Lorsqu’Adonis Stevenson défendra son titre des poids mi-lourds du WBC le 19 décembre au Colisée Pepsi de Québec, ne cherchez pas le journaliste Vincent Morin aux abords du ring.

N’attendez également pas son compte-rendu du gala, étant donné qu’il n’écrira pas ce soir-là. À vrai dire, il ne sera même pas présent au vieil amphithéâtre, ratant ainsi un combat de championnat du monde disputé en sol québécois pour la première fois depuis belle lurette.

C’est que quelques heures avant Stevenson, Morin aura combattu pour la première et dernière fois dans les rangs professionnels en ouverture du premier événement organisé par Renan St-Juste à l’Aréna de Repentigny. Il aura alors réalisé un rêve qu’il caressait depuis longtemps.

« C’était un objectif », a lancé d’entrée de jeu Morin au cours d’un très long entretien tenu la semaine dernière dans un café du centre-ville de Montréal. Une discussion à l’image de toutes celles qu’il a eues avec l’auteur de ces lignes au fil des années, où les anecdotes ont pour toile de fond l’immense respect qu’il voue aux boxeurs qu’il semble connaître depuis toujours.

Car avant d’être journaliste, Morin est fondamentalement un combattant animé par les valeurs que la boxe lui a inculquées. Ainsi, il n’est pas un étranger aux yeux des Kevin Bizier, Antonin Décarie, Sébastien Demers, Benoît Gaudet, Sébastien Gauthier, Dierry Jean, Jean Pascal et Bermane Stiverne, puisqu’il les a tous côtoyés à un moment ou un autre alors qu’il était membre de l’équipe québécoise de boxe olympique. Il est tout simplement un des leurs.

Il ne faut donc pas imaginer un instant que Morin s’est payé une fantaisie après être tombé en amour avec le sport qu’il couvre. Et c’est pourquoi il était hors de question qu’il affronte un adversaire battu d’avance pour cette occasion. Logiquement, le Néo-Brunswickois Luke Noel - un champion de boxe thaï - devrait être en mesure de lui offrir l’opposition qu’il souhaite.

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Cela fait près d’une décennie que Morin cogite l’idée de se lancer dans pareille aventure.

À la suite de ses débuts en kickboxing à l’âge de 16 ans, il devient champion canadien à 17 ans, mais l’espoir de faire carrière dans ce sport jadis extrêmement populaire n’existe plus. Les heures de gloire de Jean-Yves Thériault sont définitivement chose du passé à ce moment.

Après un ou deux combats professionnels dans « des soirées étranges et un peu louches », le jeune homme met le cap sur le Club de boxe Perfecto dirigé par Gaétan Pelletier pour y découvrir le noble art. Se sentant à l’étroit, il déménage ensuite ses pénates à St-Hyacinthe.

« Quelques boxeurs, dont David Gauthier - actuel membre de l’équipe nationale -, et moi avions décidé de nous présenter au meilleur club de boxe du Québec à l’époque. Nous avons trouvé une nouvelle famille, relate Morin. Chaque fois que nous mettions les gants, c’était une guerre.

« Sébastien Demers, Francis St-Martin, Jonathan Barbeau… Il y avait du gros calibre. Ce n’était d’ailleurs pas rare que l’entraîneur Marc Ramsay du Club de boxe Legends venait à St-Hyacinthe avec ses meilleurs : Jean Pascal, Antonin Décarie et Dominic Longpré. C’est ainsi que je suis devenu champion des Gants d’argent, qui sont réservés aux amateurs de moins de 10 duels. »

Mais c’est véritablement aux Gants dorés que Morin deviendra un incontournable, alors qu’il battra le champion québécois Jonathan Lamy 50-41 - un pointage remarquable pour un combat de boxe amateur. Lamy était un protégé d’un certain Jean Zewski, père de Mikaël Zewski.

