Nous avons tous un peu peur de vieillir. Prendre de l’âge ne comporte pas beaucoup d’avantages, outre le fait qu’on gagne supposément en sagesse. Piètre consolation.

 

Heureusement, il y a sur cette terre des gens qui rendent l’idée de vieillir moins éprouvante. J’ai déjà écrit à de nombreuses reprises sur le sujet. Le 25 novembre dernier, je consacrais une chronique au marcheur Marcel Jobin qui, à 76 ans, continue de s’entraîner et de participer à de grandes réunions mondiales. 

 

En décembre 2016, j’avais fait d’Ed Whitlock mon athlète canadien de l’année puisqu’il continuait, à l’âge de 85 ans, de réécrire le livre des records. Quelques mois plus tôt, il avait couru le demi-marathon le plus rapide de l’histoire dans la catégorie des 85-89 ans (1 h 50 : 47). À son décès, en mars 2017, il détenait plus de 80 des meilleures marques mondiales sur des distances allant du 1500 mètres au marathon. Whitlock a longtemps été le premier et seul homme de plus de 70 ans à avoir couru un marathon en moins de trois heures. Son meilleur temps était de 2 h 54 : 48 à 73 ans.

 

Cela n’est plus vrai! Le regretté Canadien a vu cette marque être battue il y a quelques jours (15 décembre) par l’Américain Gene Dykes. Une histoire qui vaut la peine d’être racontée.

 

Une vocation tardive

 

Dykes, un informaticien à la retraite de 70 ans en Pennsylvanie, a commencé à courir à l’âge de 58 ans. Rapidement, il se découvre une passion pour ce sport, une passion qui se traduit par des entraînements soutenus et une progression fulgurante de ses résultats. L’homme est rapide et il devient une vedette chez les maîtres.

 

Ed WhitlockEn 2017, à 69 ans, il veut se tester au marathon et enregistre un 3 h 29. Un résultat pas gênant du tout à cet âge, mais qui ne le satisfait pas. Il annonce alors qu’il s’entraînera intensément pour battre le record d’Ed Whitlock sur 42,195 kilomètres chez les 70-74 ans. Son objectif est de le faire en 2019, lorsqu’il aura 71 ans. Il s’accorde donc deux ans de préparation.

 

Son volume de travail est épuisant, mais il garde le cap. Il enfile les compétitions en plus de s’entraîner cinq à six fois par semaine en suivant un plan détaillé. Tout le contraire de Whitlock qui s’entraînait sur le petit chemin qui encerclait le cimetière près de chez lui sans même porter une montre. En jetant un coup d’œil à ses chronos, Dykes réalise qu’il pourrait battre le record en 2018 tellement il est en avance sur ses objectifs.

 

En octobre dernier, Dykes s’inscrit au marathon de Toronto, celui-là même ou Whitlock était descendu pour une première fois sous les trois heures en 2003 (2 h 59 : 10), dans l’espoir de le battre. Il termine en 2 h 55 : 17 et échoue à seulement 29 secondes du record du Canadien.

 

Déçu, il trouve refuge dans l’entraînement en s’y lançant à corps perdu. Cela devient une obsession, « une corvée », dira-t-il. Il s’inscrit à plusieurs épreuves tellement il cherche à accumuler les kilomètres. À la mi-novembre, il prend le départ du demi-marathon de Philadelphie et réalise le record américain sur cette distance dans son groupe d’âge (1 h 25 : 06).

 

Le premier jour de décembre, il remplit une promesse faite à sa fille et court avec elle les 50 kilomètres du Vista Verde Skyline, en Californie (6 h 51).

 

De toute évidence, il a la faculté de récupérer rapidement puisque le 15 décembre, le voilà au départ du Marathon de Jacksonville, en Floride. Le parcours de cette épreuve est plat et la météo, ce jour-là,  est parfaite. Il comprend que la fortune pourrait lui sourire.

 

Il se pointe au cinquième kilomètre en 20 : 25 et au dixième en 41 : 09. Rappelons que c’est un homme de 70 ans qui court! À la mi-parcours (21,1 km) il est à 1 h 26 : 56. C’est une trentaine de secondes d’avance sur le rythme de Whitlock.  

 

Gene DykesAu 26e kilomètre, des crampes le saisissent aux deux jambes. Il n’a d’autre choix que de ralentir légèrement le rythme. Il parvient à bien gérer son effort et à faire fi de la douleur. Il franchit le fil d’arrivée en 2 h 54 : 23 pour battre le record du monde des septuagénaires et plus par 25 secondes.

 

Quand on y pense, c’est dément. Gene Dykes a conservé une moyenne de 4 : 08 par kilomètre! C’est une vitesse moyenne de 14,49 km/h. Et ne venez pas me parler de dopage. Je l’écrivais plus tôt, à 70 ans on devient sage.

 

Le nouveau recordman ne s’en cache pas. Son exploit lui enlève une tonne de pression qu’il s’était lui-même placée sur les épaules. Pour 2019, il entend se consacrer davantage aux membres de sa famille qu’il a négligée en raison de son entraînement extrême.

 

Mais parions que lorsqu’il jettera un coup d’œil aux nombreux autres records d’Ed Whitlock, il ne tardera pas à chausser à nouveau ses souliers de course.

 

Vieillir vous fait peur? Certainement un peu moins lorsque vous constatez les accomplissements toujours possibles à un âge vénérable.