MONTRÉAL – Le sujet est délicat et on aurait voulu le raconter en douceur. Mais les critiques recueillies sont trop incisives. « Les gens de la LCF disent que c’est un enjeu important, mais ils s’en foutent ! » 

On parle ici des rares, trop rares, ouvertures pour les Noirs dans les postes d’envergure du circuit canadien comme directeur général, président, arbitre en chef ou haut gradé dans les bureaux de la LCF. 

Il y a quelques semaines, le collègue de TSN, Dave Naylor a publié un tweet disant que le bassin de partisans était, de manière très homogène, blanc ce qui ne reflète pas la diversité chez les joueurs et dans la population. 

Le collègue Didier Orméjuste avait saisi la balle au bond face à ce problème en ajoutant que c’était le même constat pour les employés des bureaux de la LCF, pour 99,9% des journalistes qui suivent les activités du circuit, pour tous les arbitres et la majorité des employés influents des équipes. 

Le confrère Arash Madani, de Sportsnet, avait ajouté son grain de sel en déplorant les présidents des équipes sont des hommes blancs. Avec ironie, il avait écorché le slogan de la LCF « Diversity is strength » en disant que, au minimum, les chandails étaient beaux. 

Dans le cadre du mois de l’Histoire des Noirs, on a approfondi le dossier. Trois intervenants - qui ont travaillé ou qui travaillent pour un club de la LCF - ont accepté de se confier de manière anonyme pour dresser un portrait juste, mais décevant. On y reviendra à la fin, mais heureusement que l’Association des joueurs de la LCF s’attaque au problème. 

À première vue, on pourrait croire que la LCF n’en arrache pas tant au sujet de la diversité. Après tout, il n’existe que neuf équipes et des Noirs ont obtenu des rôles de directeur général, d’entraîneur-chef et même celui de commissaire. 

Mais quand on s’infiltre, via nos sources, au cœur des opérations, ce n’est pas reluisant. Avant de leur accorder la parole, ils nous ont tous confirmé qu’ils ont senti, à un certain point de leur parcours, qu’ils n’ont pas été suffisamment considérés pour une promotion à leur portée en raison de leur couleur de peau. 

« Quand il se passe quelque chose (comme le terrible incident de George Floyd), la LCF envoie un communiqué pour montrer qu’elle est dans la game. Mais on ne voit aucune action réelle par la suite », a déploré l’intervenant qui considère que les gens de la LCF se foutent de cet enjeu. 

Il utilise un exemple concret déployé par la NFL (le Rooney Rule) pour faire bouger les choses. 

« La LCF et les équipes devraient faire beaucoup plus d’efforts. La LCF est capable d’établir un plafond salarial aux équipes pour les opérations football et pour la masse salariale des joueurs, mais elle n’a jamais instauré un système pour assurer que des candidats issus des minorités soient interviewés pour des postes d’envergure », a décrié cette personne. 

« Ce serait bien, en fait plutôt nécessaire, que ça se fasse. La méthode n’est pas parfaite dans la NFL, mais on dirait que la LCF accepte que les équipes puissent uniquement interviewer des Blancs », a-t-il ajouté. 

La deuxième source, qui évolue comme entraîneur, ne craint pas de déposer ce commentaire.

« Mon ascension n’a pas été aussi vite que certains. Est-ce en raison de ma couleur de peau ? Ce que je peux dire, c’est que d’autres ont avancé plus vite que moi avec moins de qualifications. »

Inévitablement, les Noirs qui oeuvrent dans le milieu universitaire ou professionnel du football finissent par discuter de la situation. Ils ont tous entendu des récits de candidats qui n’ont même pas été convoqués en entrevue pour un poste recherché.

Randy Ambrosie« Les gens dans la LCF vont dire que ça n’arrive pas ici, dans notre ligue, mais il y a beaucoup d’histoires comme celles qui se passent aux États-Unis. Les gens qui détiennent le pouvoir d’engager des candidats se tournent souvent vers des gens qui leur ressemblent. C’est une évidence que le personnel à travers les équipes et la LCF n’est pas représentatif de la population canadienne », a exprimé notre troisième intervenant. 

La LCF doit sortir des sentiers battus

Si l’imposition d’un quota pour les entrevues ne réglera pas le problème, notre troisième source soutient que la meilleure manière de l’éradiquer sera d’embaucher des gestionnaires qui sortent des sentiers battus pour trouver les candidats les plus solides. Selon lui, « il faut changer les mentalités au lieu de faire de la coercition. »

Quant à l’argument que les candidatures venant des minorités ne sont pas assez nombreuses, il avance que c’est essentiel que les dirigeants ratissent plus large que leur cercle habituel de contacts. 

