MONTRÉAL - Le journaliste d'origine montréalaise Jonah Keri a écrit une lettre aux membres électeurs de l'Association des chroniqueurs de baseball d'Amérique (ACBA) afin de les encourager à voter pour Tim Raines en vue de la prochaine cérémonie d'intronisation au Temple de la renommée du baseball.

Keri, qui couvre les activités du Baseball majeur pour CBSsports.com, Sports Illustrated, MLB Network et qui collabore à Sportsnet, n'a jamais caché qu'il est un grand partisan des Expos, particulièrement des Expos des années 1980. Depuis quelques années déjà, il mousse la candidature de Raines, qui en est cette année à sa 10e et dernière année d'éligibilité.

Celui qui demeure maintenant à Denver, au Colorado, encourage les électeurs à voter pour Raines aussi en partie parce qu'il ne peut toujours pas le faire: membre de l'ACBA depuis 10 ans, il ne couvre les activités du Baseball majeur à temps plein que depuis cinq ans et ne pourra pas remplir de bulletin de vote avant encore cinq ans.

Il a expliqué à La Presse canadienne ce qui l'a motivé à écrire cette lettre, publiée lundi au cbssports.com.

La Presse canadienne: Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire cette lettre aux membres électeurs de l'ACBA afin de les encourager à voter pour Tim Raines?

Jonah Keri: Deux choses. La première, c'est que j'ai grandi à Montréal, à Ville Saint-Laurent, et Raines a commencé à jouer en même temps où j'ai commencé à m'intéresser au baseball, soit 1981. C'est la première année où j'ai vraiment de réels souvenirs liés au baseball. J'allais avoir 7 ans cette année-là et c'était l'année recrue de Raines et il était incroyable. Il est devenu mon joueur favori et je l'ai encouragé tout au long de sa carrière.

La deuxième, c'est que je suis le baseball beaucoup de façon analytique. Je crois beaucoup en la reconnaissance des joueurs dont les habiletés ne sont pas toujours évidentes. Babe Ruth? OK, il a frappé un paquet de circuits et il est facile d'établir qu'il est le meilleur de tous les temps. Tim Raines? Il était aussi un grand joueur, mais il faut porter attention à des statistiques comme son habileté à atteindre les sentiers, à voler des buts à un haut taux de réussite. Ce sont-là des statistiques qui demandent un peu plus de nuance - mon mot français préféré - (NDLR: qu'il dit d'ailleurs en français au cours de l'entrevue) de travail afin d'en saisir leur plein impact. Alors le désir de le voir reconnu à sa juste valeur - et le voir entrer au Temple de la renommée, la plus belle marque de reconnaissance qui soit -, c'est ce qui m'a poussé à écrire cette lettre.

PC: Vous vous servez abondamment des statistiques avancées pour appuyer votre point. Croyez-vous que les électeurs de l'ACBA comprennent suffisamment ces statistiques pour apprécier à sa juste valeur la carrière de Raines?

JK: C'est certain que je suis un grand fan de ces stats: mon père m'a acheté mon premier livre de Bill James (NDLR: le créateur de la "sabermétrie", sur laquelle reposent la plupart des statistiques avancées au baseball) quand j'avais 8 ans. J'essaie de simplifier tout cela par contre. Ce n'est pas comme si j'avais une formation analytique: je suis diplômé de journalisme de l'Université Concordia, je suis un écrivain et l'ai été depuis près de 20 ans maintenant. Mon objectif n'est pas de bombarder les gens de statistiques avancées, c'est d'établir des arguments convaincants en anglais simple. C'est ce que je fais dans la vie de tous les jours: j'explique les statistiques avancées des joueurs des Majeures en des termes que les gens peuvent comprendre. Alors oui, je parle brièvement du "Wins Above Replacement" (WAR) dans ma lettre, mais là ce que j'essaie surtout de démontrer, c'est est-ce qu'un but sur balles est aussi bon qu'un simple? Qu'est-ce que ça signifie d'obtenir plusieurs buts sur balles? Et quand j'aborde le WAR, je l'aborde de façon simple. Je ne dis pas qu'il faut connaître la formule, mais que ça prend tout pour entrer à Cooperstown: frapper, courir, le jeu défensif et de le mettre en une statistique que les gens peuvent comprendre.

