Sadaf Rahimi : Combattre la machisme et les préjugés
Boxe mardi, 15 mars 2016. 08:39 jeudi, 12 déc. 2024. 02:50Quand Sadaf, boxeuse afghane de 19 ans, martyrise son sac de frappe dans les entrailles d'un stade de Kaboul, elle tabasse les préjugés machistes et exorcise l'histoire : c'est sur le terrain du stade que les talibans procédaient aux exécutions.
Soixante kilos, muscles bandés et regard perçant de fausse timide, Sadaf Rahimi enfile les gants. Un spasme libérateur accompagne chaque droite, chaque gauche écrasée contre les mains mitainées de cuir d'Agha Gul Alamyar, l'un de ses entraîneurs. Ses jambes dansent un tango affolé, elle plonge la tête entre ses pognes, se redresse, envoie une droite dont on n'aimerait pas être la cible.
Sadaf est une excellente boxeuse. Mais elle est surtout une exception dans un pays musulman où le sport féminin reste un tabou, en raison du poids des traditions et du qu'en-dira-t-on.
D'ailleurs, le bandana noir de corsaire de la jeune Afghane sert autant à retenir ses cheveux qu'à les dissimuler.
« Le foulard, je le porte aussi en dehors des entraînements », s'empresse-t-elle de préciser. « Nous vivons dans un pays conservateur. »
Le régime des talibans, épinglés pour leur traitement des femmes, a été renversé en 2001 par une coalition emmenée par les États-Unis. Depuis, la condition féminine s'est largement améliorée, mais un arrière-goût patriarcal reste en travers de la gorge de nombreuses Afghanes, ulcérées à l'idée d'être exclusivement assignées à la cuisine et à l'éducation des enfants.
Du haut de ses 19 ans, dont 7 sur le ring, Sadaf se voit une obligation morale de « prouver que les femmes ne sont pas obligées de rester chez elles. Elles peuvent être l'égal des hommes ».
« Retournement de l'Histoire »
Issue d'une famille de l'ethnie tadjike, de classe moyenne, Sadaf a d'abord dû se battre contre ses proches pour sa passion pour la boxe, sport qu'elle a découvert en regardant Mike Tyson et Laila Ali, la fille de Mohamed Ali, à la télévision.
« Ma famille était contre au début. Mes proches se demandaient pourquoi je boxais, ils pensaient que je devrais aider aux tâches ménagères et cuisiner. D'ailleurs, ma tante est toujours contre », raconte la jeune femme qui poursuit des études en économie.
Sa revanche sur le machisme et les heures sombres de la récente histoire afghane, Sadaf la tient déjà. Elle s'entraîne dans les vestiaires du stade Ghazi, à un uppercut du gazon dont les talibans se servaient pour leurs exécutions publiques lorsqu'ils dirigeaient l'Afghanistan, de 1996 à 2001.
L'une de ces mises à mort a été filmée en secret en 1999. Les images montrent une femme, Zarmina, exécutée à bout portant d'un coup de Kalachnikov pour avoir tué son mari violent.
« C'est vraiment un beau retournement de l'Histoire que de s'entraîner ici », estime Agha Gul Alamyar, qui veille sur Sadaf.
Las, les moyens de la Fédération afghane de boxe sont pour le moins rudimentaires. Les jeunes filles s'entraînent sur des tatamis élimés, les sacs de frappe sont vétustes et les gants travaillés par l'usure.
« Nous manquons de tout, de gants, de chaussures... Franchement, on ne ressent aucun soutien public en faveur des filles », se lamente M. Alamyar. Du coup, la Fédération ne compte que 20 femmes dans ses rangs. Une misère.
Soif de médailles
Pour rendre son sport plus attractif auprès de la gent féminine, Sadaf entend monter son propre club et devenir entraîneuse. Mais avant cela, étape obligée, la jeune boxeuse doit grimper sur des podiums internationaux, un rêve encore lointain.
Elle a bien remporté trois médailles de bronze lors de compétitions régionales, mais elle n'est pas encore auréolée d'une participation aux Jeux olympiques, véritable Graal pour tout sportif.
En 2012, Sadaf avait menti sur son âge pour honorer l'invitation des organisateurs des JO. Mais la Fédération internationale de boxe amateur (AIBA) ne l'avait pas laissée partir à Londres, de crainte que ses adversaires entraînées dans de meilleures conditions ne lui infligent des blessures.
Si cette année Sadaf ne verra pas Rio, c'est pour une raison plus prosaïque : sa défaite aux Jeux d'Asie du Sud en Inde à la mi-février lui barre le chemin des JO 2016.
« Je suis déçue », souffle-t-elle. « Mais (en Inde) je me suis retrouvée toute seule. Aucun entraîneur ne m'a accompagnée. J'ai eu zéro soutien. »