Les années passent et Morin se rendra jusqu’en finale des championnats canadiens contre Sébastien Gauthier, mais n’aura jamais la chance de le défier dans le ring. Évoluant chez les moins de 48 kilos, il ne sera jamais en mesure de respecter la limite à la pesée. Avec cette défaite par forfait s’ajoute surtout la fin de son rêve olympique, puisqu’une victoire lui aurait permis de participer à différentes compétitions internationales en vue d’une qualification pour les Jeux d’Athènes en 2004. Encore aujourd’hui, l’émotion est palpable lorsqu’il en parle.

« C’est ce qui fait que j’ai arrêté de boxer pendant un bon bout de temps, explique Morin. Je vivrai toujours avec ce regret. J’aurais vraiment dû combattre chez les moins de 51 kilos…

« Et est-ce que j’aurais gagné le combat si j’avais fait le poids? C’est une question que je vais toujours me poser. Je sais bien que je ne le saurai jamais, mais au fond de moi, je pense que oui. En sparring, je donnais du fil à retorde à Gauthier. J’avais le style pour lui donner du trouble. »

Cette mésaventure sonnera ni plus ni moins la fin de la carrière de boxeur de Morin, mais le début de celle de journaliste. En filigrane, il regrettera de ne pas avoir plongé comme bon nombre de ses semblables. C’est un peu pour régler la question une fois pour toutes qu’il a finalement décidé de passer de la pensée aux actes après tant d’années.

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Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Morin tente l’aventure de la boxe professionnelle. Sauf que c’est la première fois qu’il se rend véritablement jusqu’au bout.

En août 2012, le promoteur Douggy Bernèche lui avait fait une place dans un gala présenté au Chapiteau Maisonneuve, mais Morin a retrouvé de vieux démons la journée de la pesée.

« Je n’avais pas d’entraîneur et personne ne me suivait, précise l’homme maintenant âgé de 31 ans. Je mettais les gants, mais j’avais des douleurs aux genoux. Je n’étais donc pas capable de faire mon jogging, si bien que la perte de poids était difficile.

« Le contrat était pour un combat à 128 livres après avoir été à 135, 132 et 130 livres, et je n’étais pas capable de descendre en bas de 132. J’ai vraiment essayé de descendre, mais le matin de la pesée, j’ai commencé à me sentir mal et je me suis retrouvé à l’hôpital. »

La deuxième fois devait être la bonne l’été dernier à Chicoutimi, mais une mésentente entre le promoteur Michel Desgagnés et son protégé Francy Ntetu a forcé l’annulation de la carte.

Heureusement, la troisième tentative sera la bonne et de l’avis du principal intéressé, il ne pourrait être mieux entouré. Et le pire dans tout cela, c’est que cela relève du fruit du hasard.

« Je me suis retrouvé au nouveau club de St-Hyacinthe pour aller serrer la pince à Sébastien (Demers) et mon ancien entraîneur Marc Seyer. Dès que j’y ai mis les pieds, j’ai retrouvé l’ambiance de l’ancien club dans le nouveau. Ça sentait la boxe!

« Sébastien m’a demandé de faire de la palette et comme j’avais mes gants dans mon auto, j’ai dit oui. J’ai instantanément repris le goût de m’entraîner comme lorsque j’étais un petit cul de 20 ans! J’ai ensuite demandé à Sébastien s’il avait le goût de m’entraîner. »

C’est donc accompagné de son vieux complice que Morin montera sur le ring de l’Aréna de Repentigny vendredi soir. « C’est mon combat de championnat avec mon pote », illustre-t-il.

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Le combat de Morin est également une formidable incursion dans l’antichambre de la boxe professionnelle où les bourses sont dérisoires, les méthodes d’entraînement approximatives et les combattants laissés la plupart du temps à eux-mêmes.

Pour affronter Noel, Morin ne touchera que 400 $ ainsi qu’un pourcentage des revenus de la soirée. Cependant, la liste des dépenses ne fait que s’allonger et sans commanditaires, il devra finalement payer de sa poche pour réaliser son rêve.

Tomodensitogramme, tests sanguins, permis, entraînements et déplacements : un camp de six à sept semaines peut facilement coûter un millier de dollars pour un boxeur de sa trempe. Heureusement, il peut compter sur l’appui de nombreux contacts pour atténuer les frais.