« Dans la LCF, on recycle les entraîneurs qui se promènent d’une équipe à l’autre. C’est la même chose pour le poste de directeur général », a exposé ce contact. 

De manière unanime, les personnes consultées déplorent l’absence de programmes pour dénicher du talent plus diversifié. À tout le moins, ils voudraient que la LCF et le commissaire Randy Ambrosie martèlent que la porte est ouverte pour les candidats des minorités afin que le message se rendent à leurs oreilles et qu’ils se sentent les bienvenus. « Tu ne peux pas juste te fier aux Noirs qui sont passés avant... », a critiqué un des intervenants. 

Le troisième contact sondé a ajouté cette précision. 

« Je rêve de la journée que la personne en minorité ne se sentira pas lésée (dans un processus d’embauche) parce qu’elle sait que les mentalités ont changé et que le meilleur candidat gagnera que ce soit un Blanc ou un Noir. En ce moment, c’est impossible parce que, pendant des générations, les dés étaient pipés. On n’est pas là pour quémander un poste, on veut simplement une chance légitime de l’obtenir. »

Via un porte-parole, la LCF a accepté de répondre aux critiques énoncées. 

« La LCF croit à la diversité et à l’inclusion et elle poursuit son travail afin que ses pratiques quotidiennes reflètent ces principes. Le bureau de la LCF s’est doté d’un comité interne sur ces questions, et ses recommandations modifient encore à ce jour les processus d’embauche. Par exemple, la LCF a adopté le recours à des curriculum vitae sans nom afin de contrer les biais inconscients. Cette pratique a probablement contribué à l’embauche et à la promotion de nombreuses femmes et d’employés se déclarant issus de minorités visibles. »  

« Il est difficile de répondre à des situations spécifiques lorsque des individus choisissent d’émettre des commentaires généraux sous le couvert de l’anonymat. Cela dit, nous respectons les points de vue partagés et nous sommes toujours ouverts à explorer de nouvelles approches qui nous permettront d’atteindre nos objectifs, incluant de faire de notre ligue un milieu plus inclusif et diversifié », a poursuivi la LCF. Jeffrey Orridge

Deux programmes prometteurs grâce à l’Association des joueurs

En réfléchissant au portrait actuel, l’un des trois intervenants finit par se dire que « c’est comme si la LCF laissait ce fardeau entre les mains des joueurs étant donné que le président de l’Association des joueurs est Noir. »

Solomon Elimimian, l’ancien joueur étoile, a accédé à ce poste en février 2020. En entrevue avec le RDS.ca, il aborde cet enjeu de manière constructive.

« On a vraiment déploré ce manque de diversité et c’est à la LCF d’exercer le rôle de meneur. Si ce n’est pas le cas, ça ne changera pas suffisamment. Je crois vraiment qu’ils peuvent faire plus d’efforts », a prononcé Elimimian. 

Lorsqu’on lui demande si les dirigeants de la LCF écoutent ses doléances, il répond avec aplomb. 

« Qu’ils nous écoutent ou non, ce sont les actions qui comptent. Il ne faut pas que ce soit juste des mots ou des slogans, mais bien de véritables actions qui doivent être prises. »

Parlant d’actions, il se réjouit fortement de la création de deux initiatives qui seront dévoilées publiquement dans les prochaines semaines. 

L’Association des joueurs lancera un programme académique de gestion sportive, en association avec une université, pour que certains de ses membres développent des outils spécifiques pour devenir des dirigeants dans le milieu du football. Solomon Elimimian

Ensuite, l’Association des joueurs a convaincu la LCF de démarrer un programme de mentorat. Ainsi, six membres ont été sélectionnés pour épier le travail de dirigeants d’équipes durant la semaine du Combine de la LCF. 

« On a imposé de la pression sur la LCF pour que ça se fasse. Ça permettra à certains de nos membres de mieux comprendre ces rôles, ce que ça exige. Du même coup, ça exposera la LCF à certains de nos membres très qualifiés pour cette avenue », a souligné Elimimian avec fierté. 

« Plusieurs personnes des minorités pourraient accomplir un solide boulot. Mais le problème demeure que, si on ne t’accorde pas ta première chance, tu n’atteindras jamais le niveau plus élevé. Il faut encore se prouver davantage pour obtenir ces rôles », a conclu celui qui voit, heureusement, plus d’espoir à l’horizon. 

*Avec la collaboration de Nicolas Landry pour l'idée.