MONTRÉAL - À l'automne 1993, Denis Boucher était peut-être l'homme le plus populaire de Montréal.

Alors âgé de 25 ans, Boucher était arrivé chez les Expos en juillet par le biais d'une transaction avec les Padres de San Diego. Deux mois plus tard, son premier départ dans l'uniforme de l'équipe de sa ville natale attirait quelque 40 000 supporteurs au Stade olympique.

« Les gens s'ennuyaient du baseball » - Denis Boucher

Boucher n'a effectué que sept départs durant son bref séjour de deux saisons avec les Expos, mais chacune de ses sorties à domicile avait des allures de concert rock. À sa deuxième ascension sur la butte du « Big O », en pleine course aux séries éliminatoires, il a affronté les Phillies de Philadelphie devant près de 51 000 témoins. À son premier départ la saison suivante, il lançait devant 47 000 personnes, la plus grosse foule de la campagne écourtée par la grève à Montréal.

Parce qu'il était né à l'ombre du mât de la rue Pierre-de-Coubertin, le jeune gaucher faisait courir les foules comme aucun de ses coéquipiers pourtant plus talentueux.

Boucher est donc mieux placé que quiconque pour savoir que les Montréalais ont un faible pour les rendez-vous à saveur particulière. Mais même lui ne s'attendait pas à une réponse aussi unanime des amateurs lorsque l'idée d'organiser deux matchs hors-concours entre les Blue Jays de Toronto et les Mets de New York à l'ancien domicile des Expos, dix années après leur extinction, a été mise sur pied.

« La première fois que j'ai entendu parler du projet, je trouvais ça le fun, mais j'avais mes doutes », admettait vendredi celui qui a connu une carrière de quatre saisons dans les majeures.

« Il y a toutefois un engouement évident. Tout le monde en parle, tout le monde veut venir et ceux qui n'ont pas acheté leurs billets depuis longtemps s'en mordent les doigts aujourd'hui. D'avoir réussi à combler 40 000 sièges ce soir et peut-être 50 000 demain... Ça va être spécial. »

Le retentissant succès de l'opération unique orchestrée par evenko peut être interprété d'autant de façons qu'il y aura de paires de fesses assises sur les bancs bleus et jaunes du dôme de Taillibert en fin de semaine. Les moins rêveurs en profiteront simplement pour baigner, l'instant de quelques heures, dans la nostalgie d'une époque définitivement révolue. Mais les plus optimistes voient en ce populaire programme double un énorme porte-voix qui permettra à une ville bannie et longtemps oubliée dans les bureaux du baseball majeur de se faire entendre.

Les souvenirs de Jean-Luc au Stade olympique

Boucher ne croit pas que l'ouverture sans retenue du public montréalais envers le retour du baseball à Montréal soit une histoire d'un soir... ou deux. Selon lui, la métropole québécoise est prête à obtenir sa deuxième chance.

« Montréal est une ville de baseball, on le démontre avec ces deux matchs, avance-t-il, néanmoins conscient des nombreuses conditions qui séparent le rêve de la réalité. Chacun a ses raisons de venir au Stade, mais je crois que plusieurs le font pour démontrer leur appui au projet du retour d'une équipe ici. Cette fin de semaine là va ouvrir des yeux et peut-être donner la petite poussée de plus dont on a besoin pour que ça se réalise. »

« On voit que le monde s'ennuie du baseball, s'ennuie d'avoir sa propre équipe. »

Aujourd'hui âgé de 46 ans, Boucher n'a pas le temps de s'ennuyer. Les Yankees de New York l'emploient comme recruteur au nord de la frontière et les Blue Jays, l'équipe qui lui a donné sa première chance dans les majeures, l'impliquent dans leurs cliniques estivales destinées aux jeunes. Celui qui a aussi porté les couleurs des Indians de Cleveland occupe en plus un poste d'entraîneur au sein de l'équipe nationale canadienne.

Cette semaine, avant de renouer avec ses anciens coéquipiers de l'édition 1994 des Expos, il a revêtu le maillot des Jays pour visiter un hôpital pour enfants montréalais auquel l'organisation torontoise a versé un don de 250 000 $.

« Ça arrive encore qu'on me parle de ces matchs que j'ai disputés devant 50 000 personnes. Ça fait déjà 20 ans, alors les jeunes me reconnaissent de moins en moins, mais quand je sors de Lachine, les gens sont encore surpris et me posent des questions. C'est toujours le fun de jaser de baseball. »