MONTRÉAL – Le sport vient parfois aider la société et la conquête de la coupe Grey par les Alouettes de Montréal, en 1970, en constitue un exemple probant qui ne doit pas être oublié. En pleine crise d’Octobre, ce championnat avait procuré une bouffée d’air frais au peuple québécois. 

Pourtant, rien n’indiquait que les Alouettes détenaient le potentiel de rallier le Québec alors qu’ils se remettaient d’une saison très laborieuse en 1969. Dans le cadre du 50e anniversaire de ce triomphe, l’organisation montréalaise a produit un reportage relatant cet exploit

En tant qu’équipe de football, les Alouettes se concentraient avant tout sur leur mission sportive, mais ils ne pouvaient guère ignorer le climat unique. Ils sont parvenus à soulever le précieux trophée un peu plus d’un mois après l’assassinat du ministre Pierre Laporte. 

Les Alouettes à la coupe Grey de 1970« Pour nous, ça donnait un incitatif additionnel de s’assurer d’amener, dans ce contexte plutôt gris, les gens à se concentrer sur d’autres choses et voir une performance dans laquelle ils pouvaient se reconnaître », a évoqué Pierre Desjardins, l’un des deux capitaines de cette édition championne.  

« En gagnant, on a ramené toute la ville ensemble. Je retiens surtout que la province a été réunie. La frustration pouvait être mise de côté », a ajouté son ancien coéquipier, Peter Dalla Riva. 

« Selon bien des gens, la victoire des Alouettes a fait plus pour ramener l’unité que rien d’autre. Quelqu’un avait dit que les Alouettes avaient accompli ce dont les politiciens étaient incapables », a, pour sa part, témoigné le quart-arrière Sonny Wade. 

D’un côté, l’inquiétude de la crise d’Octobre atteignait quelques joueurs. Il ne suffit que d’écouter cette anecdote relatée par Wade pour bien le comprendre. 

« Une fois à l’entraînement, lors d’une course, j’ai ressenti soudainement une douleur à l’arrière de la cuisse et mon premier réflexe a été de penser qu’on m’avait tiré dessus. J’ai pris ma jambe et j’ai vu que je ne saignais pas », a raconté Wade en riant. 

Mais, de l’autre côté, la surveillance accrue a provoqué une source d’amusement très bénéfique. L’histoire est liée au botteur George Springate qui avait été élu en tant que député du Parti libéral. Par conséquent, on lui avait attribué un garde du corps pour assurer sa protection. 

« C’était devenu une joke avec lui. ‘Qui va te kidnapper ? Voyons c’est impossible !’ », s’est souvenu Desjardins avec plaisir.   

« George en rigolait aussi, mais il ne pouvait pas se séparer de son garde du corps sauf dans la salle des joueurs. Ça lui donnait un air d’importance et il aimait ça. On le bousculait amplement de manière humoristique. Il s’en offusquait, mais de la bonne façon. C’est devenu un passage plein d’humour et non de mépris. Pendant cette crise, ça prenait un peu d’humour. Dans le fond, George est devenu un point central pour rigoler et ce fut très bon pour l’équipe », a-t-il précisé. 

À travers ces taquineries, Desjardins et Larry Fairholm (l’autre capitaine) devaient aussi répondre à plusieurs questions. C’est facile de le comprendre, l’équipe misait sur plusieurs Américains et Canadiens de l’extérieur du Québec. 

« Ils ne comprenaient absolument pas ce qui se passait. Les Américains ne s’associaient pas à ça, mais ils constataient que la population québécoise vivait une période plus difficile », a indiqué Desjardins qui est âgé de 79 ans. 

Devenu entraîneur, Etcheverry a rassemblé l’équipe

C’est un peu fou d’y penser, mais les Alouettes avaient complètement rebâti la formation en 1970. On parle de l’arrivée de 20 à 24 joueurs sur un effectif de 30 à 35 athlètes. Heureusement que le dépisteur J.I. Albrecht était un génie dans son domaine parce que la recette s’annonçait plus que périlleuse. 

