TORONTO - Russell Martin n’est pas le seul Québécois à avoir pris le terrain du Rogers Centre d’assaut lundi.

Sur le coup de 16 h, lorsque le receveur étoile et ses coéquipiers des Blue Jays ont quitté le vestiaire pour aller s’entraîner en vue du quatrième et dernier match de la série les opposant aux Yankees venus de New York, Josué Peley s’est joint au groupe.

Uniforme aux couleurs des Jays sur le dos, souliers à crampons aux pieds, gant bien ancré dans sa main gauche, Peley a capté les offrandes que Josh Donaldson, Troy Tulowitzki et autres Devon Travis dirigeaient vers le premier but. Il s’est ensuite retrouvé devant le monticule pour lancer aux troisième et quatrième groupes de frappeurs qui se sont succédé dans la cage.

Pour une 156e fois cette saison, ce tout jeune retraité âgé de 28 ans qui a élu domicile à Québec après neuf longues saisons passées à sillonner les ligues mineures, dont les quatre dernières avec les Capitales, réalisait le rêve qu’il a toujours chéri : jouer dans les Ligues majeures.

Malgré son gant, ses souliers à crampons et le temps qu’il passe sur le terrain avec les vedettes des Jays, ce n’est pas en raison de son œil au bâton ou de la puissance et la précision de son bras que Josué Peley a atteint les majeures cette année.

C’est à cause des trois langues qu’il parle couramment.

Né au Venezuela, Peley est le traducteur des Jays. Débarqué au Québec avec ses parents et ses deux frères alors qu’il avait 10 ans, il a été embauché l’hiver dernier après que le Baseball majeur eut décrété que ses 30 formations devraient dorénavant offrir à leurs joueurs latins un traducteur pour les aider à communiquer avec leurs entraîneurs, leurs coéquipiers, et bien sûr avec les journalistes.

Traducteur de tête, joueur de cœur

Josué Peley se fiche éperdument que ce soit sa culture et non le nombre de points qu’il a produits au cours de sa carrière dans les mineures qui lui a ouvert les portes du vestiaire des Jays.

Surtout qu’en raison de son jeune âge, de ses aptitudes et réflexes encore bien aiguisés, il se sent à sa place sur le terrain lorsqu’il prend part à la grande cérémonie que représente la pratique au bâton. « Je me pince tous les jours pour réaliser la chance que j’ai. Comme joueur, je me suis rapproché des Ligues majeures en disputant quelques matchs en Ligue des pamplemousses. J’ai touché à mon rêve du bout des doigts seulement. Mon emploi de traducteur me permet aujourd’hui de le vivre pleinement. Je ne joue pas. Mais quand je tourne un double jeu avec Tulo (Troy Tulowitzki), quand je lance à Russell (Martin), Edwin (Encarnacion) ou Jose (Bautista) et qu’ils frappent mes balles de l’autre côté de la clôture, je suis encore un joueur de baseball », m’a raconté Josué Peley au fil de quelques conversations dans le vestiaire des Jays durant le séjour des Yankees à Toronto.

Une fois la pratique au bâton terminée, Peley ne redevient pas seulement traducteur.

Malgré son titre officiel, il fait aussi partie du groupe d’entraîneurs. Aussitôt le « Play Ball » hurlé par l’arbitre au marbre Todd Tichenor, Peley s’est retrouvé dans la salle vidéo pour épier les moindres faits et gestes de ses joueurs... et de leurs adversaires.

« Les gars ont compris au fil de la saison que j’avais du baseball dans le corps. Ils ont appris à me faire confiance comme traducteur, mais aussi comme joueur. Des fois, ils viennent me voir pour me demander ce que j’ai pensé de leur élan; pour me demander quel type de lancer les a déjoués, si la balle qu’ils ont jugée dans la zone des prises l’était vraiment ou non. Cette fonction me garde autant en contact avec la partie que la pratique au bâton. C’est pour cette raison que je me sens si choyé », a expliqué celui qui est la deuxième paire d’yeux dans la salle de vidéo.

Parfois, Peley et son complice doivent avoir des yeux tout le tour de la tête tant l’action est vive sur le terrain. « La pire séquence est venue au Texas cet été alors qu’une méchante bagarre a éclaté. Les deux bancs se sont vidés et plusieurs gars se sont vraiment battus. En rentrant à l’abri, ils voulaient tous savoir qui les avaient frappés », de raconter Peley qui a bien failli revivre pareil scénario lundi soir.

Après trois défaites consécutives aux mains des Jays, les Yankees et leur lanceur Luis Severino étaient un brin frustrés. Après que Severino eut atteint Josh Donaldson en première, J.A. Happ a atteint Chase Headley dès le retour des Yankees au bâton.

Les bancs se sont alors vidés. Sans conséquence.

Mais lorsque Severino a fait fi de l’avertissement lancé aux deux clubs par l’arbitre du marbre et qu’il a atteint Justin Smoak, on a eu droit à une deuxième explosion sur les bancs. Et cette fois, il a eu un malheureux mélange d’empoignades et chamaillage.

