MONTRÉAL – « C’est vraiment amusant, personne ne pourrait penser que j’ai joué au hockey toute ma vie. Les gens qui apprennent que je suis un ancien joueur me regardent de haut en bas et me disent souvent qu’ils n’auraient jamais deviné. »

« En plus, je me retrouve aux commandes d’un restaurant végétalien, ce n’est pas très courant pour un joueur de hockey. »

Celui qui parle, sans aucun préjugé, c’est Cory Urquhart que le Canadien a repêché en deuxième ronde (au 40e rang) en 2003 seulement cinq échelons avant Patrice Bergeron et neuf devant Shea Weber.

Urquhart s’est bien accroché pendant quelques années dans la Ligue américaine, mais les portes de la LNH sont demeurées fermées pour lui et il est parti pour les patinoires allemandes. Par une belle coïncidence, ce choix de destination a eu une grande influence sur sa nouvelle carrière.

Cory Urquhart« Pendant que je jouais en Allemagne (photo), un de mes coéquipiers plus âgé a ouvert une place semblable avec sa conjointe dans la ville de Heilbronn (sud-ouest du pays). Ma femme les a aidés et j’arrivais au point où j’étais pas mal certain que je ne voulais plus jouer. On est donc revenu à Halifax (sa région natale) avec ce plan plutôt brut en tête de ce qu’on voulait faire et ça grandit depuis deux ans », a raconté l’entrepreneur de 31 ans.

« Ça se passe très bien, mais disons que c’est très différent du hockey! », a-t-il enchaîné en rigolant pendant une autre matinée occupée chez enVie.

Ironiquement, c’est surtout en enfilant ce nouveau chapeau de restaurateur que l’attaquant reconnu pour ses qualités offensives a réalisé ce qui a nui à ses chances de réaliser son rêve.

« Si j’avais pu savoir ce que c’était de travailler fort à ce moment… », a confié l’ancien des Remparts et du Rocket.

« Je pensais que je travaillais fort, mais j’ai gagné en maturité et j’ai grandi. En faisant d’autres choses, tu réalises que tu ne travaillais pas assez. Au hockey, tu investis quelques heures intenses par jour tandis que je travaille maintenant autour de 70 heures par semaine », a-t-il ajouté.

Urquhart ne constituait peut-être pas un modèle de travail à l’époque, mais il aurait voulu connaître une carrière plus florissante.

« Définitivement, j’aurais souhaité accomplir davantage. Je suis en paix avec ça, mais j’aurais aimé en savoir plus sur la vie à cette époque », a exposé celui qui a connu deux saisons de 35 buts dans la LHJMQ.

Sans se morfondre avec ceci tous les jours, Urquhart entretient tout de même de petits regrets.

« Je me dis souvent : "Merde, si j’avais eu cette mentalité et cette motivation dans le temps, j’aurais pu connaître un peu plus de succès". Mais, ça fait partie de la vie, il faut se découvrir et je suis entièrement capable de dire que je n’ai pas assez travaillé », a-t-il avoué.

Rien pour lui faire oublier ce constat, Maxim Lapierre, son ancien coéquipier avec le Rocket, lui a prouvé que les efforts peuvent départager ceux qui franchissent la dernière étape.

Gilbert Delorme, qui l’a dirigé à Montréal, est venu confirmer cette situation.

« C’était un joueur imposant avec un bon lancer, mais il manquait de cœur à l’ouvrage et de caractère. Au même moment, je dirigeais Max et c’était complètement différent, il poussait toujours à fond et il a réussi à jouer plusieurs années dans la LNH », s’est rappelé l’analyste à RDS et ancien joueur des Canadiens, des Blues, des Nordiques, des Red Wings et des Penguins.

« Pourtant, Cory avait plus de talent. Ça fait partie du jeu, certains percent et d’autres non. »

Coincé dans la AHL et la ECHL durant quatre saisons, Urquhart n’a pas réalisé assez rapidement qu’il devait donner un coup de barre à sa carrière parce qu’il avait le talent nécessaire.

« Quand tu te retrouves parmi les meilleurs marqueurs de ton club à tous les niveaux, tu t’habitues à ça et ça devient plus difficile quand tu deviens un professionnel. Tu dois plus te prouver et j’ai eu de la difficulté à faire cela. » 

« C’est aussi ma personnalité. Tous ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas le plus intense ou le plus compétitif. C’est très intense de faire carrière au hockey, tu es dédié à ça tous les jours. Maintenant, ça me sert bien comparativement à ce que ça faisait dans le hockey », a dévoilé Urquhart.

Cory UrquhartInutile de verser dans l’amertume

Maintenant qu’il a tiré un trait sur sa carrière de hockeyeur, son nom se classe dans la colonne des joueurs repêchés qui ne sont pas parvenus à jouer un seul match dans la LNH. Bien sûr, Urquhart ne s’en réjouit pas, mais il préfère voir le verre à moitié plein.

« C’est difficile, on me le demande souvent. Sauf que tout le monde a des rêves et des aspirations et ils ne pourront pas les atteindre. Je préfère regarder les choses positivement dans le sens que j’ai probablement accompli plus au hockey que 95 % des jeunes qui ont essayé ce sport », a évalué le volubile intervenant.

