MONTRÉAL – Il faut être attentif quand Rory MacDonald prend la parole. Le propos du jeune homme est généralement relâché avec une constante monotonie, qu’il soit d’humeur ou non à faire la conversation.

Ne vous attardez donc pas au manque apparent d’enthousiasme, ne le méprenez pas pour une absence de substance. Rory MacDonald a des choses à dire.

Et aujourd’hui, tout particulièrement, MacDonald est en verve. Depuis une quinzaine de minutes, il s’évertue à justifier sa décision, celle de quitter l’UFC pour Bellator, un audacieux pari qui a rapidement fait le tour du petit monde des arts martiaux mixtes depuis vendredi dernier.

Mais encore, comme à chaque fois, ce ton désintéressé, ce trou noir d’intonation. Si bien qu’en trame de fond, des gémissements. C’est sa fille qui veut se mêler au débat. Elle est âgée de deux mois. Elle s’appelle Maia.

« Oui, comme Demian Maia », acquiesce calmement MacDonald en riant.

C’est pour elle que le combattant canadien, nouvellement papa, vient de porter le coup le plus significatif de sa carrière. Après avoir passé près de sept années au sein de ce qui est universellement considéré comme la plus prestigieuse et compétitive organisation de MMA au monde, MacDonald s’est inscrit à la courte liste des athlètes qui l’ont quittée de leur plein gré pour s’enrôler avec la compagnie concurrente.

Et la raison qui justifie son départ, il la crie haut et fort : l’argent.

« J’ai commencé à me voir ailleurs après mon combat contre Robbie Lawler, raconte le pugiliste de 27 ans en entrevue à RDS. Je méritais un meilleur traitement et c’est à ce moment que je l’ai réalisé. Je venais d’arriver au sommet de mon sport et j’étais encore cassé alors qu’une compagnie faisait des millions de dollars sur mon dos. À mes yeux, il y avait quelque chose d’anormal là-dedans. »

Sans tenir compte des bonis distribués à la discrétion de son employeur et de la contribution de ses commanditaires, MacDonald a touché une bourse officielle de 59 000 $ pour son combat de championnat épique contre Lawler en juillet 2015. Même chose pour son retour à la compétition un an plus tard contre Stephen Thompson.

« J’avais la conviction que je méritais d’être payé à ma juste valeur. Est-ce trop demandé? »

« Une transition est en train de s’opérer »

MacDonald a ébruité pour la première fois son intention de tester en temps et lieu sa valeur sur le marché en mars dernier sur les ondes de la populaire baladodiffusion The MMA Hour et n’a jamais évité le sujet par la suite. Dans un sport où les discussions d’ordre financier sont encore tabous, le coéquipier de Georges St-Pierre ne s’est pas gêné pour garder le thème dans l’actualité jusqu’à ce qu’il mette ses menaces à exécution.

Maintenant qu’il est passé chez le compétiteur, où il affirme que ses gains surpasseront jusqu’à cinq fois ce qu’il touchait avec l’UFC, MacDonald croit que ses mots et ses actions en convaincront d’autres de copier ses tactiques de négociation.

« Il y a une certaine crainte rattachée à l’argent de notre sport parce que personne ne veut aller à l’encontre de ceux qui le dirigent. Mais une transition est en train de s’opérer, estime-t-il. Je crois que les combattants sont de plus en plus conscients des différentes possibilités qui s’offrent à eux et du potentiel de Bellator. Cette compagnie a les moyens, le réseau et le personnel en place pour frapper fort. Et si dans le passé on avait raison de lever le nez sur leur écurie de combattants, ce n’est vraiment plus le cas aujourd’hui. »

MacDonald n’est pas le premier gros nom à sauter la clôture depuis que Scott Coker, l’ancien manitou de la défunte organisation Strikeforce, est revenu dans le portrait en prenant la place de Bjorn Rebney à la tête de Bellator. Avant lui, d’autres athlètes précédés d’une intéressante réputation – on peut penser à Phil Davis, Paul Daley ou Benson Henderson – ont vu une possibilité d’améliorer leur sort en marchant à contre-courant.

Mais le membre du Tristar Gym, à cause des spectaculaires batailles qu’il compte à son actif et parce qu’il est encore considéré comme étant à l’apogée de sa carrière, jouit d’une portée encore plus grande que ses nouveaux collègues.

« Je crois que l’attention que ma décision a reçue risque d’attirer celle d’autres combattants de l’UFC qui seront peut-être au moins tentés de regarder ce qui se fait ailleurs, de rencontrer, de discuter. Avant le changement de direction au sein de l’organisation, je ne crois pas que j’aurais considéré la possibilité de m’y joindre, mais l’arrivée de Scott Coker a complètement changé la donne et je crois que les athlètes qui ont une bonne tête sur les épaules le réalisent. Et les autres le réaliseront assez rapidement. »

Aucun regret

Conor McGregor et Nate Diaz viennent de faire sauter la banque en encaissant chacun quelques millions de dollars pour leur combat revanche. À l’extérieur de l’octogone, on assiste aux balbutiements de ce qui pourrait mener à la création d’une association visant à voir au traitement équitable des athlètes employés par l’organisation.

Bref, MacDonald quitte l’UFC à un moment où les perspectives d’avenir sont encourageantes pour les combattants.

« Mais je ne peux rester assis en attendant quelque chose qui pourrait ou ne pourrait pas voir le jour, rétorque-t-il. On ne fait que spéculer pour le moment alors que pour moi, c’était le temps ou jamais de passer à l’action. Je suis très heureux pour Nate et Conor et j’espère sincèrement qu’éventuellement, plus que deux gars pourront espérer toucher autant d’argent. Je suis sûr que des jours meilleurs attendent les combattants de l’UFC mais pour l’instant, je suis en paix avec ma décision. »

MacDonald n’a pas mâché ses mots envers ses anciens patrons au cours des derniers jours. Il a qualifié le modèle d’affaires de l’UFC d’«ennuyant» et laissé place à un paquet de sous-entendus en affirmant qu’il se sentait désormais respecté par ses nouveaux partenaires.

« Je respecte l’UFC, je ne pourrai jamais les remercier assez pour ce qu’ils ont fait pour moi et pour le sport, tient-il à rectifier. Ils m’ont sorti de l’obscurité pour faire de moi l’un des mi-moyens les plus populaires au monde et j’en suis très reconnaissant. Je suis en désaccord avec quelques-unes des décisions qu’ils ont prises récemment, mais c’est correct, il n’y a rien de mal là-dedans. Je ne quitte pas en mauvais termes, mais je ne pouvais plus continuer à mettre mon argent dans leurs poches. J’ai dû penser à moi et je suis certain qu’ils respectent ça. »

Perpétuel aspirant au titre de sa division, celui qui a été connu sous les sobriquets de « Waterboy », « Ares » et « Red King » n’aura jamais réalisé son rêve d’atteindre le sommet de la pyramide de l’UFC. Mais attention! L’homme d’affaires qui a pris naissance derrière le combattant a appris à ne pas se fermer de porte.

« C’est bien évident que ça me tiraille de savoir que cette ceinture m’a toujours échappé, mais je n’ai que 27 ans. Qui sait ce que l’avenir me réserve? Qui sait comment le sport évoluera? Je n’ai pas signé de contrat à vie. Je suis heureux de débuter une relation à long terme avec Bellator, mais rien n’est coulé dans le béton. Ce que je sais, c’est que je serai champion du monde un jour. Ce n’est qu’une question de temps. »