La légende de Ti-Guy
Guy Lafleur vendredi, 22 avr. 2022. 10:05 jeudi, 12 déc. 2024. 09:01Guy Lafleur, les membres de sa famille et ses proches savaient que la mort était toute proche.
Et ce n’est pas parce que ce décès aussi attendu que redouté tombe finalement que le choc est plus facile à encaisser pour eux et aussi pour ses partisans qu’il a toujours gâtés.
Que ce soit sur la patinoire avec ses poussées vertigineuses, avec ses mèches blondes flottant au vent et son tir frappé décoché à l’entrée de la zone ennemie qui demeurent les deux images qui ont fait de Guy Lafleur un des immortels du hockey.
Que ce soit dans la vie de tous les jours alors que cette icône du Canadien se retrouvait au sein d’un groupe d’amis dès qu’il était entouré de partisans se remémorant les bons moments qu’il leur a fait vivre durant toutes ces années ou d’autres qui auraient bien aimé pouvoir vibrer au rythme qu’il imposait dès qu’il posait les patins sur la glace du vieux Forum et des autres amphithéâtres.
J’écris ces mots avec les yeux rivés sur des photos de Lafleur accrochées sur les murs de mon bureau.
Une d’un Lafleur tout jeune qui, au printemps 1973, partage la coupe Stanley avec Henri Richard. La onzième et dernière coupe soulevée par la «Pocket Rocket».
Une autre d’un Guy Lafleur au sommet de sa carrière accompagné de Bobby Orr et Marcel Dionne dans le cadre de la coupe Canada de 1978.
Une dernière d’un Guy Lafleur retraité debout près de la coupe Stanley qu’il a soulevée cinq fois au cours de sa carrière en compagnie de Jean Béliveau, Henri Richard et Yvan Cournoyer.
Je regarde ces photos et je replonge dans ma jeunesse alors que Guy Lafleur incarnait le nouveau hockey. Le hockey rapide. Le hockey en finesse. Le hockey qui était beau à regarder. Le hockey que les jeunes imitaient en prenant la rue d’assaut pour la transformer en patinoire au retour de l’école et aussitôt le souper avalé. Le hockey que les jeunes tentaient d’imiter sur des glaces extérieures qu’ils occupaient tant et aussi longtemps que les engelures aux pieds, aux doigts et aux oreilles n’arrivaient pas à les en chasser.
J’ai encore ce souvenir d’une paire de patins Bauer reçus en cadeau à Noël. Bien que le nom de Guy Lafleur était imprimé sur le haut de la cheville, ça n’avait rien changé au fait que je patinais sur la bottine. Mais comme j’avais des Bauer Guy Lafleur dans les pieds j’étais convaincu que je filais comme le vent sur la patinoire de mes cousins Dionne où la famille se donnait rendez-vous Noël après Noël.
Guy Lafleur c’était plus qu’un très grand joueur de hockey. C’était un pilier sur lequel reposait un pan de la société. Comme Maurice Richard et comme Jean Béliveau qui lui a succédé, Guy Lafleur a pris la relève du «Gros Bill» lorsque le Grand Jean a pris sa retraite.
Lafleur a été moins diplomatique, disons, que l’a toujours été Jean Béliveau. Il s’est permis des frasques hors de la patinoire. Il s’est vidé le cœur lorsqu’il a accusé ses anciens patrons du Canadien de l’avoir poussé à la retraite bien trop vite. Il a cent fois plutôt qu’une varlopé son ancien club pour lui reprocher des tas de décisions qui faisaient plonger l’organisation vers le bas au lieu de la garder là où il l’avait propulsée avec ses coéquipiers comme l’avaient fait les autres grands avant eux : c’est-à-dire parmi les meilleures de la Ligue.
Malgré tout ça, Guy Lafleur est toujours demeuré le héros qu’il a toujours été. Il est demeuré l’héritier du Rocket et du Gros Bill.
Et surtout: Lafleur n’a pas été remplacé depuis.
Oui! D’autres grands joueurs ont défendu les couleurs du Canadien après lui. D’autres grands joueurs ont été plus que des joueurs de hockey aux yeux des partisans du Tricolore. Serge Savard fait partie de ce groupe. Bob Gainey également. Patrick Roy. Surtout depuis qu’il est revenu chez lui, une fois à la retraite après son exil au Colorado, pour voir son chandail numéro 33 être hissé près des autres immortels du Canadien.
Mais aucun n’a pu succéder à Lafleur comme il avait succédé à Jean Béliveau, qui avait succédé à Maurice Richard.
Guy Carbonneau a connu une brillante carrière. Avec le Canadien d’abord, à Dallas ensuite. Mais je suis convaincu que «Carbo» ne s’offusquera pas du fait que les Guy! Guy! Guy! que scandaient les partisans du Tricolore lorsqu’ils voulaient souligner sa contribution sur la patinoire n’avaient pas la portée des Guy! Guy! Guy! lancés à Lafleur. De fait, si personne ne peut porter le numéro 10 en l’honneur de Guy Lafleur, il serait tout aussi honorifique de ne plus scander des Guy! Guy! Guy! à la moindre occasion et au prochain Guy venu.
Les Guy! Guy! Guy! devraient être à jamais associés à Guy Lafleur comme le surnom «Flower» devrait raviver les souvenirs de Guy Lafleur dès qu’on l’entend. Du moins, pour les partisans qui ont eu la chance de la voir jouer.
Et aux autres qui n’ont pas eu cette chance, ce plaisir, ce privilège, je vous invite à parler aux plus vieux, à relire les journaux de l’époque, à plonger dans des archives qui vous permettront de réaliser que Guy Lafleur, ce petit gars de Thurso qui faisait trembler les gardiens qu’il affrontait dans les rangs pee-wee parce que son tir frappé était déjà redoutable, qui a pris la LHJMQ d’assaut avant d’aller régner dans la LNH était plus gros encore que la légende de Ti-Guy!
Une semaine après avoir rappelé Mike Bossy auprès d’eux, les Dieux du hockey frappent encore par-derrière ce matin en volant bien trop vite Guy Lafleur à sa famille, à la grande famille du Canadien, à la plus grande famille encore du hockey.
Ils ne pourront toutefois jamais effacer les souvenirs que Guy Lafleur a gravés dans la mémoire collective. Des souvenirs bien plus nombreux que les 560 buts qu’il a marqués; que les 1353 points qu’il a récoltés au fil des 1126 matchs qu’il a disputés en saison régulière.
Des souvenirs qui attisent des émotions encore aujourd’hui comme celui de ce but mythique qui a permis de niveler les chances en fin de troisième période contre des Bruins de Boston que le Canadien allait ensuite éliminer en prolongation. Des souvenirs qui dépassent les cinq conquêtes de la coupe Stanley auxquelles il a participé.
Adieux et merci Guy! Guy! Guy!