À noter que l'entrevue réalisée avec Éric Chouinard s'est déroulée avant les attentats terroristes ayant frappé Paris vendredi dernier.

MONTRÉAL – Les « flops », voilà, plus souvent qu’autrement, la manière de les identifier. Ce sont ces joueurs, repêchés à un haut rang dans la LNH, qui n’auront jamais atteint les attentes placées envers eux par les équipes et les amateurs. Le RDS.ca s’est arrêté sur ce phénomène pour vous préparer une série d’articles axés sur des exemples qui sont parvenus à larguer ce boulet pour retrouver le sourire.

En raison de la nature du repêchage – qui comprend maintenant 7 rondes et donc 210 sélections –, les échecs sont inévitables, mais ça ne veut pas dire que la vie s’arrête pour ces athlètes qui s’épanouissent autrement.

Bien malgré lui, Éric Chouinard personnifie souvent cette réalité en ce qui concerne le Canadien de Montréal. Sélectionné au 16e rang en 1998, Chouinard avait été identifié comme le joueur qui allait relancer l’attaque montréalaise. Le mur a frappé fort alors qu’il a été limité à une carrière de 22 points et 90 parties dans la LNH dont seulement 13 avec le Tricolore.

Le plus gros hic demeure toutefois que Chouinard a été préféré par le Canadien à Simon Gagné, son coéquipier des Remparts de Québec qui a connu une illustre carrière de 822 rencontres et 601 points.

Rejoint en France, 17 ans après son repêchage, Chouinard a accepté de revenir sur ce dossier parce qu’il est tout simplement heureux dans la vie après avoir surmonté cette épreuve. En dépit de son épisode incomplet dans la LNH, Chouinard n’a pas abandonné le hockey pour autant et il met son expérience au profit des Brûleurs de Loups en tant que capitaine.

À la suite d’un purgatoire, qui aura duré quatre saisons à essayer de s’établir dans le circuit Bettman, Chouinard a fini par être en paix face à cette démarche vaine.

« C’est arrivé probablement la journée que j’ai pris la décision de m’en aller en Europe », a confié Chouinard dans un entretien honnête et généreux avec le RDS.ca.

Éric Chouinard en 2001« Ce fut un moment très spécial d’être repêché et j’étais très heureux que ce soit par Montréal, j’en étais fier. Mais, comme les gens le savent, ça n’a pas fonctionné pour moi avec le Canadien. Ceci dit, j’ai vécu de belles expériences et ça m’a permis de réaliser mon rêve de jouer dans la LNH », a-t-il enchaîné.

C’est agréable de retrouver, au bout de la ligne, un hockeyeur qui a trouvé la sérénité malgré le fait que son nom refait si souvent surface quand les gens et les journalistes parlent des erreurs du repêchage.

« Je vais être honnête, il y a eu un bout où j’en avais plein mon casque », a-t-il admis avec franchise.

« Je vais te conter une anecdote. À tous les ans, RDS et les autres médias font des top-10 des choix du Canadien qui ont été des échecs. Mon nom finit par revenir et ça devient tannant à un moment donné. Tu finis par te dire qu’il faudrait tourner la page. Mais je ne vais jamais me plaindre, c’est le côté le plus plate à vivre avec sauf que j’ai appris à le faire. J’ai appris à voir les côtés positifs que ça m’a donnés dans la vie », a exposé Chouinard.

L’attaquant gaucher fait ici référence à sa carrière de plus de 10 saisons en sol européen en Autriche, en Suisse, en France et majoritairement en Allemagne.

« Je veux surtout penser au positif et à tout ce que ça m’a apporté. J’ai eu le privilège de porter le chandail du Canadien et j’ai gagné ma vie à jouer au hockey », a mentionné l’auteur de deux saisons de plus de 100 points dans la LHJMQ.

La plupart du temps, ce refrain négatif a davantage affecté son entourage. Il en vient aussi à se dire que ce contexte puisse faire craindre à certains espoirs québécois d’aboutir avec le Canadien.

Ça ne veut pas dire pour autant que Chouinard aurait souhaité un parcours différent et surtout pas avec la maturité et le recul.

« En toute honnêteté, je ne sais pas si je changerais les choses si je le pouvais. J’ai été confronté à des expériences de vie difficiles par moments, mais si on m’avait dit à l’âge de 14 ans que j’allais gagner ma vie en jouant au hockey pendant plus de 15 ans et réaliser mon rêve de jouer dans la LNH en y restant pendant plus ou moins deux saisons, je l’aurais pris. C’est certain à 100 %.

« Il faut peser le pour et le contre dans la vie, mais il faut avancer, et quand tout sera terminé, je suis certain que je me dirai que ce fut une très belle aventure », a soupesé Chouinard.

