« C’est notre paradis, j’ai vraiment la paix ici »
MLB vendredi, 26 mars 2021. 07:00 dimanche, 15 déc. 2024. 00:00MONTRÉAL – À ce temps-ci de l’année, on devrait normalement trouver Phillippe Aumont sur un terrain de baseball. Le GPS nous mène pourtant sur de petits rangs de campagne à proximité de Gatineau. Ralenti par le calme qui y règne, on admire quelques fermes avec des chevaux avant d’aboutir sur son nouveau, et immense, terrain de jeu.
Habitué aux clôtures des stades, Aumont se retrouve désormais avec une propriété de 221 acres, l’équivalent de 167 terrains de football. Même si sa ferme est vaste, le lanceur québécois n’a pas l’intention d’y construire un terrain de baseball. Il vient plutôt d’y bâtir une serre de 120 pieds de longueur afin de se lancer à fond dans sa nouvelle aventure, la serriculture sans pesticides (la Ferme Pure Alternative).
Casquette des Blue Jays de Toronto sur la tête, Aumont respire le bonheur entouré de ses plants à dorloter.
« C’est notre paradis. J’ai vraiment la paix ici, je travaille sur mes plants et je parle à mes bourdons (qui favorisent la pollinisation). Je sonne un peu fou en disant ça, mais j’ai du plaisir », raconte Aumont avec un sourire presque proportionnel à sa stature de six pieds sept pouces.
Il y a à peine un an, Aumont appartenait justement aux Blue Jays, mais la pandémie est venue lancer une redoutable balle courbe à la société. Préoccupé par l’incertitude de cet élément déclencheur, le lanceur québécois de 32 ans ne se voyait plus laisser sa femme, Frédérique, et sa fille Gabrielle, à la maison.
« Ça reste que la décision a été extrêmement difficile à prendre, on ne l’a pas prise du jour au lendemain. J’ai changé d’idée quelques fois surtout que j’avais des offres à gauche et à droite dont en Asie. Oui, j’avais retrouvé le plaisir au baseball, mais ce n'était plus une priorité dans le contexte et je voulais prendre soin de l'aspect familial, ce n’est pas plus compliqué que ça », a confié Aumont.
Par contre, ce qui est compliqué, c’est de s’occuper d’une ferme quand on n’y connaît rien. Aumont a grandi dans un milieu défavorisé de Gatineau qui ne se ressemblait point à son nouvel environnement.
« C'était un petit rêve de retraite pour ma femme et moi. On discutait d'avoir des poules et des cochons. Moi, étant un overthinker, un peu fou sur les bords, qui n’a pas peur de foncer dans un projet, j’ai commencé à me promener quand j’ai eu plus de temps et je regardais les fermes. J’ai réussi à convaincre ma femme d’aller la visiter. Quand on est arrivés sur les lieux, c’était fini, on était tombés en amour! Si la ferme avait été à vendre avec un troupeau de vaches ou une porcherie, je l’aurais achetée quand même. C’est la ferme qui m’a attiré », a expliqué Aumont.
Grâce à l’aide de Denis Dubé, l’ancien propriétaire devenu son mentor, il assimile ce métier. Il plonge aussi le nez dans quelques livres de référence et ses séances vidéos servent à parfaire ses connaissances au lieu de décortiquer sa motion au monticule et les tendances de ses adversaires.
« J’ai eu mes moments que ça m’a fait peur. Je n’avais jamais fait pousser de plants de ma vie et je dois maintenant entretenir 400 plants dans la serre. Je dois apprendre à être plombier, électricien et un peu tout en même temps. Disons que, quand il y a de petits problèmes, la boule de neige peut grandir extrêmement vite en moi. Mais j’ai un bon entourage qui peut m’aider quand je suis trop débordé. Je suis habitué d’y aller ‘Go, go, go’ dans la vie. Là, l’approche est bien différente. Ma femme est bonne pour me calmer. On fait un bon petit power team, c'est sûr », a convenu Aumont qui vendra des légumes à son kiosque.
« J’ai juste le pressentiment que c’est une bonne place pour nous. On doit juste acquérir de l’expérience », a-t-il prononcé au même moment que son coq a semblé lancer un puissant cri d’approbation.
Un peu de culpabilité, il veut redonner
Aumont a beau raffoler de ses champs, ses plants, ses poules et ses pommiers, c’est impossible de « sortir » le baseball de ses tripes.
« J'ai des balles de baseball un peu partout. J’en prends une dans mes mains, je la spinne et je me promène avec. Ça me manque d’un côté, mais je suis tellement débordé de travail que je n’ai pas le temps d’y penser », a noté le droitier.
À vrai dire, ce n’est pas tout à fait exact. Aumont pense beaucoup au baseball et à la façon dont il pourra redonner à son grand amour.
« J’ai un sentiment de culpabilité, un peu, par rapport à ça, avoue-t-il. Le baseball m’a énormément aidé, il m’a donné l’occasion de voyager, d’avoir une carrière et, essentiellement, de pouvoir acquérir une ferme. J’ai fait en masse d’argent pour faire ça. »
En premier lieu, Aumont se promet d’aller voir des matchs de l’équipe d’Ottawa – qui a fait le saut dans la Ligue Frontier – notamment quand les Capitales de Québec, et certains de ses amis, seront en ville.
« Je vais vouloir prendre une bière dans les gradins et peut-être aller sur le banc s’ils me laissent cette chance », a mentionné Aumont qui sera le bienvenu.
Cela dit, son véritable plan va bien au-delà de petites visites.
