Un monstre à deux têtes
Canadiens lundi, 29 nov. 2021. 17:24 jeudi, 12 déc. 2024. 17:02MONTRÉAL - À court terme, l’idée d’offrir la gestion quotidienne du Canadien à Jeff Gorton et à un directeur général à être nommé plus tard fait tout plein de sens.
À long terme, c’est moins évident.
Surtout qu’en réorganisant les structures de la haute direction du Tricolore, Geoff Molson n’a pas terminé le travail : il a oublié de quitter son poste de président de l’équipe.
Geoff Molson est propriétaire du Canadien. C’est déjà un très gros titre. C’est déjà une très grande responsabilité. En plus, il est chef de la direction de l’ensemble du groupe CH. Ce qui ajoute au lot, déjà imposant, de responsabilités.
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Dans la grande réflexion qui l’a mené à congédier Marc Bergevin, à tourner le dos à Scott Mellanby qui s’approchait du 7e étage du Centre Bell et à procéder aux changements qu’il a annoncés hier, il aurait dû aussi quitter son siège de président de l’équipe afin de garder les seules responsabilités qui incombent à un propriétaire : embaucher ceux, ou celles, à qui il confie son équipe; les payer grassement et leur donner les millions par centaines nécessaires pour faire de cette équipe une équipe gagnante; les congédier le jour où il ne croit plus en eux, en leurs stratégies, en leurs moyens de les réaliser.
En gardant son poste de président, Geoff Molson démontre qu’il n’assume pas entièrement sa part de blâme dans le fiasco que représente le début de saison. Il le reconnaît en partie puisqu’il a congédié ses « amis » Marc Bergevin et Trevor Timmins. Mais pas entièrement puisqu’il reste en poste à titre de président.
Le président a assuré qu’il ne s’est jamais ingéré dans les décisions hockey et qu’il ne s’ingérera jamais dans les décisions hockey. Du moins au quotidien.
Avec cette déclaration, Geoff Molson a démontré par lui-même pourquoi il ne peut assumer le poste de président.
Un président intervient lorsqu’il est nécessaire d’intervenir. Un président intervient lorsque son équipe de recruteurs amateurs est sur le point de se laisser éblouir par les reflets des projeteurs et de repêcher Logan Mailloux comme l’a fait le Canadien l’été dernier. Bien qu’il n’était pas convaincu du bien-fondé de cette décision, Marc Bergevin a respecté le plan de ses recruteurs. C’est certainement l’un des facteurs qui ont contribué à son congédiement.
Le président du Canadien aurait dû s’imposer le soir de ce repêchage. Il aurait dû imposer son veto et dire : sélectionner Logan Mailloux : c’est hors de question.
Geoff Molson ne l’a pas fait. Et il a payé le prix en essuyant la vase qui a déferlé sur son organisation dans les heures, les jours, les semaines qui ont suivi cette décision.
En restructurant son organisation lundi, il a manqué l’occasion de réparer cette erreur une fois pour toutes. Et c’est dommage.
Tout le monde sera beau et gentil…
À court terme, la décision de Geoff Molson de «sauver» son poste et d’offrir la gestion quotidienne du Canadien à Jeff Gorton et à un directeur général à être nommé plus tard n’aura pas trop de conséquences négatives.
Jeff Gorton a de l’expérience. Il a une bonne réputation autour de la Ligue. Il a orchestré une belle reconstruction à New York où les Rangers sont vite redevenus un club qui peut aspirer aux séries. Il pourra donc profiter du contrat à long terme que Geoff Molson lui a offert pour amorcer une forme ou une autre de reconstruction du Tricolore.
Peu importe son nom, celui qui deviendra le 18e directeur général de l’histoire du Canadien sera sans l’ombre d’un doute jeune en âge et jeune en expérience.
Oui Mathieu Darche travaille à la droite de Julien BriseBois à Tampa Bay. Oui il a appris de la bonne façon. Oui il a pris part à des décisions qui ont permis au Lightning de franchir des obstacles et atteindre la coupe Stanley deux ans de suite.
Mais Mathieu Darche n’a jamais encore été directeur général.
Pas plus de Martin Madden fils qui compte une solide expérience en matière de recrutement au sein de l’organisation des Ducks d’Anaheim.