Bien sûr, il aurait rêvé de s’établir dans la LNH et d'y briller dans un rôle offensif, mais le Québécois ressent tout de même une fierté d’avoir pu atteindre ce niveau. Éric Chouinard

« Absolument. Même si j’ai souvent été laissé de côté, j’ai fait partie d’une équipe pendant environ deux ans. Il y a tellement de personnes qui rêvent de jouer dans la LNH et j’ai pu le faire », a décrit le patineur de six pieds trois pouces.

Ceci dit, quand il a choisi de s’expatrier pour de bon en Europe en 2006, Chouinard le faisait pour son bien.

« Je n’avais pas perdu le plaisir, mais je n’étais pas aussi enchanté de faire ce métier. Sans dire que j’étais affecté, j’ai été frustré de la situation et de la manière dont les choses se sont déroulées pour moi. Je voulais que ça fonctionne à Montréal », s’est-il rappelé.

La question valait la peine d’être posée puisque Chouinard a traversé l’Atlantique plutôt hâtivement contrairement à certains joueurs qui ont préféré s’accrocher dans la Ligue américaine de hockey pour obtenir une dernière chance de faire le grand saut.

« C’est vrai, je dois avouer que je suis parti rapidement et je me suis fait demander par d’anciens coéquipiers pourquoi je n’ai pas attendu plus longtemps. Probablement que j’aurais pu être plus patient, mais je m’imposais énormément de pression à réussir rapidement. De plus, j’ai toujours voulu être un joueur à caractère offensif dans une équipe. Je n’aurais pas été le style à être heureux de devenir un joueur de soutien, ce n’est pas dans ma personnalité », a expliqué le père de deux filles.

Peu intéressé par cette avenue, Chouinard a également déchanté lors de sa dernière campagne dans la Ligue américaine avec le Rampage de San Antonio.

« Cette saison avait été affreuse, on était le pire club dans la ligue et on avait battu des records de médiocrité. J’aurais pu rallonger mon parcours si la dernière année avait été plaisante, mais en fin de compte, j’en avais assez et je voulais tourner la page », a-t-il reconnu.

L’inévitable comparaison avec Simon Gagné

Évidemment, Chouinard n’a pas été le seul choix du Canadien à faire banqueroute. On peut songer en quelques secondes à David Fischer, Matt Higgins ou Terry Ryan. Cependant, sa situation a toujours attiré plus d’attention étant donné ses origines québécoises et surtout la comparaison avec Simon Gagné qui a excellé dans la LNH après avoir été repêché six rangs plus tard que lui.

Inutile de poser la question à Chouinard, il aborde lui-même cet aspect de front.

Éric Chouinard« Ce ne fut pas évident avec toutes les comparaisons établies avec Simon. À l’époque, je n’avais pas l’expérience pour affronter ces choses-là. C’est certain que l’émergence de Simon m’a fait très mal », a soulevé Chouinard à propos de celui qu’il a connu à l’âge de 8 ans.

« Si Simon avait été choisi quelques rangs avant moi, je crois que les choses auraient été différentes. Les attentes n’auraient pas été aussi élevées à mon endroit, mais je comprends que ça fait partie du jeu », a fait remarquer Chouinard.

Impossible de le contredire sur ce point surtout que ce scénario aurait pu survenir il y a 17 ans. Cependant, le Canadien avait tranché pour Chouinard en raison de deux facteurs principaux.

« Je dois vous dire qu’on aimait beaucoup Simon et ça s’est joué entre les deux pratiquement jusqu’à la dernière minute », a révélé Pierre Mondou, qui faisait partie de l’équipe de recruteurs du Canadien à l’époque avec Pierre Dorion et Doug Robinson notamment.

« Il faut se rappeler que, dans ces années-là, on avait besoin d’attaque et on aimait beaucoup le talent offensif d’Éric. On établit souvent des comparaisons quand vient le temps de sélectionner un joueur et on comparait son potentiel à Eric Dazé, un joueur costaud avec un bon talent offensif », a précisé Mondou, qui œuvre avec les Devils du New Jersey, au RDS.ca.

Malgré les hésitations avec Gagné, le personnel du Tricolore s’était entendu pour y aller avec le fils de Guy Chouinard, le réputé entraîneur, qui a joué plus de 500 matchs dans la LNH.

« C’était unanime qu’on irait avec lui, mais ça n’avait rien à voir avec son père. C’est surtout qu’on aimait ses habiletés et je me souviens que même Jacques Lemaire, Mario Tremblay et Réjean Houle l’avaient vu jouer. On a penché pour Éric parce qu’on trouvait qu’il avait plus d’atouts offensifs », a détaillé Mondou.