Les athlètes qui sont sous contrat avec un promoteur comme InterBox, Groupe Yvon Michel ou Eye of The Tiger Management n’ont pas à gérer tous ces à-côtés. Une chance, puisqu’une préparation en vue d’un duel demande déjà énormément d’attention.

« J’avais déjà une petite idée de comment ça se passait. J’avais vécu un camp d’entraînement avec Marc Ramsay l’été dernier, indique Morin. C’est très difficile. Les gens n’ont pas idée à quel point des boxeurs comme Jean Pascal sont disciplinés.

« Il ne faut en aucun temps penser que c’est facile. Les gars sont fatigués. Lorsqu’ils rentrent chez eux, ils n’ont même pas le goût de manger, ils ont juste envie de vomir! Et il y a la pression de monter dans le ring devant des milliers de personnes. De savoir que tu vas te faire frapper. »

Imaginez alors tous ces boxeurs qui n’ont pas de machine derrière eux. Ils doivent souvent multiplier les boulots pour joindre les deux bouts. C’est possiblement pour cette raison que Morin n’accepte pas que certains amateurs qualifient ces combattants de « jambon ».

« Si tu as un autre job, tu deviens un journalier et tu vas avoir une fiche en dents de scie, mentionne-t-il. Ces gars-là du Mexique, de la Pologne ou de la Hongrie, ils se battent à des fins alimentaires. Ces gars-là ont du cœur au ventre.

« Si ces gars-là avaient été entourés dès le début, ils auraient peut-être pu avoir une bonne petite carrière avec une belle petite fiche. Ils n’ont pas eu cette chance et ils ont pris les combats qui se sont présentés à eux. Tu vois ces gars-là prendre des combats au pied levé et avoir l’air compétitif. Ce n’est vraiment pas facile… »

Cependant, n’allez pas croire que Morin se laissera prendre au jeu et qu’il prolongera le plaisir au-delà du combat qu’il disputera vendredi. Son idée est déjà faite, et il est acquis que son entourage ne sera pas là pour l’appuyer si jamais il décidait de revenir sur sa parole.

« C’est vraiment un trip que je vis. Je me prive jusqu’au 19 (décembre) et après, je vais pouvoir passer du temps avec ma famille, jure Morin. Je vais tout laisser dans le ring. Il me reste quatre bons rounds à donner et je vais ensuite avoir l’âme en paix. Je vais partir avec mes deux gants et encadrer mon contrat. Ce sera un symbole.

« J’ai vraiment eu du fun à faire ça, mais ç’a été rough tout l’été. J’ai hâte à mon combat, mais je suis fatigué et je ne ferais pas ça à temps plein. Je sais à quel point c’est difficile. C’est dur pour le corps, l’esprit et le mental. Il y a des journées où ça devrait bien aller et ça va mal. Tu dois aussi aller courir le soir à moins-15 degrés. Tu n’as pas le goût, mais tu y vas quand même. »

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Une fois la page tournée, Morin se concentrera à continuer de parler du sport qu’il aime tant. À l’écrit ou comme analyste à télévision internationale comme cela a été le cas pour le combat que Stevenson a livré contre Andrzej Fonfara en mai dernier. Bref, tous les prétextes sont bons pour discuter du sport qui lui a littéralement sauvé la vie.

« Je viens d’une bonne famille qui m’a transmis de bonnes valeurs, mais j’ai été élevé à la dure, conclut Morin. J’étais un adolescent belliqueux et j’ai été victime d’intimidation plus jeune. Je suis ensuite devenu un mécréant en cognant sur le monde pour me faire respecter.

« Bien des gens que j’ai connus dans ma jeunesse à Napierville sont aujourd’hui morts ou en prison. La boxe a fait de moi une meilleure personne. Pour certains, la boxe est un divertissement comme un autre. Mais pour certains jeunes, c’est une véritable porte de sortie. »

Il n’y en a pas à douter, le combat que Morin disputera vendredi lui permettra de vivre davantage qu’une soirée dans la peau d’un boxeur professionnel. Il sera le point d’exclamation d’une vie qui aurait pu être tout autre si la boxe ne lui avait pas enseigné la discipline et le respect.