« La faute de l'UFC », dit Yves Lavigne
UFC vendredi, 31 mars 2017. 16:12 dimanche, 15 déc. 2024. 04:48« Si tu veux creuser la source du problème des arts martiaux amateurs au pays, il faut que tu remontes jusqu’à 2013. Et je ne suis pas certain que tu veuilles écrire là-dessus, parce que c’est la faute de l’UFC. » C’est avec cette citation surprenante que s’amorce mon long entretien avec Yves Lavigne, le célèbre arbitre d’arts martiaux.
Il y a maintenant plus d’un mois, une compétition amateur de jiu-jitsu brésilien a été annulée en raison d’avertissements d’arrestation du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le tournoi était considéré comme illégal. Quelques semaines auparavant, la même situation est arrivée à un gala de muay thaï et à des cartes de kickboxing. C’est que le SPVM a soudainement décidé d’appliquer l’article 83 du Code criminel canadien, modifié en 2013, qui déclare qu’un duel de sport de combat amateur ne peut être tenu que si « le sport est visé par le programme du Comité international olympique ». Bref des sports comme la boxe, le taekwondo, la lutte olympique, le judo et le karaté peuvent être en compétitions amateures, mais pas les autres.
Yves Lavigne souligne que le problème a été causé par l’UFC et son ancien directeur des opérations canadiennes, Tom Wright. « Un de ses mandats était de changer l’article 83. Mais ce qu’il a réussi à faire, c’est de créer un paquet de problèmes pour tous les sports amateurs à travers le Canada. L’UFC se foutait de tous les sports de combat sauf les arts martiaux mixtes professionnels. Tom Wright a réussi à modifier le Code criminel en 2013, mais seulement pour bénéficier son sport. »
Désormais, l’article 83 permet la tenue de galas professionnels sous l’autorité d’une commission athlétique provinciale ou d’un organisme semblable.
Un comité pancanadien à la rescousse
C’est donc dire que les représentants de la justice auraient dû agir dans les compétitions amateurs depuis 2013, mais a seulement décidé d’appliquer la loi il y a quelques semaines. Le championnat national de jiu-jitsu brésilien s’est exporté en Ontario une semaine après son annulation à Montréal, le 26 février. L’article 83 est de législation fédérale, mais les autorités ontariennes ne sont pas intervenues dans la compétition. Il est là, le gros du problème. Il y a désormais que quelques corps policiers municipaux qui appliquent la loi. Avril s’annonçait comme un mois occupé dans le monde du jiu-jitsu brésilien dans la métropole. Mais Grappling Industries (2 avril), la Submission Fight League (9 avril) et Submission Arts United (15 avril), entres autres, ont dû suspendre leurs activités pour une durée indéterminée.
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Mais jusqu’à quand? Il y a déjà des groupes qui cherchent des solutions depuis longtemps. « Presque immédiatement après les ramifications de l’article 83, le gouvernement fédéral s’est rendu compte de ses erreurs, a raconté Lavigne. À partir de ce moment, ils ont décidé de former un comité pancanadien d’une douzaine de membres qui travaillent depuis 2014 à changer cette loi. »
L’arbitre québécois est du lot. S’il ne peut pas dévoiler qui sont les membres du comité, il mentionne qu’il inclut trois Québécois. Le comité s’est rencontré à plusieurs reprises pour formuler une série de recommandations. Le document a été rédigé et récemment déposé sur les bureaux du ministère de la Justice fédéral. Il ne reste qu’à patienter. On ne sait pas combien de temps, mais Lavigne est confiant. « Toutes les recommandations que nous avons faites vont révolutionner les sports de combat au Canada. J’aimerais que le ministère accepte tout ce que nous avons mis dans le document et nous avons été unanimes au sein du comité. Nous nous sommes assurés d’inclure et d’aider les futurs sports de combat qui ne sont même pas encore nés! »
Un représentant du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport québécois a confirmé que le ministère provincial a coprésidé les travaux pancanadiens du Groupe de travail fédéral/provincial/territorial sur la sécurité dans les sports de combat. « Dans un souci de considération et d'équité pour tous les sports de combat, le ministère axe ses travaux sur la recherche d'une « solution complète et durable », et non exclusive à un seul sport. »
Yves Lavigne a participé à plusieurs démarches de légalisation des sports de combat au Québec depuis la fin des années 1990. S’il a décidé de se remettre les pieds là-dedans, même s’il s’était promis de faire une pause, « C’est que je sais qu’il y a une intention et elle vient d’en haut. Quand c’est le gouvernement qui orchestre les démarches, c’est qu’il y a un vouloir politique. Donc, il y a un désir de changement. »
Une idée qui mijote
Chez les pratiquants du sport, on cherche également des solutions. L’annulation de l’évènement du 26 février a porté un dur coup moral chez les athlètes de jiu-jitsu brésilien. L’idée de la création d’une Fédération a commencé à sérieusement mijoter. Le problème, au départ, c’est qu’il y a beaucoup de gens impliqués. Des petites et des grandes écoles, dispersées, avec des valeurs différentes, des convictions coupées au couteau, des égos parfois froissables et des langues multiples. C’est ce qui fait le charme du jiu-jitsu, certes, mais la tâche de récolter toutes les voix est ardue.
Un organisme fédéré provincial pourrait réanimer un tantinet la flamme dans les divers dojos de la province. Car la motivation de quelques athlètes commençait un peu à piquer vers le bas. Avec aucune compétition au calendrier dans la Belle Province, certains se sont tournés vers des tournois chez les voisins du Sud. La date limite d’inscription pour l’Open de jiu-jitsu du Vermont du 8 avril est aujourd’hui, et parions qu’on y verra quelques participants québécois, impatients de tester leurs capacités sur les tatamis. Ce sera des solutions à court terme de ce genre qui redonneront le sourire aux compétiteurs amateurs du sport. Parce que les démarches pour règlementer les sports de combat amateurs pourraient être encore longues. D’ici là, « continuez d’en parler! » urge Yves Lavigne.