Pas plus que Patrick Roy dont le nom sera associé à tous les postes qui s’ouvriront au Centre Bell d’ici à la fin de ses jours.
Pas plus que Daniel Brière qui fait ses armes dans les rangs mineurs; pas plus que Joël Bouchard qui, à mes yeux, serait encore un meilleur directeur général qu’il est bon derrière un banc. Pas plus que mon collègue à RDS, Marc Denis qui pourrait facilement occuper, un jour, un poste de DG dans la LNH; pas plus que Danielle Sauvageau si le Canadien avait l’audace de devenir la première organisation de la LNH à être dirigée par une directrice générale.
Parce que tous ces candidats et toutes les candidates dont les noms pourraient s’ajouter à celui de Mme Sauvageau sont sans expérience, il est non seulement normal, mais souhaitable qu’ils (elles) puissent compter sur l’expérience d’un vice-président aux opérations hockey aguerri.
Jeff Gorton répond à ces critères.
À court terme donc, il n’y a rien à craindre et tout à gagner d’une gestion bicéphale à la tête du Tricolore. Du moins je le crois sincèrement.
Rien à perdre et tout à gagner pourvu que les deux dirigeants développent une complicité qui servira la cause de l’organisation. Une complicité dans le partage du travail. Une complicité dans les réflexions menant aux stratégies à adopter et aux décisions à prendre pour mener à bien ces stratégies de développement. Que ce soit en matière de repêchage, de développement, de transactions ou d’embauches de joueurs autonomes.
En clamant haut et fort lundi que sa réflexion menait à un « nouveau départ » pour le Canadien, Geoff Molson a acheté du temps. Les partisans, les médias devront attendre les prochaines nominations, les prochaines décisions, les prochaines transactions, les prochains repêchages avant de porter des jugements.
Pour un an ou deux, malgré les défaites qui pourraient s’accumuler, tout sera beau et tout le monde sera gentil.
Jeff Gorton et son directeur général fileront le parfait bonheur, par que le jeune administrateur fera ses classes et apprendre du « maître ».
Les conflits viendront bien assez vite
C’est à long terme que ça pourrait se gâter. En fait, que ça pourra se gâter.
Car lorsque le jeune directeur général sera devenu grand, lorsqu’il aura plus confiance en ses moyens, lorsqu’il se sentira plus solidement installé dans son rôle pour faire face à des homologues qui ne pourront plus facilement profiter de sa naïveté et de son inexpérience, il voudra avoir les coudées plus franches. Il ne voudra plus se contenter du rôle de « francophone de service » qui va répandre les bonnes nouvelles aux journalistes et aux partisans si jamais c’est le rôle ingrat qui lui est réservé.
La direction bicéphale deviendra alors un monstre à deux têtes.
La belle complicité des premiers mois et des premières années fera place à des luttes de pouvoir plus aiguës parce que l’une des têtes du monstre responsable de la gestion du Canadien préférera tel joueur à tel autre. Parce que l’autre tête voudra échanger tel joueur et non tel autre.
Vous voyez le genre.
Geoff Molson a déclaré lundi que les décisions finales reviendront au directeur général. Je veux bien. Mais Jeff Gorton, qui était dans la mire de quelques équipes autour de la LNH avant d’accepter l’offre du Canadien, ne déménagera pas sa famille à Montréal simplement pour être un figurant. Il a certainement obtenu des pouvoirs de décision importants.
Bon! Le duo pourra réaliser plusieurs bons coups avant la crise d’adolescence du plus jeune. Ils pourront remettre l’équipe sur la bonne voie. Entreprendre une remontée au classement et devenir un club aspirant aux séries, voire aux grands honneurs, sans avoir à profiter des coups de chance reliés à une autre grande pandémie.
Une fois son dauphin bien formé, Jeff Gorton pourra alors quitter vers une autre organisation. Tout ça est vrai. Tout ça est même souhaitable pour le Canadien et ses partisans.