Et cette statistique, le WAR, au cours des 10 premières saisons de Tim Raines (1981-90), ce n'était pas Mike Schmidt, ou Andre Dawson, ou Ozzie Smith, ou Ryen Sandberg qui avait la meilleure. C'était Tim Raines. Il était le meilleur joueur de la Nationale pendant ces 10 ans. En l'expliquant, vous ne mettez pas la responsabilité sur le dos des électeurs de pouvoir décortiquer cette statistique. Ce que vous faites, c'est de parler le même langage qu'eux, leur disant de façon polie et amicale qu'il était le meilleur. « Voici des informations que peut-être vous ignoriez et peut-être devriez-vous les considérer. »

PC: Après avoir raté son intronisation par 23 voix l'an dernier, croyez-vous qu'il obtiendra suffisamment de votes cette fois-ci?

JK: Je crois qu'il a une très bonne chance. Je fais bien attention de ne pas prendre le mérite. Oui, je pousse fort pour lui et je tente de convaincre les gens, mais si Raines est admis, ce sera entièrement grâce à lui. Ce sont ses statistiques, sa carrière parle d'elle-même. Mais il était si près l'an dernier. J'ai déjà contacté quatre ou cinq personnes qui n'ont pas voté pour lui l'an dernier et qui m'ont dit: « Jonah, c'est bon de te parler, je vais voter pour Raines cette année ». C'est super! Il ne nous reste plus que 18 votes à aller chercher. Il y a aussi de nouveaux électeurs cette année et ces nouveaux électeurs ont tendance à voter pour Raines (NDLR: 90 pour cent des électeurs de première année l'ont fait l'an dernier), alors ce pourrait être un aspect positif.

Cooperstown a aussi un système d'attrition des électeurs, retirant leur droit de vote à ceux qui n'ont pas suivi le baseball de façon aussi assidue au cours des dernières années. Si, après avoir obtenu le droit de vote, vous couvrez d'autres sports par exemple. Je ne veux pas dire que tous les plus vieux électeurs ne votent pas pour Raines, mais je dirais que cette génération d'électeurs a moins tendance à voter pour Raines que quelqu'un comme moi, plus jeune et qui couvre activement le baseball. Tous ces facteurs laissent croire qu'il pourrait être admis. Il y a aussi le fait qu'habituellement, les joueurs qui en sont à leur dernière année d'éligibilité reçoivent plus de votes, comme Alan Trammel l'an dernier, même si ça n'a pas été suffisant pour le faire entrer.

PC: Vous croyez que si les Expos étaient toujours à Montréal, Raines aurait déjà été admis?

JK: Non, je ne crois pas. Les gens ont plusieurs hypothèses. Certains avancent que comme les Expos n'étaient pas très connus à l'époque et qu'ils n'existent plus, c'est pourquoi il n'y est pas. D'autres croient que c'est en raison de ses démêlés avec la cocaïne, mais Paul Molitor et Ferguson Jenkins sont au Temple de la renommée et ils ont tous pris de la cocaïne. À mon avis, c'est vraiment le plateau des 3000 coups sûrs qui fait la différence. Les seuls frappeurs de 3000 coups sûrs qui ne sont pas au Temple, il y a Derek Jeter, qui n'est pas encore éligible; Ichiro Suzuki, qui joue toujours; Pete Rose, qui est suspendu à vie; et quelques gars qui sont liés à l'époque des stéroïdes. Tous les autres ont été admis.

PC: Croyez-vous que les électeurs évaluent à leur juste valeur les buts volés?

JK: C'est une bonne question. Je crois que certains d'entre eux ne savent quoi faire des buts volés. Rickey Henderson (1406 buts volés) était un si bon joueur qu'il aurait été élu d'une façon ou d'une autre. Ty Cobb (897) avait les buts volés, mais aussi tellement d'autres statistiques, dont plus de 4000 coups sûrs, qui parlaient d'elles-mêmes. Il est sans aucun doute l'un des cinq meilleurs joueurs de l'histoire. Lou Brock, qui a volé 938 buts, selon toutes les statistiques avancées, n'était pas un aussi bon joueur que Raines, mais il avait le chiffre magique de 3000 coups sûrs, alors il allait être admis de toute façon.

Raines est le premier candidat qui a basé la majeure partie de sa réputation sur les buts volés, mais est-il, selon certains, hors de tout doute un joueur qui mérite d'être au Temple? C'est la difficulté pour lui: c'est le premier gars dont une partie de l'électorat ne sait pas quoi faire de sa principale qualité. Je pense que dans son cas, les gens oublient à quel point ça l'a rendu dominant.

