Par Éric Leblanc - Boxeur à la personnalité unique et attachante, Stéphane Ouellet est un oiseau rare qui a dû retourner dans le nid familial dans sa région natale du Saguenay-Lac-Saint-Jean pour guérir ses blessures et vaincre ses démons. À l'aube de ses 40 ans, le nouvel entraîneur a accepté de se confier sur ses anciennes dépendances à la drogue et à l'alcool qui ont ruiné sa prometteuse carrière. Outre cet article, ne ratez pas les deux reportages à caractère humain de Jean-Luc Legendre qui seront diffusés mercredi et jeudi sur les ondes de RDS et RIS.

«J'ai scrappé la plus belle partie de ma vie, mais il me reste une deuxième partie», avoue sans détour celui qui n'a rien perdu de son franc-parler. «C'était le temps ou jamais de prendre ma vie en main et c'est exactement ce que j'ai fait en complétant mon secondaire V l'an dernier.»

Pour les amateurs de boxe, le dernier souvenir de cet athlète demeure sa pathétique défaite encaissée en seulement 69 secondes contre Joachim Alcine au Centre Bell en 2004. Ouellet n'a pas oublié ce déplorable dénouement et il a même tenté un ultime retour en décembre pour effacer sa dernière fausse note.

«Je me disais que j'allais avoir 40 ans au mois de juin (2011) et que c'était ma chance ou jamais de me battre au mois d'avril», a révélé Ouellet. «J'ai demandé à Stéphane Payette (le nouveau promoteur de SP Promotion) d'appeler Alcine pour lui demander s'il était intéressé de m'affronter pour le dernier combat de ma vie. Il a perdu son dernier combat au premier round et il n'est plus champion du monde. Il a dit non et il a préféré quelqu'un d'autre et je le comprends. Il pense à l'évolution de sa carrière et je ne suis pas classé donc ça ne lui donnerait rien.»

Cette confidence de Ouellet avait de quoi surprendre surtout à la suite d'une absence de la compétition de six ans, mais il désirait corriger cette déconfiture.

«C'est normal d'avoir parfois l'envie de recommencer, la boxe c'est en moi. Les choses ont trop mal fini dans mon cas et j'aurais aimé conclure d'une autre façon. Mais il n'y aura pas d'autre combat, c'était Alcine ou rien… », a confié Ouellet à la suite d'une conférence de presse de SP Promotion, le nouveau joueur qui tente de se faire une place sur la scène québécoise de la boxe.



«Ce n'était pas Stéphane Ouellet qui était dans le ring ce soir-là. J'ai su la veille du combat que je n'aurais pas de bourse et, au niveau personnel, ça allait mal avec mon ancienne femme et mes enfants. Je ne me suis jamais servi de cela pour excuser mon combat, mais ma tête n'était vraiment pas là. J'avais aussi de gros problèmes de consommation qui sont réglés», continue-t-il.

Ouellet n'a peut-être pas réussi à effacer ce fantôme, mais il a trouvé la force pour se pointer de nouveau le nez en public à Montréal après une dernière expérience éprouvante. À la fin 2007, Jean Pascal l'avait invité à l'accompagner lors de sa marche vers l'arène pour un combat contre Brian Norman au Centre Bell et le Jonquiérois s'était présenté avec une longue barbe et une attitude méfiante.

«J'ai été très déçu quand j'ai lu dans le journal qu'on disait que j'avais l'air de sortir du bois avec les yeux hagards. Qui n'a jamais connu de mauvaises périodes dans sa vie? Je suis tout de suite allé prendre plusieurs bières et ils ne me reverront plus jamais la face en public», clame Ouellet.



Ce retour à Montréal était donc significatif pour celui qui affichait une bien meilleure mine qu'à sa dernière visite.

«Je suis content de revenir à Montréal, mais ça fait quand même drôle. Ce fut comme le théâtre de mes derniers cauchemars. Je reviens un peu comme un conquérant, mais pas pour conquérir grand-chose et plutôt ma personne», explique-t-il sur un ton émotif.

