En plus de vingt ans de course à pied, mon admiration pour un certain groupe de coureurs n’a jamais cessé de croître. Si au tout début je les regardais un peu de haut, me demandant ce qu’il faisait là, j’ai éventuellement compris qu’il était impossible de s’en passer. Pour une raison bien simple, malgré toutes les règles imaginables, il y en aura toujours un!

 

Je parle des derniers! Je parle du dernier coureur à franchir le fil d’arrivée d’une course organisée.

 

J’ai encore en tête les phrases pleines de sagesse de mon grand-père qui m’amenait de Québec à Montréal dans les années 80 pour assister au marathon. S’il était impressionné par les meneurs et les coureurs élites qui franchissaient le parcours en un peu plus de deux heures, il réservait ses louanges et ses encouragements à ceux qui terminaient quatre heures plus tard. « Ils ont beaucoup plus de mérite car ils ont couru plus longtemps », me disait-il.

 

Longtemps j’ai cru qu’il disait vrai, jusqu’à ce que je commence moi-même à courir et à participer à des compétitions. Je terminais mes 5k, 10k, demi-marathon et marathon totalement épuisé tellement mon effort avait été maximal. Impossible de souffrir plus que moi, croyais-je! J’étais d’une naïveté gênante. 

 

J’ai encore souvenir de mon premier marathon à Ottawa et de mon étonnement à croiser des coureurs sur le parcours quelques heures après avoir terminé ma course. J’avais eu le temps de retourner à mon hôtel pour prendre ma douche avant de quitter en quête d’un lieu pour casser la croûte. Je voyais la souffrance sur leurs visages, mais également leur détermination.

 

Pendant quelques années, je fus le porte-parole d’un organisme caritatif qui œuvrait pour la Société canadienne du cancer et qui offrait à ses participants de courir des marathons un peu partout sur la planète en retour d’une levée de fonds. Il s’agissait souvent de novices qui étaient là davantage pour la cause que pour le défi de courir rapidement. Avec raison, terminer était tout ce qui importait à leurs yeux.

 

À quelques occasions, nos participants étaient bons derniers. Ça c’est lorsqu’ils parvenaient à éviter l’éternelle navette postée à l’arrière des coureurs et qui embarque tous les retardataires incapables de respecter le temps limite alloué. Après tout, il fallait bien rouvrir les routes à un moment donné!

 

C’est ainsi qu’avec le temps, j’ai appris à respecter ces coureurs et coureuses qui terminent derniers. La plupart du temps, ils ont une histoire particulière à raconter. Souvent, ils ont surmonté des épreuves ou relèvent un défi.

 

J’ai compris qu’un jour cela allait peut-être m’arriver à moi aussi et que mon grand-père avait raison. Ces coureurs méritent toute notre admiration. Alors que l’élite et les coureurs moyens ont terminé, alors que la foule commence à quitter l’arrivée, alors que les organisateurs commencent à manquer d’eau aux tables de ravitaillements, alors qu’on a dégonflé l’arche à l’arrivée, alors que des bénévoles fatigués quittent leurs postes aux intersections, alors que le spectacle de clôture est déjà débuté, alors qu’on leur demande d’emprunter les trottoirs pour permettre la circulation automobile, ces derniers coureurs s’accrochent et refusent d’abdiquer. Ils continuent de dépenser de l’énergie pendant que tous les autres se reposent.

 

Le premier réflexe d’un coureur qui vient de terminer son épreuve devrait être de rester sur place pour encourager et féliciter ceux qui n’ont pas terminé. Surtout lors d’un 5k ou 10k. Je comprends bien qu’il serait impossible d’attendre jusqu’au dernier marathonien, mais un effort en ce sens peut se faire.

 

Je vous pose la question de mon grand-père. Quel coureur est le plus méritant au marathon? La jeune femme qui l’a couru en 2 h 30 ou l’homme dans la quarantaine qui court deux fois plus longtemps pour le terminer en 5h?

 

Personnellement, je crois que toutes les performances se valent et doivent être considérées respectueusement.