La lettre

NDLR : Voici la traduction de la lettre intégrale qu'a fait parvenir lundi le journaliste d'origine montréalaise Jonah Keri aux membres électeurs de l'Association des chroniqueurs de baseball d'Amérique

Aux: Électeurs du Temple de la renommée

Sujet: Tim Raines

De: Jonah Keri

Salut, électeurs de l'Association des chroniqueurs de baseball d'Amérique! J'espère que vous vous portez bien.

Je vous écris aujourd'hui au nom de la candidature de Tim Raines en vue de son intronisation au Temple de la renommée. Puisque vous n'avez pas voté pour Raines l'an dernier, j'aimerais prendre quelques moments pour mousser sa candidature, dans l'espoir que vous considérerez voter pour lui cette fois-ci.

Établissons d'abord cette prémisse de base: à moins de circonstances très atténuantes, amasser 3000 coups sûrs a historiquement garanti l'intronisation au Temple de la renommée. Chacun des joueurs ayant frappé 3000 coups sûrs, exception faite de l'inéligible Pete Rose, des joueurs dont le nom a été lié aux produits dopants et deux joueurs encore inadmissibles - Derek Jeter et Ichiro Suzuki - s'y trouvent.

Tim Raines a conclu sa carrière avec 2605 coups sûrs.

Il n'y a pas de garantie qu'il aurait obtenu une flambée de votes supplémentaires s'il avait obtenu 3000 coups sûrs. Mais compte tenu de ce que l'on sait sur les élections précédentes et la force des plateaux, on peut assurer sans craindre de se tromper que sa candidature aurait été vue d'un autre oeil s'il avait frappé ces 395 coups sûrs additionnels.

Il y a un vieil adage au baseball, qu'on entend dès les Petites Ligues, c'est qu'un but sur balles est aussi bon qu'un coup sûr. Ce n'est pas toujours vrai, bien sûr. Il faut tenir compte du contexte. En amorçant une manche, il n'y a pas de différence entre un simple et un but sur balles, tandis qu'avec des coureurs sur les sentiers, un simple a souvent plus de valeur.

Malgré tout, prenez tous les simples et tous les buts sur balles de l'histoire et il est raisonnable de dire qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre les deux résultats. D'atteindre les sentiers est plus important que la façon dont les joueurs s'y prennent.

Changez la définition de coups sûrs pour celle de présences sur les buts et la conversation change complètement. Raines a atteint les sentiers 3977 fois en carrière. C'est davantage que Tony Gwynn, Lou Brock, Roberto Clemente, Mike Schmidt, Roberto Alomar, Eddie Mathews, Brooks Robinson et Harmon Killebrew, qui sont tous à Cooperstown. Si vous n'évaluez aucun autre aspect de sa carrière, à elle-seule cette statistique fait de Raines un très fort candidat à l'intronisation.

Mais bien sûr, ça n'est pas là son seul exploit. Loin de là.

Dans toute l'histoire du baseball, seulement cinq joueurs ont volé 800 buts ou plus. Les quatre premiers - Rickey Henderson, Lou Brock, la vedette du 19e siècle Billy Hamilton et Ty Cobb - sont tous au Temple. Raines est le seul qui n'y est pas.

Il a été une terreur sur les sentiers dès le premier jour. Les 27 premières fois que Raines a tenté de voler un but dans les Majeures, il a réussi. Sa première saison, en 1981, a été marquée par une grève des joueurs qui a forcé l'annulation de deux mois complets. C'est malheureux. Quand les joueurs ont quitté les terrains après les rencontres du 11 juin pour déclencher la grève, Raines avait volé 50 buts en 54 tentatives. À ce qu'il paraît, les lanceurs et les receveurs de la Nationale ont pleuré de joie quand Raines a été retiré une première fois: au moins, ils savaient maintenant qu'il était humain.

Si Raines avait couru de façon insouciante, on pourrait comprendre qu'on ne soucie pas de ce haut total de buts volés. Après tout, un but volé n'aide pas tant que ça votre équipe si vous le faites à tout moment et êtes retiré. Mais voilà: cette séquence de 27 buts volés pour amorcer sa carrière était annonciatrice de ce qui allait se passer au cours des 23 saisons suivantes. Il a volé 808 buts en carrière et n'a été pris en défaut que 146 fois. C'est un taux de réussite de 84,7 pour cent, la plus haute de tous les joueurs de l'histoire avec 400 tentatives ou plus.

