Surviving Mars fait mal paraître la presse de jeux
eSports / Jeux vidéo mardi, 1 mai 2018. 11:48 mardi, 1 mai 2018. 11:48Par Patric Jolicoeur Mondou - Bien qu’il ne soit pas le seul jeu du genre à paraître en début d’année, Surviving Mars (Haemimont Games) a joui d’une couverture médiatique complète en Mars, sans doute grâce à son éditeur de renom, Paradox, qui nous a fait connaître quelques perles au fil des ans, dont Magicka et Cities : Skylines.
Cependant, c’est la disparité spectaculaire entre la réception critique et celle des joueurs qui a le plus attiré l’attention.
Impossible donc d’évaluer Surviving Mars sans traiter des surprenantes réactions entourant son lancement.
Surviving Mars
Même s’il se présente comme un jeu de survie, il s’agit définitivement d’un « city builder », comme Simcity ou Tropico, ayant pour distinction thématique la fondation d’une colonie martienne. À partir d’une première navette de ravitaillement, le joueur doit planifier et orchestrer la construction d’infrastructures qui permettront à la jeune colonie d’extraire des ressources, d’accueillir des colons et de se développer. Les systèmes se chevauchent et se complètent : recherche technologique, planification urbaine, gestion de ressources et gestion de ressources humaines.
Dès les premiers écrans d’une partie, on voit immédiatement que le jeu est abouti. Les interfaces sont léchées, le visuel est agréable et la réalisation (ambiance, contextualisation, rétroactions) est irréprochable ; des indices indéniables d’une production bien financée et bien rodée.
Une fois la partie commencée, le jeu exhibe immédiatement son genre de par sa complexité apparente. Dire que la courbe d’apprentissage de Surviving Mars est abrupte est un euphémisme. Les interruptions sporadiques de fenêtres didactiques sont nettement insuffisantes et le système n’est pas conçu pour guider naturellement les premiers pas du joueur. Les interactions requises pour démarrer la colonie sont nombreuses et il est facile de tomber dans un cercle vicieux menant à la faillite technique dans les premières minutes. Nous sommes loin ici de l’élégance de Sid Meier’s Civilizations V qui avait jeté en 2010 les bases d’un standard en la matière.
Cependant, les jeux de niches « 4X », « city builder » et « tycoon » ont vu bien pire. C’est un problème que les amateurs du genre pardonnent facilement, puisqu’ils cherchent à y investir des centaines d’heures et feront facilement l’effort d’apprendre à connaître leurs jeux correctement (croyez-moi, je fais partie de ce public!). C’est une occasion ratée pour des points bonis, peut-être, mais ce n’est pas une faute réelle pour un jeu principalement systémique.
Justement, c’est dans sa rejouabilité que le jeu déçoit : malgré sa bonne exécution, Surviving Mars ne possède pas la profondeur requise par les jeux de son genre. La plus grande qualité des jeux du genre y est absente.
Le jeu est en fait victime de la parfaite exécution d’une mécanique destinée à simplifier les interactions redondantes en fin de partie : les technologies les plus avancées permettent d’automatiser certaines tâches de maintenance et l’assignation de rôles aux colons, menant graduellement à un équilibre stable lorsque la colonie voit son 200e jour, environ. Après à peine une douzaine d’heures passées dans le jeu, il n’y a plus rien à faire; la colonie se gère d’elle-même. Il ne reste plus qu’à recommencer à un niveau de difficulté plus élevé.
Les fans de systèmes complexes restent sur leur faim...
Les défauts de Surviving Mars rappellent ceux de Offworld Trading Company (2016, Stardock), sauf que ce dernier les compensait par la compétition (contre l’IA ou contre d’autres joueurs en mode multi) pour générer de la rejouabilité. Remarquez-bien, Surviving Mars n’est selon moi pas si mauvais! Mais pour 45$, il existe bien d’autres jeux du genre qui sauront vous satisfaire davantage. Si le thème vous intéresse, suivez les développeurs et surveillez la parution d’une mise à jour majeure!
Le grand lancement sur Steam
Si le développement d’un jeu systémique (comme un « city builder ») pose problème pour les créateurs, il en va de même pour la rédaction d’une critique d’un tel jeu.
Au moment de sa sortie, Surviving Mars avait reçu une couverture médiatique impressionnante en raison de son excellente campagne de marketing sur Youtube et Facebook. Après quelques jours, les scores des critiques colligés par le site metacritic.com lui attribuaient une moyenne de plus de 80%, soulevant unanimement son manque d’accessibilité comme plus grand défaut.
Combien de ces critiques faisaient réellement partie du public cible? Le temps requis pour découvrir le réel défaut de Surviving Mars dépasse peut-être par beaucoup le temps qu’un critique moyen est prêt à consacrer pour la couverture d’une parution. Sans compter que plusieurs critiques auront de la difficulté à apprécier correctement un jeu niche comme celui-ci.
Sur la boutique PC Steam, la moyenne des notes des joueurs pour Surviving Mars oscille entre 60% et 65%, une représentation beaucoup plus juste de l’intérêt de ce produit pour son public cible. Autre symptôme de son échec : sur la plateforme Twitch.tv, le jeu est depuis longtemps déjà exclu du « top 100 » des jeux les plus visionnés, alors que des prédécesseurs du même genre, comme Cities: Skyline, y sont encore après 3 ans.
L’écart considérable entre le score de metacritic.com et celui des usagers (20% à la sortie, 15% lors de la rédaction de cet article) est un signe indéniable de la difficulté de la presse de jeux à couvrir toute l’étendue des genres aujourd’hui disponibles en abondance sur le marché. Les quelque quarante jeux qui paraissent chaque jour sur Steam ne peuvent pas tous être critiqués, encore moins être critiqués par des adeptes de leurs genres individuels. Ce petit incident s’inscrit dans une longue série de faux pas similaires, mais le contexte actuel fait plutôt mal paraître la presse de jeux.
Dans le graphique ci-dessous: les facteurs déterminants pour l’achat d’un jeu par un joueur. Le plus influent est l’intérêt de l’histoire (22%), suivi du prix (15%) et du bouche-à-oreille (11%). Les critiques comptent pour 3% seulement.
Les joueurs basent de moins en moins leur décision d’acheter un jeu sur les critiques. Cause ou effet? Il s’agit là d’un grand défi pour la presse de jeux à l’ère des médias sociaux. Pour ne pas être dépassée, elle doit trouver sa pertinence dans une rigueur journalistique qui cherche non pas à inciter les lecteurs à l’achat ou au boycottage, mais plutôt à les informer. Elle doit les aider à comprendre les produits culturels que sont les jeux vidéo, à connaître le public cible des jeux analysés, leurs mécaniques, leurs impacts sociaux.
Le cas de Surviving Mars fait réfléchir.
Patric Jolicoeur Mondou est game director chez Borealys Games