Champion des poids mi-lourds de la WBO d’août 2018 à février 2019, Eleider Alvarez présente une fiche de 25-1, 13 K.-O. Il a été choisi comme étant le 7e plus grand boxeur québécois du XXIe siècle à la suite d’une consultation auprès d’experts et d’amateurs à RDS.ca.

« C’était un jeu risqué, mais on a réussi notre coup ». Cette phrase lancée par l’entraîneur Marc Ramsay à sa descente du ring dans les secondes d’effervescence suivant l’incroyable surprise causée par son boxeur Eleider Alvarez face à Sergey Kovalev, pouvait autant décrire l’allure du combat qui venait de se terminer, que la longue route qui a mené à la conquête du titre des poids mi-lourds de la WBO en août 2018.

 

Mieux que quiconque, Alvarez sait que « tout vient à point à qui sait attendre », même si l’attente peut être longue. Pour Alvarez, l’attente se chiffre de la manière suivante : 10 ans de boxe professionnelle avant un premier combat de championnat mondial, 30 mois d’attente après l’obtention du statut d’aspirant obligatoire pendants lesquels il a risqué son statut pour un total de 4 combats et 37 rounds, face, entre autres, aux légendes québécoises de la boxe, Jean Pascal et Lucian Bute.

 

Au cœur de cette attente, la difficile position d’Yvon Michel, promoteur à l’époque de plusieurs des meilleurs boxeurs de la division en Alvarez, Artur Beterbiev et surtout Adonis Stevenson, monarque qui s’accroche à sa couronne du WBC. Le président de GYM doit habilement tirer les ficelles sans qu’elles ne s’emmêlent, avec pour conséquence de tout perdre.

 

L’analogie entre, d’une part, la longue route professionnelle, et d’autre part le combat gagné contre Kovalev, ne peut aussi bien s’appliquer : dans un cas comme dans l’autre, l’objectif est atteint après une longue préparation, en écoutant les consignes, tantôt celles du promoteur, tantôt celles de l’entraîneur, en absorbant tous les coups qui sont portés entre les câbles comme hors du ring, sachant que l’obtention de la récompense sera encore plus satisfaisante.

Eleider Alvarez et Sergey Kovalev

Eleider Alvarez, envoyant Sergey Kovalev au tapis.

Les dernières marches

 

Décembre 2016. Casino de Montréal. Dans une mise en scène tordue, Alvarez se présente devant les caméras et les partisans pour un premier face-à-face contre Bute. Quelques minutes plus tôt, Alvarez venait à bout du coriace gaucher polonais Norbert Dabrowski dans un combat de préparation, que le boxeur d’origine colombienne ne pouvait pas perdre puisqu’on avait déjà l’annoncé la tenue de son duel suivant contre l’ancien enfant chéri des Québécois. Plusieurs des observateurs présents se désolaient de la scène. Pourquoi Alvarez accepte-t-il de se tasser de la route de l’autre gaucher, Stevenson? A-t-on acheté sa patience? Le combat Alvarez-Bute présenté à Québec restera un mauvais souvenir pour bien des gens, tant il était triste de voir l’ancienne gloire terminer sa carrière au tapis contre un autre athlète modèle, celui-là en pleine ascension.

 

Sans gaité de cœur, c’était une autre mission accomplie pour Alvarez qui pouvait enfin prendre un congé dans son pays natal avant de se préparer pour un combat contre Stevenson. Mais autre coup de théâtre, le champion WBC préfère accorder une revanche à Andrzej Fonfara alors que l’on offre Jean Pascal à Alvarez.

 

La remise en question colombienne

 

Quitter la Colombie en 2008 n’avait pas été une aventure facile pour Alvarez, après sa participation aux Jeux olympiques de Pékin avec son compatriote Oscar Rivas. À Montréal, la route a été parsemée d’embuches avec les incontournables blessures, mais surtout les démarches d’immigration. L’épouse et la petite fille du couple étaient demeurées en Colombie et le boxeur-voyageur retournait les voir chaque fois qu’il en avait l’occasion, comme ce fut le cas en mars 2017.