Oublier les regrets et relancer sa vie

Lorsque Ouellet parle de reconquérir sa personne, il fait notamment allusion aux nombreux regrets qui le tracassent toujours puisque cette étape est cruciale afin d'avoir l'esprit libre.

«J'ai fait la paix avec ça dernièrement, mais c'est sûr que je suis bourré de regrets», précise-t-il. «J'ai arrêté de consommer des drogues chimiques quand j'ai arrêté de boxer ; une fois que j'avais tout perdu. Ma grande fierté c'est de m'être remis sur pied avec mon diplôme alors que ça faisait 20 ans que je n'avais pas été à l'école et j'aimerais me trouver un cours au CÉGEP.»

Outre ses regrets au niveau des drogues et de l'alcool, celui qui était surnommé «Le Poète» a aussi perdu sa réputation.

«Quand je fais le bilan de ma carrière qui a duré près de 20 ans, j'ai connu de nombreux succès sauf que les quatre dernières années ont été horribles. C'est tellement plate pour moi, mes parents et ma famille. J'ai perdu beaucoup de crédibilité. J'avais eu besoin de plusieurs années pour gagner du respect et je l'ai perdu en une fraction de seconde», se désole Ouellet.

À force de remonter la pente, le sympathique personnage récolte des dividendes qui n'ont pas de prix.

«J'ai deux garçons de 14 et 15 ans que j'ai retrouvés quand je me suis rapproché d'eux au Saguenay. J'ai aussi une fille à Longueuil, mais ça fait plusieurs années que je ne l'ai pas vue en raison de problèmes avec sa mère. C'est malheureux, j'espère régler cela et je crois que je vais la retrouver.»

Ouellet est heureux que ses fils soient de retour dans sa vie et il doit justement une fière chandelle à ses parents qui ont contribué à le sortir du pétrin il y a environ deux ans.

«Ce sont mes parents qui m'ont aidé alors que personne ne voulait le faire. Je n'avais plus d'argent et j'ai appelé ma mère. Je lui ai dit : «Calique, me donnerais-tu une dernière chance? Je te le jure, je m'en viens à la maison et donne-moi une dernière chance», raconte-t-il avec sincérité.

Cet appel était son dernier recours. «Si un jeune avait appelé sa mère pour lui demander de l'aide et qu'elle avait dit non, il aurait réagi en allant se droguer ou se saouler. J'ai eu la chance d'avoir ma mère qui a cru en mes moyens. Elle a vu quelque chose en moi donc je suis capable.»

Malgré cette tempête au niveau personnel, Ouellet partage sa vie avec la même femme depuis six ans et il lui en est très reconnaissant.

«Elle m'a beaucoup aidé. J‘étais habitué que les gens m'aiment pour ce que j'avais, mais là je n'avais rien! On a évolué ensemble», évoque Ouellet avec affection.

Une carrière ponctuée par la drogue et l'alcool

Étrangement, la vie personnelle de Ouellet a tourné au cauchemar à la suite de sa seule victoire contre Dave Hilton lors de leur troisième affrontement en septembre 2000.

«Après avoir battu Dave Hilton, j'étais tellement content que je me suis drogué comme jamais et je ne sais pas encore quel était le rapport», laisse tomber Ouellet avec déception.

Cette période creuse a mené à une série d'événements désolants qui l'ont mené vers la fin connue de tous.

«Je me suis ensuite chicané avec tout le monde dont Yvon Michel parce que j'étais sur la mescaline. Je me tenais avec des gens négatifs et plusieurs personnes me disaient qu'on profitait de moi, mais ce n'était pas vrai du tout. Tout cela a mené à mon combat contre Omar Sheika (défaite par K.-O. au deuxième round) et la débandade a continué vers les combats ultimes», décrit Ouellet.

La drogue était malheureusement partie intégrante de sa vie au point qu'il planifiait sa consommation avec les dates de ses combats. Ayant surmonté cette époque noire, il n'hésite pas à raconter un exemple éloquent.

