousiasme que le tournoi de basketball universitaire aux États-Unis. C'est aussi l'occasion pour les dépisteurs de repérer les vedettes de demain : Hideki Matsui, Daisuke Matsuzaka et Ichiro Suzuki - qui jouent tous au niveau professionnel aux États-Unis - se sont tout d'abord faits remarquer pour leurs performances au secondaire.

Pendant les cérémonies d'ouverture, l'équipe de l'école secondaire Tohoku - qui est originaire de la préfecture de Miyagi, qui a été dévastée par le tsunami - a été chaudement applaudie.

« Le tournoi démontre que le sport peut répondre aux besoins générés par un événement tragique, a dit William Kelly, un spécialiste du Japon à l'Université Yale. Et le baseball professionnel prouve qu'on peut aussi laisser filer une telle occasion. »

La puissante Ligue centrale avait refusé de retarder la journée d'ouverture en guise de respect pour les victimes. Les Giants de Yomiuri - l'équipe japonaise la plus populaire - ont de leur côté annoncé qu'ils continueraient à jouer le soir, même si de telles joutes consomment une quantité énorme d'électricité à un moment où des milliers de Japonais survivent à la lueur de la chandelle.

Les partisans ont été outrés. Certains joueurs ont évoqué un boycott. Et le gouvernement a fait pression sur la Ligue centrale pour qu'elle change d'idée. Les Giants, que plusieurs estiment être trop influents, ont fait les frais des reproches d'avarice et de manque de tact qui ont circulé. La Ligue centrale a finalement accepté de repousser la journée d'ouverture au 29 avril, comme l'avait déjà fait la Ligue du Pacifique. Les Giants ont augmenté le nombre de matchs joués le jour et promis d'économiser l'énergie le soir.

En revanche, les jeunes joueurs ont su inspirer les Japonais. Lors d'un match la semaine dernière, le receveur Takahiro Suzuki a perdu deux dents quand il a été frappé par la balle au visage. Il est revenu au jeu quelques minutes plus tard pour compléter la manche derrière le marbre.

La manche suivante, ses lèvres enflées et sa bouche rouge de sang, il a claqué un double qui a mené son équipe à la victoire.