 

Selon la légende, c’est Pascal qui aurait lui-même informé Alvarez de la tenue de l’affrontement entre les deux anciens coéquipiers, prévu au mois de juin. Mais c’est l’adjoint de l’entraîneur Marc Ramsay, Samuel Décarie-Drolet qui a eu l’odieuse tâche d’aller en Colombie expliquer la situation au boxeur, et surtout, à sa conjointe. Après deux journées d’explications, Alvarez a accepté d’écourter ses vacances et de reprendre l’entraînement en vue de son combat contre son ancien frère d’armes. Les amitiés ont été mises de côté, tant entre Alvarez et Pascal qu’entre Pascal et son ancien entraîneur. D’anciens amis forcés de s’affronter pour avoir peut-être, enfin, possiblement, éventuellement, si le WBC le permet, ou le souhaite à tout le moins, avoir l’insigne honneur d’affronter enfin Stevenson. Après une lourde semaine de promotion où jamais Alvarez n’a pu sourire, sauf après l’annonce de sa victoire par décision majoritaire, le rendez-vous contre Stevenson pouvait enfin se concrétiser. Sauf que l’esquive a eu lieu de nouveau. Stevenson opte pour un combat contre Badou Jack, détenteur de la ceinture intérimaire WBA. Alvarez se retrouve de nouveau le bec à l’eau. Mais cette fois, le destin joue en sa faveur.

Eleider Alvarez

Eleider Alvarez, après sa victoire contre Jean Pascal.

L’opportunité Kovalev

 

La mission d’affronter le champion mondial Sergey Kovalev, en tant que négligé et « visiteur » sur le terrain de jeu de la promotrice de Main Events, Kathy Duva à Atlantic City était extrêmement complexe. La stratégie de Ramsay devait être appliquée à la lettre. Il connaît bien Kovalev pour l’avoir affronté en compagnie de Pascal.  Le pari risqué de l’entraîneur est d’accorder une certaine part d’initiative à Kovalev lors des 6 premiers rounds, tout en retenant les ardeurs naturelles de son boxeur latin. Discipline, rigueur, concentration : trois ingrédients essentiels, supportés par une condition physique olympienne, développée en altitude dans le pays natal de l’aspirant, qui devait permettre à Alvarez de dominer la seconde moitié du duel de 12 rounds.

 

En début de combat, à l’aide d’un puissant jab vif, Alvarez parvient à garder à distance les poings meurtriers de Kovalev. La tempête s’abat sur Alvarez au 4e round puis à nouveau au 6e. Le fier Colombien déroge du plan de match en échangeant coup pour coup. Mais l’objectif est atteint; Kovalev a laissé beaucoup d’énergie dans le ring lors de ses assauts.

 

La 2e portion du combat s’amorce et l’entraîneur Ramsay avise Alvarez qu’il peut y aller à pleins gaz. Enfin, ce moment qu’il attendait est arrivé! Avec le recul, les minutes qui suivent apparaissent comme une libération pour Alvarez. La droite qui envoie le « Krusher » au tapis crée une onde de choc dans l’Aréna Etess, qui en a vu tant d’autres. Les nombreux amis d’Alvarez, qui l’ont supporté, qui l’ont nourri et l’ont aimé depuis 10 ans sont en extase. Bute est du nombre des partisans d’Alvarez qui l’encourage à poursuivre le travail quand le boxeur russe se relève. Alvarez règle ses comptes avec la politique de la boxe professionnelle et le pauvre Kovalev en paie le prix. Cette fois c’est la surprenante gauche qui marque la fin de Kovalev.  Une fin que l’arbitre tient à éviter ; il accorde une dernière chance au champion et à sa promotrice. Le pauvre Kovalev ne méritait tel « traitement de faveur », une horreur!

 

Il y a quand même une justice en ce bas monde : celui qui a laissé derrière lui patrie, femme et famille pour poursuivre son rêve est maintenant champion! Ramsay semble au bord des larmes, tout comme le gérant Stéphane Lépine. Avec son accent espagnol teinté d’expressions québécoises, Alvarez remercie ceux qui ont cru en lui pendant cette dure progression professionnelle.

 

En ce samedi soir d’été 2018, et pour quelques mois seulement, le Québec compte 3 champions du monde en boxe professionnelle, tous mi-lourds, avec Artur Beterbiev, Adonis Stevenson et maintenant Eleider Alvarez.

 

Jean-Luc Legendre

Eleider Alvarez

Eleider Alvarez, après sa victoire contre Sergey Kovalev.

LES PLUS GRANDS BOXEURS QUÉBÉCOIS DU XXIe SIÈCLE

Résultats complets | 1-Pascal
2-Gatti | 3-Beterbiev | 4-Bute
5-Stevenson | 6-Lucas | 7-Alvarez
8-Lemieux | 9-Hilton | 10-Dicaire