TROIS-RIVIÈRES – Dimanche matin, l’invitant stade des Diablos devait accueillir des partisans pour le lancement du camp d’entraînement des Alouettes de Montréal. Ce sont plutôt des clôtures fermées qui attendaient les visiteurs. 

Après avoir été frappée par une pandémie provoquant notamment l’annulation de la saison 2020 et un calendrier écourté en 2021, la LCF se retrouve désormais avec une grève puisque la convention collective est échue. 

Comparativement aux plus grandes ligues sportives, c’est une évidence que le circuit canadien et ses joueurs ne peuvent guère se permettre un conflit de travail. Heureusement, il y a eu des rapprochements, durant la dernière semaine, entre les dirigeants et l’Association des joueurs (AJLCF). 

Au fil des ans, les deux clans ont souvent eu de la misère à s’entendre sur le contrat de travail, mais le peu de marge de manœuvre les a poussés à faire des compromis. Ainsi, c’était particulier de réaliser qu’il s’agit de la deuxième grève dans la LCF, la seule autre remonte à 1974. 

Pour l’instant, le directeur général des Alouettes, Danny Maciocia, était capable de réagir avec une dose d’humour. 

« Depuis que j’ai obtenu le poste, rien n’est normal. Il y a eu la pandémie et la saison annulée. Ça s’est poursuivi avec de l’incertitude et une saison inhabituelle de 14 matchs. On se retrouve avec cette situation et on attend avec impatience de voir comment ça va se régler », a-t-il confié en entrevue à quelques mètres du terrain. 

S’il parvenait à en rire, ça ne pouvait pas effacer le vrai sentiment qui flottait dans l’air. 

« Je pense que tout le monde est un peu frustré de la situation. Pas seulement moi. Que ce soit les joueurs, les dirigeants, les partisans, les médias. Il y a un peu de frustration justifiée, mais on peut seulement demeurer patients même si ce n’est pas ma force. [...] On ne s’attendait pas à ce que ça arrive ainsi, mais c’est notre réalité et on espère que ça se règle bientôt », a admis Maciocia. 

Confinés à leur dortoir, les joueurs des Alouettes ont pris la décision, de leur propre chef, d’aller se délier les jambes sur le terrain pendant environ 45 minutes et ils étaient plus de 40 à se prêter au petit exercice. Kristian Matte et Eugene Lewis, deux meneurs respectés dans l’équipe, ont accepté de répondre aux questions des journalistes après avoir réfléchi à la manière de gérer cette situation inhabituelle. 

« C’est sûr que ce n’est pas l’idéal, on était très excités de venir à Trois-Rivières. C’est dommage que ça se passe toujours à la dernière seconde. Ça fait longtemps que je suis dans la LCF (depuis 2010) et c’est la première fois que ça se produit. Je ne suis pas surpris, mais déçu que ce ne fut pas possible d’arranger les choses avant le début du camp. Mais, en même temps, il faut que l’entente soit bonne pour tout le monde », a reconnu Matte. 

À son tour, il a convenu que c’était frustrant d’être plongé dans ce contexte. 

« Oui, absolument ! En tant que joueur de football, je veux jouer. La saison morte est longue et ça ne s’est pas bien terminé la saison dernière. J’avais hâte de mettre mon casque et frapper des joueurs. Quand ça va commencer, le camp d’entraînement ira vite. On a déjà perdu une journée », a noté le joueur de ligne offensive qui a pris le temps de bavarder avec quelques partisans qui s’étaient tout de même déplacés pour voir les joueurs. 

« J’adore cette profession qui n’a pas l’air d’un métier à mes yeux. Chaque année, je me sens reconnaissant de jouer. C’est donc vraiment dommage d’en arriver à ce point, mais je comprends aussi qu’il y a un côté affaires à cet enjeu. On doit s’assurer que l’entente est juste pour les deux clans, pour que tout le monde soit dans une bonne position chez les joueurs. On ne fera pas les choses qu’on ne doit pas faire », a précisé Lewis à ce propos.  

Ainsi, Matte considère que les joueurs ne doivent pas effectuer trop de concessions cette fois. 

« Dans les dernières négociations de 2014, 2019 et 2021, il y a des choses qui ont été laissées sur la table et on n’aurait peut-être pas dû agir ainsi », a visé l’athlète de 36 ans alors que les Alouettes sont représentés par Chris Ackie et Almondo Sewell dans ces négociations. 

« En ce moment, nos représentants disent que ce n’est pas avantageux pour nous, qu’il faut attendre et continuer de négocier. On veut jouer, on sait que les partisans veulent qu’on joue et on sait aussi très bien que la LCF veut qu’on joue. On espère que ça arrive rapidement, mais ça prend parfois du temps », a-t-il ajouté. 

Une bonne idée de se permettre ce conflit ?

Il ne fait aucun doute que les répercussions de la pandémie ont rendu la LCF plus fragile. Le circuit du commissaire Randy Ambrosie doit donc éviter d’empirer la situation avec ce conflit. Les joueurs, eux, méritent sans doute de meilleures conditions, mais ils doivent doser le tout. 

« En 2020, en raison de la saison annulée, plusieurs joueurs ont dû trouver un autre emploi. Pour la LCF, ce fut une année sans revenus. Présentement, des deux côtés, il n’y a pas d’argent qui rentre et on sait que c’est l’argent qui fait rouler le monde. Les joueurs veulent être en mesure de jouer, on adore ça, on est des passionnés. On joue dans la LCF, ce n’est pas la NFL ou la NBA. Oui, on est bien payés pour ce que l’on fait, mais ça ne ressemble pas aux autres ligues. Il doit y avoir un équilibre », a exposé Matte. 

Pour résoudre un tel conflit de travail, ça implique un vote et il faut parfois rallier des joueurs à la vision du groupe. Ce n’est jamais évident à faire au football considérant la taille des équipes. 

« C’est sûr que c’est un peu différent pour chaque joueur. On a des recrues qui s’attendaient à jouer tout de suite », a acquiescé Matte. 

« Je peux assurément comprendre les autres joueurs, surtout les plus jeunes et ceux qui sont ici pour la première fois. Ils sont prêts à jouer et bâtir leur carrière, mais ils ne peuvent pas contrôler ce qui se passe. Pour le moment, l’ambiance est encore très bonne car les gars sont heureux de se revoir et prendre des nouvelles des autres à propos de la naissance d’enfants, de mariages, ou de l’obtention de diplômes », a réagi Lewis en ajoutant une touche bien pertinente.   

« On ne peut pas faire exactement ce qu’on souhaiterait, mais on est reconnaissant d’être ici car bien des joueurs aimeraient appartenir à une équipe présentement », a précisé le receveur. 

Puisque les lois du travail sont différentes à travers le pays, les équipes de l’Alberta (les Elks et les Stampeders) n’ont pas encore déclenché de grève. Malgré tout, si le conflit se prolonge, il affectera chaque club. 

« On est tous dans le même bateau. Évidemment, il y aura des dommages collatéraux, la question demeure de mesurer l'impact », a ciblé Maciocia. 

« C’est une ligue résiliente formée par des personnes résilientes. C’est juste une question de trouver une entente et d’en arriver à une conclusion positive. J’espère que ce sera le cas », a souhaité le DG des Alouettes. 

Notons que les quarts Vernon Adams fils et Trevor Harris ainsi que le porteur de ballon William Stanback faisaient partie des joueurs à fouler le terrain.