Par Alban Quénoi

L’élite mondiale de Dota 2 se retrouve cette semaine à Kiev pour le dernier Major avant le prochain The International. Particularité de l’événement, il adopte pour la première fois sur la scène Dota 2 le système des rondes suisses. L’occasion de se pencher sur un format méconnu du grand public, mais qui commence à faire son trou dans le jeu vidéo compétitif.

Rondes suisses, premier tome

Ce format de compétition tire son nom de sa création, son premier usage remontant à un tournoi d’échecs à Zurich à la fin du 19e siècle. Il est d’ailleurs toujours fréquemment utilisé dans cette discipline, ainsi que dans les compétitions de jeux de cartes à collectionner, comme Magic The Gathering ou Pokémon.

Son principe de base repose sur un groupe unique dans lequel évolue tous les participants. Un premier appariement est effectué, la plupart du temps aléatoirement, ou avec des têtes de série. Puis chaque joueur ou équipe rencontre un adversaire avec le même nombre de victoires, durant un nombre de rondes établi à l’avance, compris en général entre 3 et 9. Le classement final repose bien évidemment sur le score, et départage les ex aequo par diverses méthodes comme la confrontation directe ou le score des adversaires rencontrés.

Le format suisse, un plateau convivial

Le principal atout des rondes suisses par rapport au classique “round robin”, ou système toutes rondes utilisé dans la plupart des championnats sportifs, repose sur son immense flexibilité. Tout d’abord, il permet de gérer un grand nombre de participants, tout en les mettant sur un pied d’égalité. L’autre alternative la plus courante dans ce contexte est un arbre éliminatoire, voire un arbre à double élimination comme utilisé dans la plupart des tournois de jeux de combat.

Autre point fort des rondes suisses, son aspect plus convivial : il garantit non seulement un nombre de parties fixe pour chaque joueur, mais de plus ne souffre aucunement des possibles forfaits et abandons de joueurs découragés ou indisponibles. À contrario, un arbre éliminatoire peut être frustrant pour les compétiteurs malchanceux éliminés au premier tour. L’alternative classique du système de groupes à quatre se retrouve quant à elle complètement déséquilibrée en cas de forfait d’un participant.

C’est pourquoi les rondes suisses sont parfaitement adaptées aux tournois à grande échelle et sur une courte durée, comme pour les échecs d’où ce système provient, ou les jeux de cartes. Pratique pour les organisateurs, et bien moins punitif pour les participants garantis de jouer au-delà du premier match, il est donc absolument parfait pour les événements communautaires, conçus pour le plaisir de tous.

Autant de critères qui pourtant, n’ont semble-t-il absolument rien à voir avec les contraintes d’une compétition de haut niveau en esports.

Valve affine la recette

Apparu pour la première fois l’an dernier sur la scène CSGO à l’occasion de l’ESL Cologne, le format des rondes suisses arrive donc sur Dota 2 avec ce Major de Kiev. Valve semble donc conquis par le système, qui pourtant répond à des problématiques bien loin de celles de l’esport de haut niveau.

Nombre d’équipes parfaitement contrôlé, dont la valeur et le niveau sont connus, et surtout l’aspect spectaculaire de l’esport sont autant de paramètres auxquels ne répond pas le système suisse. Et pourtant, Valve semble vouloir délaisser le système de groupes de type GSL, devenu presque une constante dans le sport électronique. Cependant, ce sont des rondes suisses un peu particulières qui ont été employées sur CSGO : des qualifications et éliminations directes sanctionnent les équipes atteignant respectivement trois victoires et défaites, allant relativement à l’encontre de la “philosophie” du système suisse.

Pour ce Major de Kiev, l’emploi est légèrement différent, mais épargne également la quatrième ronde pour les meilleures et pires équipes. Le but ultime de cette phase est de déterminer le classement pour un arbre à élimination directe, autre changement pour la scène Dota 2 plus habituée à l’arbre double. Des évolutions importantes pour les joueurs, mais aussi le public : inutile de préciser que l’autre caractéristique d’un tel format, c’est qu’il est difficile à suivre pour le spectateur, et peu lisible. Côté joueurs, il est souvent difficile, voir impossible de prévoir quel sera le prochain adversaire avant la fin complète de la ronde, pouvant donc impacter les choix stratégiques plus globaux.

Les sports électroniques, tout dans l’emmental

On peut d’ailleurs remarquer que le format de type GSL est, lui aussi, le détournement de l’arbre à double élimination, le réduisant à quatre participants et les classant donc en moins de matchs nécessaires que l’habituel toutes rondes, et surtout évitant les égalités à trois.

Dans les deux cas, c’est un mécanisme créé pour un contexte et des atouts bien particuliers, qui est repris dans un tout autre format. Il est donc intéressant de voir les organisateurs de compétitions de haut-niveau ne pas hésiter à bousculer les standards, et chercher une formule idéale pour l’équilibre entre le spectacle et l’équité compétitive. C’est un autre point de distinction avec les sports traditionnels, beaucoup plus arrêtés sur leurs structures de compétition. Si on peut argumenter sur le fait que l’esport se cherche encore dans ses formats, sa nature dynamique fait aussi son charme, et renouvelle certainement le plaisir du public.

À voir quel sera le bilan des rondes suisses après quelques occurrences. Quoiqu’il arrive, la compétition nous réservera toujours de belles surprises, et du Dota 2 de haut niveau pour cette fin de semaine.