Une influence qui ne sera jamais oubliée
Alouettes mardi, 2 juil. 2019. 22:12 dimanche, 15 déc. 2024. 03:54MONTRÉAL – « Je voyais le sablier devant moi et il me disait qu’il en restait de moins en moins. Je pense que je me suis rendu jusqu’au dernier grain. »
Luc Brodeur-Jourdain pouvait bien vouloir que sa carrière se poursuive puisqu’il éprouvait un plaisir si sincère à jouer au football. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le courant a passé si facilement entre lui et les partisans des Alouettes.
« Ce qui va me manquer à tout jamais, c’est le sentiment d’être un enfant. À partir du moment que tu enlèves tes crampons, même si tu restes un impliqué dans le football comme entraîneur, tu es plus un tuteur ou un enseignant. Quand tu oublies tous les paramètres qui font que c’est un business ou un spectacle, ce sont des gars qui jouent au foot sur un terrain. Tout ce que tu fais, c’est jouer avec ta gang », a exprimé le joueur de ligne offensive de 36 ans, mardi, après l’entraînement des siens.
Il doit vivre le deuil de renoncer à cet univers bien particulier.
« Dans un environnement de travail, tu ne peux pas toujours t’ouvrir facilement à tes collègues. Mais, ici, tu arrives dans le vestiaire et tu sais qu’il y aura toujours une oreille, un gars avec lequel tu es proche pour t’écouter, ça dépasse le milieu conventionnel du travail en termes d’affinité et de connectivité. Ça, ça disparaît à tout jamais », a-t-il avoué avec déception.
Même s’il a commencé le football tardivement (au CÉGEP), Brodeur-Jourdain s’est intégré à ce milieu avec une immense aisance parce qu’il y a plongé sans retenue. Il s’est sacrifié pour tous ceux autour de lui et les exemples seraient trop nombreux pour tous les énumérer.
Il est toutefois impossible de ne pas rappeler le match survenu quelques heures après la naissance de son premier fils. Il a littéralement dû courir dans les rues de Montréal pour arriver à temps au stade. Que dire aussi de la partie qu’il est parvenu à compléter, en novembre 2015, malgré deux déchirures ligamentaires à un genou.
C’est en citant des gestes comme ceux-ci que ses coéquipiers, entraîneurs et anciens coéquipiers s’empressent de le louanger.
Matthieu Proulx, qui a fait son arrivée avec les Alouettes et avec le Rouge et Or de l’Université Laval avant Brodeur-Jourdain, parle de lui comme l’ultime soldat qui voue un grand respect envers la hiérarchie.
« Marc Trestman disait souvent que tu es un vrai joueur d’équipe quand tu veux plus gagner pour celui à tes côtés que pour toi. Ça, c’est Luc », a confié Proulx quelques minutes avant une longue accolade avec celui qu’il tenait à venir féliciter en personne.
Brodeur-Jourdain a entamé sa carrière avec les Alouettes sur les chapeaux de roue en soulevant la coupe Grey en 2009 et 2010. De cette belle époque, il ne restera que John Bowman et Martin Bédard après son départ.
Même si Bowman évolue du côté défensif, il a développé un puissant lien d’amitié avec LBJ. C’est simple, les deux hommes se reconnaissent à plusieurs égards pour leur influence dans l’équipe. Voici deux piliers, deux guerriers, deux meneurs, deux passionnés et deux émotifs.
« Je crois qu’il est un meilleur meneur que je ne le serai jamais. Il a eu beaucoup à faire, mais pas uniquement pour le côté francophone de la communauté des Alouettes, mais aussi pour l’équipe comme coéquipier et particulièrement pour son apport sur la ligne offensive. C’est une si bonne personne, un père qui s’implique en plus avec un enfant (celui de sa conjointe) ayant des besoins spéciaux. J’ai un immense respect pour lui pour toutes ces raisons », a répondu Bowman quand on a lui dressé ce parallèle.
« C’est sûr qu’il y aura un avant et un après Luc. J’avoue qu’on peut appeler ça une époque. C’est un gars qui a eu un si grand impact sur l’organisation, un ambassadeur comme lui. C’est certain que ça va faire un grand vide quand il ne sera plus là », a ensuite reconnu Bédard.
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Il y a quelque chose de très beau à entendre son entourage insister sur son altruisme et son dévouement pour la cause commune d’une équipe.
