AUGUSTA, États-Unis - Le temps s'écoule lentement au bord des allées du très fermé club de golf d'Augusta National, qui organise le célèbre Tournoi des Maîtres, et ce temple de la tradition aux États-Unis ne s'ouvre que timidement aux changements, en témoigne la récente intégration de membres féminins.

Par rapport aux manières conservatrices héritées d'un autre siècle qui le gouverne parfois, le club a fait un pas de géant en août en s'ouvrant pour la première fois à une membre de sexe féminin. Ou plutôt deux à la fois : la financière Darla Moore et l'ex secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice.

Il a fallu attendre 80 ans pour que les femmes aient voix au chapitre dans ce coin de Georgie, au coeur de ce Sud profond où ont été écrites certaines des heures les plus sombres de l'histoire américaine, de la sanglante Guerre de Sécession aux lois de ségrégation.

Cofondé en 1933 par une légende du golf, Bobby Jones, Augusta National n'a accueilli son premier golfeur noir au Masters qu'en 1975, plus de dix ans après la fin de la ségrégation dans le Sud. À une époque, les noirs n'y étaient en fait tolérés que pour porter les sacs des membres sur cet impeccable parcours vallonné, planté de hauts pins et bordé d'azalées, manucuré comme aucun autre.

« Aussi longtemps que je serai en vie, les golfeurs seront blancs et les cadets seront noirs », avait dit un jour l'autre cofondateur du club, Clifford Roberts. Il est décédé en 1977 et les cadets sont restés noirs jusqu'en 1983. Le premier membre à la peau noire a lui été intronisé en 1990.

D'autres présidents ont contribué à perpétuer l'image conservatrice de cette institution, qui compte aujourd'hui environ 300 membres, principalement des gens haut placés dans les mondes des affaires, de la politique et du sport.

« Baïonnette »

En 2003, face à une manifestation féministe organisée devant le club pendant le Masters pour dénoncer l'exclusion tacite des femmes, Hootie Johnson avait déclaré que le sujet ne serait pas discuté « sous la menace d'une baïonnette ».

En 2012, avant le tournoi, l'actuel président, Billy Payne, avait fermement refusé d'évoquer le sujet de l'intégration des femmes en disant que les délibérations sur l'intégration de nouveaux membres étaient « privées ».

Un an plus tard, changement de ton : « J'espère que Condi (Rice) et Darla (Moore) ont apprécié leur expérience de membres depuis huit mois autant que les autres membres ont apprécié leur présence. Ces dames sont très spéciales ».

Il faut dire qu'on ne force pas la main à quiconque à Augusta, comme aurait pu en témoigner un membre célèbre, le président américain Dwight Eisenhower.

Quand en 1956 « Ike », alors en exercice à la Maison Blanche, a proposé de faire couper un pin de vingt mètres de haut sur le trou no 17 dont son jeu s'accommodait mal, sa requête a simplement été ignorée.

Augusta National fait les choses à sa façon et à son rythme, en cherchant à ne pas céder aux pressions d'un monde extérieur auquel il est hermétique.

Le nom de ses rares commanditaires est invisible sur le parcours, où les téléphones portables sont strictement interdits, et le club vient d'accepter seulement cette année de monter des tentes pour les VIP invités par ses propres sponsors, dont certains demandaient cet aménagement depuis près de 50 ans.

« Je ne caractériserais pas ce que nous avons fait comme "changement", affirme avec aplomb Billy Payne. Nous avons fait ce que nous étions supposés faire, c'est à dire être un phare dans le monde du golf et faire de notre mieux pour attirer les gens qui veulent en faire partie. »