«Quand j'arrivais à six semaines d'un combat, je savais que je devais arrêter de consommer des drogues chimiques, mais que je pouvais boire de l'alcool et fumer (de la marijuana) jusqu'à trois semaines avant l'affrontement. Le talent m'aidait et j'avais de la misère à être sérieux parce que je n'aimais pas ce que je devenais quand j'étais tranquille.»

Boxeur au cœur d'artiste, le parcours de Ouellet a été grandement influencé par cette facette de sa personnalité.

«Il faut dire que mon idole était Jim Morrison (The Doors) et c'est difficile quand tu veux devenir champion du monde en boxe. Ce sont deux univers tellement différents et ça ne m'a pas aidé. Il sera toujours spécial pour moi surtout en raison de son génie littéraire», souligne-t-il comme piste explicative.

Ouellet a grandi sur la scène de la boxe québécoise au même moment qu'Éric Lucas. En fait, Ouellet occupait l'avant-plan lors des premières années, mais Lucas a renversé les rôles au fil du temps grâce à son acharnement à l'entraînement et son ascension au statut de champion du monde.

Cette étroite relation a finalement mené à une certaine amertume dans le cœur de Ouellet.

«Je ne te cacherai pas que je ressentais de la jalousie quand il est devenu champion du monde. J'étais en calice surtout que tout allait mal pour moi. C'était des sentiments humains normaux parce que je suis passé à côté du bateau alors qu'il était en plein dedans», se remémore Le Poète.



«C'était quasiment un défi pour moi d'arriver dans le ring le moins préparé possible parce que ça devenait mon cœur qui s'exprimait. Cette façon de faire m'a rattrapé et le talent ne suivait plus. D'ailleurs, la plus belle preuve c'est Éric : il n'arrêtait jamais et il tentait de me convaincre de m'entraîner en venant me chercher le matin».

Cette convoitise n'a pas duré très longtemps et Ouellet était plein d'admiration pour Lucas quand il a effectué son retour dans l'arène au cours des derniers mois.

«J'ai seulement pensé du bien de cette tentative surtout que sa fille a été malade. J'ai tout suivi à distance et j'étais content qu'il revienne peu importe qu'il gagne ou non. Il l'a fait pour le plaisir et pour se prouver à lui-même.»

Que pense-t-il de Lucian Bute et Jean Pascal

Même si sa carrière porte l'ombrage d'un gros nuage, Ouellet est toujours aussi friand de boxe et il suit ce sport avec un grand intérêt. Les parcours fructueux de Lucian Bute et Jean Pascal pourraient le rendre amer, mais c'est loin d'être le cas.

«Je n'ai jamais vu des champions comme eux ici. On a les meilleurs, meilleurs au monde !», clame-t-il avec enchantement. Ils ont chacun leurs forces et ils sont attachants à leur façon. Tous les millions de Québécois devraient toujours être derrière eux.»

Ouellet tient ce discours aujourd'hui, mais il n'a pas toujours été dans le coin de Pascal à l'image de nombreux Québécois.

«Au début, je trouvais qu'il avait une grande gueule, mais quand j'ai vu qu'il était capable de livrer la marchandise, je me suis rangé derrière lui. J'ai justement loué son dernier combat contre Bernard Hopkins. Ça m'a couté cher sauf que j'avais des frissons tout le long tabarouette. Je regarde Yvon Michel et je suis tellement content de le voir à ce niveau. Il a travaillé dur pour y arriver et il l'a amplement mérité comme InterBox d'ailleurs»,

Encore poète à ses heures, Ouellet conclut plutôt cet entretien d'une énorme franchise avec une touche de philosophie.

«Je vais me rappeler toute ma vie que j'aurais pu atteindre de tels niveaux et tout l'argent que j'aurais pu faire. Ça me fait mal au cœur sauf que je me dis que ça fait partie de la vie et je veux réussir la mienne», laisse tomber Ouellet avec un sourire rassurant au visage.

* Je vous invite à lire mon blogue Que sont-ils devenus (Stéphane Ouellet) pour d'autres révélations de l'ancien boxeur.