« En tant que coéquipier, ce qui va me manquer, c’est son leadership, son calme, son désir de toujours devenir meilleur et de faire en sorte que les autres autour de lui deviennent meilleurs. C’est un gars super généreux et qui a parfaitement conscience que si tout le monde progresse, c’est bien. C’est bon de recevoir un conseil et de pouvoir progresser personnellement, mais ultimement, le but demeure qu’on devienne meilleurs tous ensemble. C’était sa priorité. Il aime le monde, il aime être avec les gens et prendre soin des autres », a vanté Bédard.
La présence de Brodeur-Jourdain a créé un effet rassembleur dans le vestiaire et il a également donné l’exemple à propos de l’implication communautaire. Naturellement, il est devenu le nouveau visage de ce club qui a eu bien besoin de son charisme dans les dernières années. Kristian Matte, son meilleur ami sur l’équipe, a été témoin de sa belle influence.
« C’est difficile à voir. Ça fait 10 ans que je joue avec lui et on dirait que le temps a passé trop vite, c’est une amitié pour la vie. J’ai appris énormément de lui et c’est certain que je vais être en manque de lui dès qu’il ne sera pas dans les entraînements. C’est avec lui dont je discutais des fronts défensifs et d’aspects reliés à la position de centre », a exposé Matte.
Le décrivant comme l’ultime joueur d’équipe, Matte s’ennuiera aussi de son grand sens de l’humour, une facette qu’il n’a jamais vécu avec un autre coéquipier, et de son leadership.
« Il était tellement passionné des Alouettes, ce n’est pas quelque chose qu’on voit souvent dans une équipe. On va le manquer beaucoup dans le vestiaire », a jugé Matte sans avoir peur de le dire.
Son souhait le plus cher a été exaucé
S’il est arrivé dans la LCF en tant que tout dernier choix du repêchage de 2008, Brodeur-Jourdain quittera les Alouettes comme l’un des plus respectés représentants de cette organisation.
Jeudi soir, à la suite de l’ouverture locale de sa 11e saison dans le circuit canadien, le Québécois de 36 ans accrochera ses crampons pour de bon. Rationnel et sensible à la fois, Brodeur-Jourdain comprend la logique derrière cette conclusion, mais ça ne l’empêchera pas d’être envahi par un tourbillon d’émotions.
« J’ai toujours été quelqu’un de très logique et rationnel et ce n’est pas logique et rationnel d’avoir un vieux de 36 ans sur l’équipe de blessés et que ça compte sur le plafond salarial. Veux, veux pas, ça devient un boulet. C’est du sport professionnel et il y a une dimension financière à chaque décision. Quand je le vois, je comprends que ça ne fait pas de sens », a-t-il détaillé en évoquant des discussions conjointes avec le directeur général Kavis Reed et le président Patrick Boivin qui ont mené à ce résultat.
L’entraînement de mardi a été sa dernière séance complète et il s’est assuré d’en profiter au maximum. Il est loin de quitter avec une amertume en bouche. À vrai dire, il décèle bien du positif à sa sortie.
« Je me retrouve dans une situation extrêmement privilégiée. Je suis beaucoup plus reconnaissant que l’équipe prenne soin de moi et me permette de vivre un dernier match et d’en être conscient. Habituellement, tu ne le sais pas quand c’est ton dernier match », a rappelé l’un des favoris de la foule.
En 2016, on avait eu le privilège d’aller à la rencontre de son accueillante famille à son domicile près de St-Hyacinthe. Entouré de sa compagne Marie-Élaine, de Thomas (le garçon de celle-ci) et avec Noah, son premier enfant, qui se fondait dans ses bras, Brodeur-Jourdain avait émis le souhait, très cher à ses yeux, de pouvoir se retirer uniquement quand ses enfants allaient pouvoir courir le retrouver sur le terrain après un match.
La famille s’est agrandie par la suite avec l’arrivée d’Adam qui est maintenant âgé de deux ans. Il s’est accroché à cette motivation et ce rêve est devenu concret. Parions que cette scène sera très touchante jeudi soir à la conclusion de sa dernière partie.
« Lundi, mon petit bonhomme de deux ans a regardé mon sac de cuir, il a vu le logo des Alouettes et il a dit : ‘Papa, l’équipe à papa’. Je me dis qu’il aura peut-être de petits souvenirs. Dans le cas de Noah (3 ans) et Thomas (13 ans), ils sont pleinement conscients de ce qui se passe. Je sais qu’il y aura un petit souvenir résiduel pour les trois, du moins je le souhaite », a conclu LBJ, avec les yeux pétillants, qui trouve que sa situation familiale ne se prête pas tant actuellement à un rôle d’entraîneur.
Plus tard, bien des personnes pourront leur raconter à quel point leur père a été précieux aux Alouettes et que des milliers de partisans auraient voulu ajouter des grains dans le sablier.