En fin de sixième manche, c’est de la salle de vidéo que le gérant John Gibbons a eu la recommandation de faire appel de la décision de retirer Kevin Pillar au premier sur un jeu très serré. Une recommandation payante puisque l’arbitre au premier but Tom Hallion a renversé sa décision initiale.

Des Capitales aux Blue Jays

Comment on passe des Capitales de Québec à traducteur avec les Blues Jays de Toronto? Par le biais d’un heureux concours de circonstances.

Au fil de ses quatre saisons emballantes avec les Capitales de Québec, quatre saisons au cours desquelles il a célébré deux championnats, rencontré sa compagne Anne-Marie (Levasseur) qui est devenue la mère de la petite Nayla qui aura 16 mois à l’automne, Peley a développé des liens étroits avec le président de l’équipe Michel Laplante.

Aujourd’hui directeur général adjoint des Blue Jays de Toronto, Andrew Tinnish a été le coéquipier de Michel Laplante en 1999 à Québec. Les deux anciens lanceurs se sont croisés l’hiver dernier et Tinnish a demandé à Laplante s’il connaissait quelqu’un qui pourrait remplir le nouveau poste de traducteur.

Michel Laplante a soumis le nom de son ancien joueur. Tout a déboulé ensuite rapidement.Josué Peley

« Ils m’ont fait venir en Floride pour une première entrevue qui avait bien été. Quand ils m’ont demandé si je pouvais rester quelques jours, j’ai répondu : pas de problème, je m’entraîne avec Russell. C’est là qu’ils ont su que Russ et moi on se connaissait. »

Ce lien très étroit avec Russell Martin a certainement aidé Peley dans sa quête d’obtenir le job de traducteur. Mais c’est lors d’une mise en situation que Peley a vraiment convaincu ses futurs employeurs.

« Je ne parle pas seulement espagnol, je suis latin. Je comprends les Latins. Leur tempérament. Quand je me suis retrouvé en mise en situation, le gars qui parlait espagnol a employé des mots qui auraient pu le mettre et mettre l’organisation dans le trouble. Il fallait lire entre les lignes. Je ne me suis pas contenté de traduire de mots. J’ai traduit le message. La direction a apprécié cette initiative personnelle et j’ai eu la job », se souvient Peley qui n’a rien perdu de ses racines latines.

« Je suis Vénézuélien à la maison. Avec mes parents, mes frères. Mais je suis Québécois avant tout. Ça fait 18 ans que je vis ici. J’ai adopté la langue dès mon arrivée, j’ai appris à patiner, à jouer au hockey. Mais lorsque je me suis retrouvé dans le double lettre avec des mises en échec, je ne voulais pas risquer des blessures susceptibles de mettre le baseball en danger. »

En passant, Josué Peley a réalisé un rêve dimanche lorsque plusieurs joueurs d’Équipe Canada ont profité d’un congé pour se rendre au Rogers Centre pour assister au match des Jays. « J’ai enfin pu croiser Carey Price, lui serrer la main et lui dire à quel point je suis un fan fini du Canadien. J’ai pu souhaiter la bienvenue à Shea Weber qui m’a laissé un chandail autographié. Quand je te dis que je vis un rêve cette année… »

Repêché par les anciens Expos

C’est au Vénézuéla, dès l’âge de cinq ans, que Josué Peley a commencé à jouer au baseball. C’était dans ses gênes. Dans son sang. Il jouait à longueur d’année. C’est toutefois au Québec qu’il est devenu bon. Très bon même. Et c’est une fois avec l’Équipe nationale qu’il a réalisé qu’il pouvait envisager une carrière professionnelle.

Denis Boucher, l’ancien lanceur gaucher des Expos, des Indians de Cleveland et des Blue Jays qui l’avaient repêché, a découvert Josué Peley. C’est Boucher qui l’a vendu aux Nationals de Washington qui l’ont repêché un an après le départ des Expos de Montréal. C’est toutefois au sein des organisations des Pirates de Pittsburgh d’abord et des Red Sox de Boston ensuite qu’il a fait son apprentissage dans les ligues mineures.

Quand il a mis le cap sur Québec pour joindre les rangs des Capitales, Josué Peley se disait que ce serait sa dernière destination. Au lieu de simplement laisser sa carrière prendre fin, il s’est impliqué dans le baseball scolaire afin de partager sa passion pour son sport.

« On a un très gros programme de sport-études à Québec. Nos joueurs étudiants sont répartis dans quatre écoles secondaires. À 28 ans, je réalise cette année mon rêve d’être enfin dans les Majeures. Mais comme tous les coachs, j’ai un contrat d’un an. Je ne fais pas un gros salaire. Je ne sais pas combien de temps se prolongera mon rêve. Je suis retourné à Québec une seule fois cette année : à la pause du Match des étoiles. J’espère qu’on se rendra le plus loin possible en séries, mais j’ai une femme et une petite fille qui m’attendent à la maison. Ce n’est pas facile pour elles non plus. »

Peu importe que l’aventure de Josué Peley avec les Blue Jays se prolonge longtemps ou non, elle lui aura permis de réaliser sur le tard, mais de réaliser quand même, son rêve d’atteindre un jour les Ligues majeures.