Ça expliquait, en grande partie, pourquoi les observateurs s’attendaient à une autre saison de misère des Oiseaux qui enfilaient un nouvel uniforme vert, blanc et rouge. 
  
« Le noyau de joueurs recrutés par Albrecht, qui a fait un travail exceptionnel, a été à la base de des succès des Alouettes dans les années 1970. C’était un noyau très talentueux, sans prétention et très compétitif. On avait de superbes athlètes dans ce noyau », a insisté Desjardins qui a apprécié son rôle de mentor auprès de ce groupe. Les Alouettes à la coupe Grey de 1970

Ce talent n’aurait sans doute pas émergé sans l’influence positive du nouvel entraîneur Sam Etcheverry. Cet ancien quart étoile n’avait rien d’un entraîneur typique dans l’âme, mais il a soudé sa troupe à sa façon. 

« On avait énormément de respect pour lui. Il parlait très peu et il ne passait pas trop de temps sur les stratégies, mais le courant qui passait avec lui était très fort dans l’équipe. Je pense que c’est le facteur qui nous a procuré ce surplus d’énergie en fin de saison », a cerné Desjardins.  

D’ailleurs, sans Etcheverry, Desjardins n’aurait pas vécu l’ivresse de ce championnat. Il avait choisi de se retirer après le calendrier 1969 pour se consacrer davantage à sa carrière florissante dans le milieu des affaires. Etcheverry l’a convaincu de rester et on peut même se demander si les Alouettes auraient pu l’emporter sans ce pilier de la ligne offensive. 

Au niveau tactique, une grande partie du mérite revient toutefois aux joueurs. À cette époque, les entraîneurs ne sélectionnaient pas chaque jeu. Le quart-arrière ne pouvait pas recevoir de message dans son casque non plus. 

« On a vu un Sonny Wade à son meilleur. Il ne parlait jamais, mais il avait une intensité incroyable. Elle se communiquait d’elle-même. Il était très froid dans ses décisions. Quand il nous regardait, on le faisait sans hésitation », a vanté Desjardins.  

Wade a raison d’être fier de ce parcours éliminatoire. Après une fiche ordinaire de 7-6-1, les Alouettes ont éliminé Toronto 16-7, ils ont ensuite battu Hamilton au total d’une série aller-retour (deux gains de 32-22 et 11-4) pour ensuite vaincre Calgary, 23-10, au match ultime présenté à Toronto. Les yeux du quart-arrière brillent quand il repense au jeu déterminant alors que Montréal ne menait que 16 à 10 au dernier quart.  

« La partie était serrée et on avait besoin d’un autre touché. Je n’ai pas souvent modifié des jeux à la ligne de mêlée, mais j’en ai changé un pour un tracé en profondeur au receveur Garry Lefebvre et on a marqué un touché. C’est un beau souvenir pour moi et probablement ma victoire de la coupe Grey la plus satisfaisante. On était une bande jeunes qui ne devaient pas être là et on a gagné », a reconnu celui qui a été choisi joueur par excellence du duel. 

Les Alouettes à la coupe Grey de 1970Une fois les célébrations terminées dans le vestiaire, et alors que l’adrénaline redescendait tranquillement, Desjardins a vécu un moment inoubliable à ses yeux.   

« Je suis allé marcher sur le terrain et on voyait tous les morceaux de tourbe arrachés comme un vrai champ de bataille. Je me suis dit ‘Tu voulais être un guerrier, t’es vraiment dans un champ de bataille’. Ça reste un souvenir percutant pour moi », a-t-il confié au niveau sportif. 

Au retour à Montréal, c’est là que les joueurs ont véritablement compris la portée de leur accomplissement. 

 « Je pense que c’est là que la crise d’octobre a amené une dimension spéciale et un peu surréelle. Il y a eu plusieurs défilés à Montréal au fil des ans, mais peu d’équipes ont gagné dans de telles circonstances. La ville avait assommée par les mesures d’urgence. Les gens étaient inquiets sans trop savoir ce qui se passait. Tout ça donnait un effet rassembleur ce qui a mené à un défilé extraordinaire pour nous », a conclu Desjardins. 

Il y a 50 ans, les Alouettes gagnaient leur 2e Coupe Grey