MONTRÉAL – Contre toute logique, l’UFC entend aller de l’avant avec la présentation de ses événements malgré la crise sanitaire qui paralyse la majeure partie de la planète. Mardi, son président Dana White a annoncé la tenue d’un gala qui mettra en vedette les Américains Tony Ferguson et Justin Gaethje, dans un endroit qu’il refuse de confirmer, le 18 avril.

RDS a sondé trois intervenants locaux, trois spécialistes de leurs domaines respectifs qui ont chacun leurs raisons de craindre les répercussions d’une telle décision.

Le médecin : « aucun respect pour les combattants »

« Ça n’a aucun bon sens ». Pendant l’entrevue qui durera environ onze minutes, Francis Fontaine utilisera cette expression sept fois.

Spécialisé en médecine sportive, Dr Fontaine a pratiqué pendant dix ans aux abords d’un ring dans son rôle de directeur médical du Groupe Yvon Michel. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il s’insurge après avoir eu vent des récentes démarches du président de l’UFC.

« Ok, mettons que tes combats se déroulent dans une salle vide, lance-t-il comme en réfléchissant à voix haute. Tu as quand même les athlètes, leur entourage, les officiels, les membres de la production télé. Je peux comprendre qu’il voit une opportunité. Tout est arrêté, il n’y a pas de source de divertissement, il veut en profiter. Le problème, c’est qu’on n’est pas  dans un film. »

Les différents scénarios envisagés par Dana White étaient encore enrobés de secrets quand notre expert s’est retrouvé au bout du fil mardi. Des rumeurs voulaient que l’UFC ait l’œil sur la côte ouest américaine. White avait lui-même alimenté le mystère en disant avoir déniché une île privée où il érigerait un octogone et transporterait par avion les vedettes de ses soirées. Francis Fontaine n’arrivait pas à croire ni l’une, ni l’autre de ces options.

En soirée, le New York Times confirmait des informations révélées par le journaliste indépendant Jeff Sherwood : l’un des lieux visés par l’UFC est un casino situé en territoire autochtone au cœur de la Californie. L’endroit est fermé depuis le 20 mars en raison de la pandémie de COVID-19.

« Ce n’est pas une bonne idée, insiste Francis Fontaine. Aux États-Unis, tout a commencé sur la côte ouest. La Californie a été énormément touchée. Tu vas aller sur une réserve? Je ne pense pas qu’il y ait le même niveau de protection, les mêmes standards de qualité pour la sécurité des combattants. »

« Et s’il y a un problème, tu dois évacuer ton gars. Tu vas l’amener dans un hôpital où tu devras compter sur des ressources qui sont déjà prises. C’est un sport qui est à risque. Les athlètes ont souvent besoin de soins après leur combat, mais présentement les gens qui sont habituellement là pour ça, ils sont déjà occupés à traiter autre chose. Ce n’est pas pour rien que tous les sports professionnels sont arrêtés. »

Le docteur Fontaine n’a évidemment rien inventé. En début de semaine, l’Association of Ringside Physicians (ARP) a émis un communiqué dans lequel elle recommandait la suspension de tous les événements relatifs aux sports de combat. Ceux-ci « exposeraient, en cette période de pandémie, toutes les personnes impliquées à des risques d’infection et de transmission non-nécessaires. »

« On ne parle plus juste deux adultes consentants, ajoute Dr Fontaine. C’est une décision qui va avoir un impact direct sur tout ce qui se passe ailleurs. Tu vas utiliser des ressources qui doivent être accessibles pour le reste de la population. Honnêtement, je ne peux pas croire qu’il y a un médecin qui va aller travailler là, pour ça. Ça ne se peut pas. »

L’arbitre : un triste retour en arrière

Yves Lavigne avait déjà fait la route de Montréal jusqu’au Connecticut lorsque le Bellator 241, auquel il avait été assigné comme arbitre, a été annulé. Déjà, dans les jours précédents, il avait été marqué par les mesures de sécurité inhabituelles qui étaient appliquées sur les lieux de l’événement.

« C’était bizarre comme ambiance », en garde-t-il aujourd’hui comme souvenir.

Près d’un mois plus tard, l’officiel d’expérience s’explique mal l’obstination de l’UFC. Non seulement l’organisation avance-t-elle dans le sens contraire de tous les avis scientifiques, mais elle renie selon lui ses propres principes.

« L’angle là-dedans que je trouve un peu effrayant, c’est que l’UFC, si on remonte même avant l’époque où les frères Fertitta en ont fait l’acquisition, a toujours voulu être reconnue comme une organisation sérieuse et majeure. Dana White a fait des pieds et des mains pour que les arts martiaux mixtes deviennent un sport bien réglementé. Il a demandé aux commissions athlétiques d’être impliquées. Il a fait un énorme travail, durant toutes ces années, pour légaliser le sport partout. Et puis là, tout d’un coup, il menace d’aller sur une île déserte. Je ne comprends pas. »

« Quelle commission athlétique va superviser ça? Quelles seront les mesures de sécurité en place? Comment les athlètes seront-ils testés? Ça va à l’encontre de tous les efforts qu’ils ont mis avec l’USADA pour les tests antidopage », se demandait Lavigne.  