Cette préférence a été raffermie par le fait que Gagné, qui était plus petit que Chouinard, avait subi deux blessures considérables dans les années précédant le repêchage.

Une fois que le Canadien a fait son choix et que Chouinard a ressenti l’euphorie d’enfiler le chandail du Canadien en grimpant sur la scène à Buffalo en juin 1998, la phase de développement de son arsenal venait de débuter. Éric Chouinard en Allemagne

Au fil du temps, les équipes de la LNH ont réalisé qu’elles devaient mettre toutes les chances de leur côté en investissant davantage dans cette facette pour limiter les projets avortés du repêchage.

Chouinard refuse de se plaindre puisqu’il avait bénéficié des conseils de Claude Ruel, mais il admet que cette étape a subi une révolution.

« Quand Marc Bergevin est arrivé en poste, il a engagé plusieurs personnes pour le développement des joueurs. Ce n’était pas comme ça dans le temps, c’est clair. Aujourd’hui, beaucoup de personnes travaillent là-dessus à temps plein », a ciblé avec justesse celui qui avait connu un premier camp d’entraînement fort réussi.

Les années plus sombres du Canadien forçaient aussi l’organisation à se tourner vers des vétérans pour relancer le club aussi rapidement que possible. En fin de compte, Chouinard aurait probablement obtenu une plus grande patience dans un autre environnement de la LNH.

« La mèche est plus courte dans les gros marchés pour le temps accordé au développement. Ça me rappelle l’exemple de François Beauchemin qui a fini par décoller sur le tard. Mais quand Éric a été repêché, le club en arrachait et ce n’était pas envisageable de passer quatre ou cinq années dans la cave », a confirmé Mondou.

Mais le recruteur d’expérience – et ancien joueur – a surtout voulu insister sur une réalité du repêchage et du sport professionnel.

« Ça fait 30 ans que je fais ce métier et il y a eu des cas bien pires que celui d’Éric. Il n’était pas le premier et il ne sera pas le dernier! », a dit Mondou en comparant la moyenne d’un recruteur à celle d’un frappeur au baseball qui ne cogne pas en lieu sûr à chaque présence.

Les bénéfices d’une carrière en Europe

Chouinard n’aurait certainement pas craché sur les millions d’une carrière dans la LNH, mais il a découvert les nombreux côtés positifs de la sienne dans des contrées européennes.

« Ce fut des expériences exceptionnelles pour ma famille et moi! Ça m’a permis de voir différentes choses, de vivre dans d’autres cultures, de voyager à plusieurs endroits et de me familiariser avec la langue allemande. Pour toutes ces raisons, quand je disais que je ne changerais pas mon parcours, je suis très sincère. C’est vrai que ça comprenait des expériences pas très faciles, mais ce fut, dans l’ensemble, une aventure extraordinaire », a témoigné Chouinard.

Éric Chouinard en FranceLa retraite n’est pas encore arrivée pour celui qui a aussi porté les couleurs des Flyers et du Wild. Il s’amuse encore après un séjour de six saisons en Allemagne ainsi que des expériences autrichiennes, suisses et norvégiennes sans oublier deux tentatives peu concluantes en KHL.

Même s’il est heureux en tant que meneur des Brûleurs, Chouinard a commencé à songer au prochain chapitre de son parcours professionnel.

« J’adore le rôle de capitaine, c’est un rôle qui me tient à cœur. Il ne faut pas se le cacher, j’ai joué plus d’années que je vais encore le faire.

« Plusieurs de mes amis demeurent dans le monde du hockey et c’est évident que ce serait naturel pour moi d’en faire autant », a-t-il révélé.

Chouinard fait notamment allusion à Alain Nasreddine (entraîneur adjoint avec les Devils), Mike Bales (entraîneur des gardiens chez les Penguins) et Marc Fortier (ancien directeur général des Saguenéens).

Que ce soit dans quelques mois ou quelques années, Chouinard vivra cette aventure indéterminée avec sa famille et il le fera avec le sourire aux lèvres.

« Je ne suis pas le style de personne qui s’apitoie sur son sort. Somme toute, il n’y avait vraiment pas que des mauvais côtés dans ce qui m’est arrivé. J’ai continué dans la vie et je ne voudrais pas que les gens ne pensent qu’au négatif quand ils songent à mon cas. »

« J’ai deux filles, je suis marié et ma femme est également la mère d’une autre fille. Je suis seulement entouré de femmes à la maison, je suis gâté! », a conclu Chouinard avec le bonheur dans la voix.

*Avec la collaboration de Francis Paquin et David Arsenault pour l'inspiration du sujet.