« Quand j’aurai la chance, je voudrais aider des programmes du côté mental. Les jeunes ne travaillent pas ça et ils ne comprennent pas cet aspect. Ce n’est pas juste l’athlète que tu dois entraîner, c’est la famille au complet. C’est papa et maman, comment tu parles à ton enfant. Si tu le rabaisses tout le temps, il n’aura aucune confiance. Même si tu lui paies le meilleur coach, ça n’aura aucune importance », a évoqué Aumont.
Le grand artilleur ne s’en cache pas, voilà où ça s’est joué dans son cas.
« J’ai eu mes gros moments quand j’avais trop de pression par rapport à la confiance que j’avais. Ça ne fonctionnait pas et c’est extrêmement difficile. J’ai dealé avec ça, mais j’ai eu des nuits pendant lesquelles j’avais de la misère à dormir. Ce ne sont pas des excuses, ce sont des faits vécus et je n’en veux pas à personne », a-t-il mentionné.
« Beaucoup de personnes ont essayé de m’aider, on n’a juste pas été en mesure de trouver les pièces manquantes. Je le sais, je regarde les meilleurs moments de ma carrière et c’était parce que j’avais la confiance. Quand ça s’échappait, ce n’est pas parce que ma mécanique était tout croche », a enchaîné Aumont.
« J’ai été là, avec les meilleurs, comme (Roy) Halladay et (Cliff) Lee. Ils étaient des murs entre les deux oreilles sur un terrain et tu ne pouvais pas briser ce mur. C’est ça qui me manquait, c’est tout », a-t-il comparé.
Repêché en première ronde en 2007, Aumont arrivait avec de grandes attentes envers lui. Rien pour aider son adaptation, il ne s’est jamais senti « à sa place » dans le Baseball majeur.
« Je n’ai pas été élevé avec une cuiller d’argent... ça me grugeait. Pour moi, ce n’était pas ça. Si tu me demandes si je l’ai enjoyé, je ne l’ai pas enjoyé », reconnaît Aumont.
On en vient à se demander s’il a eu du plaisir au sommet de la pyramide.
« Les Majeures, c’est la grosse pression. J’ai eu du fun parce que c’est le best of the best. Tu es traité comme de la royauté, c’est incroyable. Mais je n’ai jamais voulu avoir l’attention, je me sens mal dans tout ça », a-t-il expliqué.
Heureusement, ça ne l’empêche pas de retenir du positif de ses 46 sorties, entre 2012 et 2015, avec les Phillies.
« C’est sûr que je suis extrêmement fier de mon ascension dans les Majeures. Je suis parti du moustique BB à Gatineau et je n’ai pas été là seulement pour une petite tasse de café, j’ai été là pour un bon mug de café », répond-il.
« J’ai quand même eu du succès, mais je sais que la tournure aurait pu être différente si j’avais eu une autre mentalité et que j’avais travaillé sur le mental. Mais je regarde plus d’où je suis parti et où je suis allé. Je pense que c’est bon en masse. Je ne m’en fais pas avec le reste. Excuse l’expression, mais c’est juste un cave qui va regretter ça. Je regarde le positif, j’ai eu du fun et j’ai voyagé partout. Tabarnouche, tu as ta propre chambre dans un Ritz Carlton et tu voyages en vol nolisé ! », a décrit Aumont qui demeure émerveillé par de tels privilèges.
Là où Aumont s’est davantage éclaté, c’est sur la scène internationale. On se souvient notamment de ses retraits consécutifs contre David Wright, Kevin Youkilis et Curtis Granderson à la Classique mondiale de baseball en 2009 et sa récente sortie dominante contre Cuba, en 2019, au tournoi Premier12.
« J’étais avec mon groupe de boys et j’étais un peu plus moi-même. Le côté international, c’est vraiment game on, tu dois gagner. Ça tournait on ma switch. J’aurais plus jouer ça que des ligues professionnelles », a statué Aumont qui aimait cette grande dose d’adrénaline.
Le destin tragique de Rhéal Cormier lui rappelle qu'il a pris la bonne décision
Quand on lui souligne que peu de lanceurs québécois ont réussi à fouler un monticule des Majeures plusieurs fois, il réplique avec une balle rapide décochée avec enthousiasme.
« Je ne me dis pas que peu de personnes d’ici vont réussir, parce que je souhaite qu’on puisse en produire plus et j’espère, un jour, y contribuer. »
« Avec Ottawa, j’ai trippé comme joueur et entraîneur. Quand je pouvais aider un gars et que je voyais le résultat, My god, c’était le fun ! », a exprimé Aumont avec joie.
Son discours devrait attirer l’oreille de plusieurs organisations. Et si les Jays lui offraient, à moyen terme, de contribuer au développement d’espoirs du Québec ?
« Ce serait encore plus intéressant. Je donnerais un coup de pouce à quelqu’un de chez nous », soumet Aumont tout en ajoutant l’ABC (Académie de baseball du Canada) et Baseball Québec dans l’équation.
Même si les projets sur sa ferme ne manqueront pas au cours des prochaines années, on comprend que le baseball ne sera pas retiré de sa liste. Il veut miser sur l’essentiel et ça ne fait que prendre plus de sens en voyant le destin tragique qui attendait Rhéal Cormier et Derek Aucoin.
« Ouf, la vie est extrêmement fragile. [...] Des fois, le soir, je regarde ma fille et je m’assure de lui dire que je l’aime et j’en profite. On a pris les bonnes décisions par rapport à ça », a conclu Aumont qui verra d’ailleurs sa femme accoucher d’une deuxième fille en juin.
Par une fabuleuse coïncidence, un camion de livraison s’approche de la ferme au moment de terminer l’entrevue. Comme si la boucle se bouclait, Aumont y récupère des items qu’il attendait depuis son départ de la Floride, il y a un an, au début de la pandémie.