Jordan Harris : son entraîneur éteint les feux
Canadiens jeudi, 25 mars 2021. 22:11 jeudi, 12 déc. 2024. 09:53MONTRÉAL – Jim Madigan a passé la semaine à aligner les entrevues avec les journalistes de Montréal. « Je savais que ça serait une grosse histoire chez vous », nous dit-il après les salutations d’usage.
Parce que ses racines sont toujours bien ancrées dans sa ville natale, l’entraîneur-chef du programme de hockey de l’Université Northeastern n’a pas été surpris de voir les réactions qu’a suscitées la décision de Jordan Harris. Lundi, le jeune défenseur a annoncé qu’il s’était engagé à jouer une quatrième et ultime saison dans les rangs collégiaux américains, forçant le Canadien à patienter avant de lui faire signer son premier contrat chez les professionnels.
La déclaration de Harris, un choix de troisième ronde du CH en 2018, a pris une bonne partie de la communauté hockey de court. Depuis que Marc Bergevin avait mentionné son nom en conférence de presse à la mi-février, plusieurs observateurs semblaient prendre pour acquis que le dilemme de l’espoir de 20 ans se limiterait à deux alternatives : Montréal ou Laval.
Madigan, pendant ce temps, déposait respectueusement ses arguments pour un troisième scénario.
« Plusieurs raisons peuvent convaincre un joueur de revenir pour une quatrième saison, explique Madigan, qui dirige les Huskies de Northeastern depuis 2011. Jordan voulait finir ce qu’il avait commencé. Ça veut dire obtenir son diplôme, mais ça veut aussi dire qu’il y a des honneurs collectifs auxquels il croit encore pouvoir aspirer au sein de notre programme. Dans son nouveau rôle de capitaine, il pourra apprendre à devenir un meilleur leader. Et finalement, il voulait la chance de disputer une dernière saison complète avec nous. On n’a joué que 21 matchs cette année, lui n’en a joué que 19 en raison d’une blessure. Je sais qu’il souhaitait prendre encore un peu plus d’expérience afin d’être encore mieux préparé lors de son passage au prochain niveau. »
À Montréal, où le proverbial bouton panique est constamment dans l’ombre d’une main prompte à une réaction excessive, la nouvelle a été accueillie avec fatalisme. Si Harris osait faire attendre le Canadien, sans doute était-ce le début du genre de bras de fer qu’ont jadis perdu les Ducks d’Anaheim avec Justin Schultz, les Blackhawks de Chicago avec Kevin Hayes ou encore les Flames de Calgary avec Adam Fox. Le jeune allait attendre la fermeture de la fenêtre de négociation exclusive au CH et allait offrir ses services au plus offrant. C’était écrit dans le ciel.
Son entraîneur se fait ici l’avocat du diable. Seulement à Northeastern, dans les trois ou quartre dernières années, Madigan a vu Kevin Roy, Dylan Sikura et Nolan Stevens compléter leur stage universitaire avant de s’entendre dans la paix et l’allégresse avec l’équipe qui les avait repêchés.
À ses yeux, rien ne laisse croire que Harris ne se montrera pas aussi loyal envers le Canadien.
« Il n’a jamais dit la moindre chose contre l’organisation du Canadien, au contraire! Je sais qu’il a beaucoup de respect pour l’organisation et les gens qui ont pris soin de lui. Je pense notamment à Rob Ramage, dont j’ai perdu le compte des présences chez nous depuis trois ans. Sa décision est purement basée sur ce qu’elle peut lui amener pour devenir un meilleur pro, elle ne cache rien de négatif envers le Canadien de Montréal. »
« Jamais on n’a parlé de la possibilité qu’il devienne joueur autonome, insiste Madigan. Je n’ai jamais abordé le sujet avec lui et il n’a jamais abordé le sujet avec moi. »
Leadership 101
Harris n’a pas rencontré trop de dos d’âne au cours des trois dernières années. Il y a bien eu quelques leçons apprises à la dure durant la transition entre l’école secondaire et les rangs universitaires, un précipice si on compare les deux calibres. Mais règle générale, les étapes se sont succédées dans la fluidité, sans accroc ni contretemps.
« S’il n’a pas été éprouvé par l’adversité autant que les jeunes de son âge peuvent l’être, c’est qu’il est une personne très équilibrée, très terre-à-terre, révèle Madigan. Quand il connaît du succès, on ne le voit jamais sauter au plafond. Quand il en arrache un peu plus, il ne se décourage pas. Il semble toujours en contrôle et les rares fois où il l’échappe, il est capable de se sortir du trou plus vite que la moyenne des gars de son âge. »
L’évolution de ses statistiques offensives illustre bien cette croissance constante dans l’évolution de Harris, mais elles ne doivent pas non plus fausser les données. Même s’il a obtenu 19 points en autant de matchs cette saison et même si tout ce qu’on entend sur la qualité de son coup de patin est approuvé par son entraîneur, Harris n’est pas le futur quart-arrière d’une équipe de la LNH.
« Son pain et son beurre, ça sera toujours son jeu défensif et son habileté à sortir la rondelle de sa zone. C’est un bon patineur et son positionnement en territoire défensif est toujours à point. Il sait quoi faire avec une rondelle », décrit Madigan, qui sort le nom de Mathieu Schneider pour illustrer son point.
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« Je trouve que la comparaison entre les deux tient la route. Mathieu était peut-être un peu plus doué offensivement, plus créatif. Jordan est probablement un meilleur patineur. Mais les deux sont faits forts pour leur taille et ne s’en laissent pas imposer défensivement. »
Et il y a ce « C », dont on vous parlait plus tôt, que Harris portera sur son maillot pour son dernier tour de piste dans la NCAA. La sélection était toute naturelle pour Madigan, qui a très tôt détecté chez son nouveau capitaine les qualités qu’ont en commun les bons leaders.
Mais il y a aussi dans cette nomination une certaine forme de test, d’examen final. Harris est un garçon modèle sur le campus, respectueux et respecté de tous. Quiconque lui a déjà fait la conversation décrira un jeune homme posé et poli. Madigan a toutefois appris avec les années qu’il serait une grave erreur d’interpréter ce calme comme un manque d’intensité.
Un feu intérieur brûle dans les tripes de Jordan Harris. Son entraîneur veut maintenant voir l’étendue des méthodes par lesquelles il est capable de le transmettre.
« Quand vous pensez à un bon capitaine, vous pensez à un joueur qui sait rendre ses coéquipiers imputables de leurs actions. C’est là-dessus que je veux le voir grandir, je l’avoue. Est-ce que je pense qu’il peut le faire? À 100%. Il sera toujours quelqu’un qui agit avant de parler, mais il y aura de ces moments où il devra peut-être remettre un gars à sa place même si c’est un cochambreur ou un ami. C’est la progression que je veux voir chez lui. »