Mais si Geoff Molson avait décidé, dès lundi, de quitter ses fonctions de président et de les confier à Jeff Gorton, celui – le Canadien a beau vouloir donner des coups de patin vers la diversité, je ne crois pas qu’il soit possible tout de suite de voir une directrice générale à la tête de l’équipe – qui deviendra directeur général aurait obtenu dès son embauche plus de place au sein de l’organisation.
Je veux bien croire que le job de DG du Canadien est imposant. Et c’est vrai qu’il y a du travail pour deux.
Mais ce lot de travail aurait pu, et dû, être partagé par un vrai président des opérations hockey et son directeur général. Pas par deux hommes qui occuperont les deux volets du poste qu’occupait, jusqu’à dimanche, Marc Bergevin et qui auront derrière eux un proprio/président qui analysera et posera des questions sur chacune de leurs décisions. Le monstre à deux têtes aura alors des allures de bizarre bibitte à trois têtes.
Pourquoi Jeff Gorton?
Geoff Molson a indiqué lundi qu’il allait prendre tout le temps voulu pour trouver son nouveau DG, mais qu’il souhaitait le dénicher rapidement.
Bien hâte de voir qui héritera du poste. Mathieu Darche et l’un des candidats dont les noms circulent déjà? Un autre candidat venu du champ gauche.
On verra.
Ce qui est clair, c’est que la sélection de Jeff Gorton est justement venue du champ gauche.
Je l’ai écrit plus haut, je l’écris encore : Jeff Gorton a une solide réputation autour de la LNH. Il a les compétences pour justifier son embauche.
Mais pourquoi lui? Vrai qu’il a fait du très bon boulot pour reconstruire les Rangers, mais des tirages favorables à la loto-premier choix lui ont permis de faire banco avec Alexis Lafrenière et Kaapo Kakko. En plus, c’est à New York, et à New York seulement, qu’Artemi Panarin et Adam Fox voulaient poursuivre ou entreprendre leur carrière. Des facteurs qui ont grandement aidé la cause des BlueShirts. Des facteurs qui n’aideront pas nécessairement Gorton maintenant qu’il est à Montréal où les joueurs autonomes de premier plan ne sautent pas dans le premier avion pour se rendre et installer leur famille.
Il restera la loto-choix et le repêchage où le Canadien devra s’améliorer grandement. C’est vrai. Et le recrutement où il devra s’améliorer tout autant.
Mais bon! Pourquoi Jeff Gorton?
À la lumière des explications fournies par Geoff Molson, on comprend que Gorton lui a été fortement recommandé par le commissaire Gary Bettman lui-même. Disons que ça donne du poids à une candidature.
Mais Geoff Molson a-t-il rencontré d’autres candidats?
Jim Rutherford qui a gagné une coupe Stanley en Caroline et les deux dernières des Penguins, à Pittsburgh, était lui aussi disponible.
Oui il est plus vieux. Mais justement : il répond encore mieux à tous les critères associés à un conseiller senior capable de partager son expérience, son savoir-faire et ses trucs à un dauphin.
Ray Shero?
J’insiste : je ne remets pas l’embauche de Jeff Gorton en question. Je soulève ici la question à savoir si Geoff Molson a véritablement pris tout le temps dont il a admis avoir eu besoin pour prendre les bonnes décisions à bon escient. S’il a contacté Rutherford et/ou d’autres candidats potentiels. Ou s’il s’est rabattu sur la proposition qui lui a été faite de regarder en direction de Jeff Gorton.
J’ai posé la question, d’autres l’ont posée également. On attend toujours une réponse complète.
Une chose est certaine, le discours positif, les remerciements aux hommes de hockey congédiés, les remerciements aux partisans «sensationnels» pour leur patience, les promesses de jours meilleurs qui s’en viennent, sont les mêmes que Geoff Molson a défilé en 2012 lors de son arrivée.
Ils sont les mêmes qui ont défilé lorsque Pierre Gauthier a succédé à Bob Gainey, qui avait succédé à André Savard, qui avait succédé à Réjean Houle qui avait succédé à Serge Savard le dernier à avoir rapatrié la coupe Stanley à Montréal en 1993.
Une fois les belles paroles passées, une fois le nouvel organigramme accroché dans les bureaux du Centre Bell, il faudra s’occuper de la patinoire et y mettre une équipe capable de gagner.
Bon match!