Ces prouesses au bâton et sur les sentiers placent Raines au sein d'une impressionnante liste de membres du Temple de la renommée. Néanmoins, le Temple est un endroit qui devrait récompenser les plus grands joueurs de l'histoire, alors nous voulons souligner le travail de ceux qui se classent parmi les meilleurs de leur époque.

Faisons-le. Pour la période de cinq ans couvrant les saisons 1983 à 1987, le meilleur joueur de la Nationale selon la statistique des "victoires au-delà du remplaçant" (Wins Above Replacement - WAR) n'était pas Mike Schmidt, Dale Murphy, Andre Dawson, Gary Carter, Tony Gwynn, Ozzie Smith ou Ryne Sandberg. C'était Tim Raines.

Au cours de ces cinq années, Raines a maintenu une moyenne de ,318/,406/,467, 43 pour cent meilleure que la moyenne de la ligue. Il a volé 355 buts au cours de cette période, une moyenne de 71 par saison, la meilleure de la ligue. Son taux de réussite de 88 pour cent était également le meilleur pour tout joueur avec sensiblement le même nombre de tentatives. Si vous êtes un partisan des statistiques liées au travail d'équipe, Raines écrasait également toute compétition à ce chapitre: il a marqué 568 points au cours de cette période, soit une moyenne de 114 par saison, aussi la meilleure de la Nationale.

On n'a pas qu'à se limiter à des intervalles de cinq ans pour juger de la domination de Raines. De 1981 à 1990, les 10 premières saisons de Raines dans le Baseball majeur, le meilleur joueur de la Nationale pour le WAR était... Tim Raines. Jumelez cette décennie dominante à une fin de carrière toute aussi glorieuse qui comprend deux titres de la Série mondiale avec les Yankees et nous avons un joueur dont les exploits, selon des critères historiques, méritent de lui ouvrir les portes du Temple.

Il ne s'agit pas de spéculations ici, seulement des faits historiques. Jay Jaffe, qui écrit pour Sports Illustrated et Baseball-Reference, tient compte d'une statistique appelée JAWS, qui compare les joueurs avec ceux déjà membres du Temple de la renommée. L'idée derrière JAWS est simple: si vous votez en faveur de l'intronisation d'un joueur, il vaut mieux élever les standards du Temple que de les abaisser. Si la carrière d'un joueur donne un meilleur JAWS qu'au moins la moitié des 217 joueurs déjà intronisés, vous mettez la barre plus haute. JAWS réalise cette tâche en comparant chaque joueur sur le bulletin de vote avec chaque membre du Temple ayant évolué à la même position.

Au total, 19 voltigeurs de gauche ont été élus à Cooperstown. Voter pour Raines équivaut à élire le sixième plus grand voltigeur de gauche de tous les temps. En regardant objectivement une façon de voter, puis une autre, puis encore une autre, en considérant autant les statistiques traditionnelles qu'avancées, de voter pour Raines mettrait la barre plus haute.

Comme vous le savez, il s'agit de la 10e et dernière année d'éligibilité de Raines. D'appuyer sa candidature honore l'un des plus grands premiers frappeurs de l'histoire, un joueur admiré, craint et révéré autant par les plus grands penseurs du baseball que les meilleurs joueurs de son époque. Quand on lui a demandé de parler des qualités de Raines au cours de sa monstrueuse saison 1984 (moyenne de ,309, présence sur les buts de ,393, 106 points marqués et 75 buts volés) Pete Rose, une autorité en la matière, n'avait pas tari d'éloges: « Présentement, il est le meilleur joueur de la Nationale, avait-il dit à Ron Fimrite, de Sports Illustrated. Mike Schmidt est un joueur formidable, comme le sont Dale Murphy et Andre Dawson, mais 'Rock' peut vous battre de plus de façons que tout autre joueur dans la ligue ».

J'espère que cette lettre contribuera à vous faire voter pour Raines. Si vous désirez de plus amples informations qui pourraient aider à guider votre décision ou voulez simplement discuter, je serais très heureux de le faire.

Je vous remercie pour votre attention!

Jonah