LONDRES (AFP) - La Formule 1 n'est plus une grande famille, mais la disparition du Britannique Ken Tyrrell, samedi, sera durement ressentie par beaucoup de ses membres, car "Oncle Ken" incarnait à lui tout seul une époque bénie de la F1, celle où les artisans de génie et les indépendants avaient encore une chance.

Oncle Ken s'est éteint dans son lit à 77 ans, chez lui dans le Surrey, vaincu par un cancer du pancréas. Il avait décroché définitivement de la F1 en 1997, vendant son écurie à British American Tobacco (BAT), le cigarettier américain, qui allait s'en servir pour créer BAR.

Dès son arrivée en F1, en 1968, à l'époque des Jack Brabham, Bruce McLaren et Graham Hill, des March et des BRM et des Lotus de Colin Chapman, Ken Tyrrell a pu compter sur un atout-maître: Jackie Stewart, un jeune pilote écossais qu'il avait découvert en 1964, en lui faisant essayer une F3.

Bien aidé par le constructeur américain Ford et le pétrolier français Elf, ce tandem allait dominer la F1 jusqu'en 1973: 25 victoires et trois titres de champion du monde pour Stewart, en 1969 sur Matra-Ford, en 1971 et 1973 sur Tyrrell-Ford. Les voitures bleues étaient quasiment imbattables et une nouvelle étoile pointait à l'horizon: François Cevert.

La mort tragique du jeune Français aux essais du Grand Prix des USA, en octobre 1973, allait précipiter la retraite de Stewart. Le règne de Tyrrell était fini, mais l'ancien pilote de la RAF, qui avait fait fortune comme entrepreneur forestier, avait encore quelques atouts dans sa manche. Il allait continuer à imposer sa présence, pendant près de 25 ans, dans les paddocks de F1.

Une F1 à six roues !

On retiendra aussi de Tyrrell la révolutionnaire P34 à six roues, capable de faire un doublé en Suède en 1976, avec Jody Scheckter et Patrick Depailler; les victoires de Michele Alboreto aux Etats-Unis en 1982 et 1983; le début de carrière tonitruant de Jean Alesi.

Plus ses ressources baissaient, plus Tyrrell misait sur des jeunes pilotes capables de tout pour se faire remarquer, et donc convaincre des parraineurs, au volant de monoplaces moins puissantes, moins rapides, mais plus fiables. Cette stratégie lui a longtemps permis de maintenir son écurie à flots, contre vents et marées. Il a été le dernier dinosaure à jeter l'éponge.

Le plus bel hommage est venu samedi de Sir Jackie Stewart: "A son époque, Ken était tout simplement le meilleur. C'était un indépendant dans l'âme, avec de grandes valeurs morales et une profonde intégrité. Au bout d'un an avec lui, je n'avais toujours pas de contrat, tout simplement parce que nous n'en avions pas besoin."

A cette époque, la F1 était encore un mélange subtil de bon sens, de confiance et de rigolade, un cocktail à faire se dresser les cheveux sur la tête des hommes d'affaires et de marketing qui règnent désormais en maîtres dans les paddocks. Ils seront peut-être les seuls à ne pas se sentir orphelins de l'Oncle Ken.