Évidemment, il a eu besoin de temps pour éclaircir le tout, mais Urquhart en a retenu des leçons.

« Dans le fond, ce ne serait pas utile d’être fâché. Je ne peux rien y changer et j’ai fini par l’accepter. J’ai dédié la moitié de ma vie à ce rêve sans que ça fonctionne, mais en même temps, je dois beaucoup de choses dans ma vie à ce parcours. Ça te permet de grandir et j’ai beaucoup appris. Sur le coup, tu ne penses pas que c’est le cas, mais tu finis par réaliser que tu as accompli de belles choses », a-t-il souligné avec franchise.

Apprendre à se débrouiller dans la vie

En faisant une transition dans le monde des affaires avant de célébrer son 30e anniversaire, Urquhart pourrait bien s’ennuyer des charmes du hockey.

« On me demande ça souvent, mais pas vraiment. Dans le fond, le hockey était pas mal la seule chose que j’avais faite dans ma vie. C’est intéressant de pouvoir se faire des amis venant d’autres sphères de la société », a relativisé celui qui s’ennuie de l’entraînement associé à une carrière d’athlète.

Nul doute, Urquhart ne voulait pas s’accrocher au milieu du hockey comme certains patineurs le font. Même s’il a quitté cet univers, il se dit touché par les problèmes qui affectent la vie de plusieurs joueurs au moment de leur retraite et il se sent mieux outillé pour ne pas tomber dans ce piège.

« Je pense que c’est le cas. Ce n’est vraiment pas évident de commencer un nouveau projet à partir de zéro à 35-36 ans ou même plus. Je devais accepter que la fin arrivait et je pense que j’ai bien géré cette situation.

« La majorité des gars vont se diriger vers des avenues plus faciles comme pompier. Dans mon cas, je voulais quelque chose de très différent pour devoir relever un défi dans la vie et je ne voulais pas commencer trop vieux », a-t-il commenté.

Au-delà du deuxième métier qui sera choisi par les athlètes, ils doivent surtout se familiariser avec une nouvelle réalité.

« Le hockey est un monde très organisé et c’est un peu comme s’il y a toujours quelqu’un qui te surveille, et c’est normal avec tout l’argent investi en toi. Tu n’as rien dont te soucier, tu dois seulement te lever, bien manger, t’entraîner et jouer. Mais, après, tu dois apprendre à te débrouiller. Je me souviens d’avoir eu un agent qui payait même les comptes de carte de crédit », a décrit Urquhart.

« C’est difficile quand ça se termine parce que ça ne marche pas ainsi dans la vraie vie à moins que ta femme fasse tout pour toi! », a blagué celui qui se démène au travail avec sa conjointe.

De la compassion pour les recruteurs

Au fil des ans, l’engouement envers le repêchage de la LNH – comme celui des autres sports professionnels – ne cesse de croître, ce qui crée des attentes parfois démesurées autant chez les joueurs que les amateurs.

Cory Urquhart et sa conjointe dans le restaurant« Les gens qui ne connaissent pas trop le hockey ont tendance à croire qu’une carrière est garantie avec le repêchage. Par contre, la pression des fans et des médias, ce n’est pas évident à gérer pour tous les joueurs. De l’autre côté, c’est bien pour le marketing du sport, c’est à propos de l’argent », a noté celui qui a été repêché après une première ronde exceptionnelle.

En juin 2003, Urquhart n’a toutefois pas fait l’erreur de croire que sa place dans la LNH était maintenant acquise.

« C’était le meilleur moment et je pensais probablement que ce serait un peu plus facile que ce le fut, mais je voyais ça comme la première étape », a témoigné le droitier.

« J’ai été très chanceux d’avoir des parents très terre à terre. Ils ne m’ont pas laissé m’enfler la tête, ils n’étaient pas du style à célébrer tout ça. Sans être dur avec moi, il ne s’est pas passé un jour sans que mon père me dise que je n’avais rien accompli encore. »

Urquhart ne se morfond pas sur son sort et il a surmonté les regrets, mais il éprouve encore beaucoup de compassion envers les recruteurs. Oui, les recruteurs qui ont poussé pour lui et qui ont incité leurs collègues à le repêcher.

« Je me sens mal pour eux. Je sens que j’ai un peu laissé tomber ces personnes. Ils ont certainement bûché très fort pour convaincre leurs collègues que j’étais le bon choix », a tenu à préciser Urquhart avec beaucoup de classe.

Même s’il a quitté le hockey plus rapidement que certains et qu’il se consacre à un tout autre monde, ça ne veut pas dire que ce sport a été exclu de son existence.

« Ce sera toujours une partie importante de ma vie. Si j’ai des enfants et qu’ils veulent jouer, je serai d’accord avec ça, mais je ne serai pas du style à les pousser », a conclu Urquhart dont le restaurant fait figure de bébé pour le moment.

*Avec la collaboration de Francis Paquin et David Arsenault pour l'inspiration du sujet.