Des réponses ont depuis été fournies à certaines de ces questions... mettons. En s’installant au Tachi Palace Casino Resort, l’UFC se placerait sous la juridiction de l’Association of Boxing Commission and Combative Sport (ABC), qui supervise tous les événements qui ont lieu en territoire autochtone. Mardi soir, l’ABC a réagi en se rangeant derrière l’ARP et en se disant fortement préoccupée par les plans de l’UFC. L’organisme n’entend pas sanctionner un éventuel gala de l’organisation et menace de punir tout officiel qui déciderait d’y participer.

« Quand nous seront revenus à la normale, comment les commissions athlétiques vont-elles réagir quand l’UFC voudra organiser un autre show sur leur territoire après avoir fait à sa tête et s'être autogéré de la sorte. Je ne connais pas la loi là-dessus, mais il y a des questions à se poser. Il y en a qui ont vu leur licence suspendue pour moins que ça », soulève Lavigne.

Comptable de profession, Lavigne travaille ces jours-ci à partir de la maison, comme tout citoyen qui en a la possibilité. Si le téléphone devait sonner pour l’inviter à ressortir son polo noir et à renouer avec l’octogone, l’appel serait de courte durée.

« Je ne comprends même pas qui va aller arbitrer là. Je ne comprends pas pourquoi je risquerais ma santé. »

« Je peux comprendre un fighter, c’est son gagne-pain. S’il ne se bat pas, il n’est pas payé. Mais je ne sais pas pourquoi [White] est si entêté. Est-ce parce que la compagnie est si endettée qu’elle doit absolument mettre un show sur la mappe? Je ne le sais pas. »

L’entraîneur : au-delà des risques de propagation

Richard Ho a le beau jeu. Comme aucun de ses poulains ne risque de se retrouver sur les cartes controversées de l’UFC, le propriétaire du gym H20 peut se prononcer en toute transparence sur le sujet du jour.

« Si un de mes gars avait besoin d’argent et se faisait proposer un combat, ça serait quelque chose qu’on n’aurait pas le choix de considérer. Mais ce n’est pas le cas présentement! », dit en riant l’entraîneur de l’ancien combattant de l’UFC Olivier Aubin-Mercier.

« D’un point de vue extérieur, ça m’apparaît assurément trop tôt pour présenter un gala. Avec tous les risques que ça implique, ceux qu’on connaît et ceux dont on ne peut même pas encore se douter, c’est une décision qui me semble précipitée. C’est vrai qu’il faudra éventuellement reprendre nos occupations normales et éviter que le virus contrôle éternellement nos vies... mais pas maintenant. C’est un peu extrême, comment on semble pressé de revenir. »

D’un point de vue purement sportif, Ho croit que l’empressement de White se justifiait quand il s’agissait de promouvoir un combat entre Ferguson et Khabib Nurmagomedov, le champion en titre de la division des poids légers. Mais l’indisponibilité du Russe enlève selon lui beaucoup de lustre à l’événement qu’on s’entête à mettre sur pied.

« Il y avait un si gros engouement autour de ce combat que ça justifiait presque tout le trouble qui venait avec. Mais dès que c’est tombé à l’eau, je crois qu’ils auraient dû tout annuler. Ferguson contre Gaethje, c’est un bon combat, mais ce n’est pas le combat de rêve que tout le monde voulait. »

En gardant toujours en tête la santé des athlètes, Ho affirme qu’il pourrait seulement mettre ses réserves de côté si White était en mesure de garantir à 100% la sécurité de ses combattants, chose impossible dans le contexte actuel.

« Il y a la semaine du combat, mais il y a aussi toute la préparation qui doit être faite en amont, note le coach. Un combattant a besoin de partenaires d’entraînement, il a besoin de ses entraîneurs, il a besoin de passer beaucoup de temps au gym. Tout ce qui affecte sa préparation normale augmente les risques de blessures. C’est un détail qui semble échapper à beaucoup de monde. Oui, il y a le virus, mais si un athlète ne peut se préparer adéquatement parce qu’il n’a pas accès à son gym, il fait face à un autre type de danger. »

« La semaine précédant le gala représenterait un autre défi. Habituellement, on côtoie toute sorte de monde, on loge dans des chambres d’hôtel, on partage le même gymnase et le même sauna. L’UFC devra expliquer les protocoles qu’il entend mettre en place pour s’assurer que tout le monde soit à l’abri d’un malheur. D’ici là, c’est difficile d’avoir confiance que les choses vont bien se passer quand il y a tant de questions qui demeurent sans réponses. »