La Ligue continentale de hockey (KHL) ne fait jamais rien comme les autres circuits. La mise sur pied du Kunlun Red Star en est le meilleur exemple. Le premier club chinois dans l’histoire des ligues majeures de hockey a été mis sur pied en seulement trois semaines. Un processus bien différent de celui en cours avec les Golden Knights de Las Vegas.

Cette manière peu orthodoxe de s’implanter dans un terrain complètement vierge en a jeté plusieurs en bas leur chaise. Les dirigeants de la KHL ont tout d’abord été accusés de « bluffer », pour se faire traiter de fous par la suite. Malgré toutes les critiques et les spéculations, Kunlun a finalement fait sa niche à Pékin. Les choses ne se sont toutefois pas faites sans difficulté. Alexei Ponikarovski est bien placé pour en parler.

« J’ai rejoint le club à la fin d’août. Le premier match avait déjà été joué. Je m’étais déjà entendu avec le club, mais je devais régler des problèmes de papiers avec la ligue. C’était en lien avec ma nationalité sportive. »

Ponikarovski a quitté la LNH à l’été 2013. Durant ses trois premières saisons dans la KHL, l’Ukrainien a joué pour le SKA avec Ilya Kovalchuk. Habitué au luxe de Saint-Pétersbourg, l’ancien des Maple Leafs a été quelque peu déstabilisé par la situation.

« C’était ma première fois avec un club d’expansion. Lorsque je suis arrivé, c’était toujours en chantier. La direction avait de la misère à organiser l’horaire des vols. Nous avions aussi de la difficulté à nous procurer de l’équipement. Il nous manquait toujours quelques choses. En Chine, certaines lois nous empêchaient d’acheter notre matériel. Nous manquions de bâtons. »

Kunlun n’a pas seulement eu des problèmes avec les vols et l’achat d’équipement. La première équipe chinoise de la KHL est basée à Pékin, mais elle y joue ses matchs seulement depuis le 12 décembre dernier. Les Pékinois ont donc joué 17 de leurs 30 matchs à domicile à Shanghai.

« Ils ont créé le club tellement tard qu’ils n’ont pas pu réserver les plages horaires nécessaires pour jouer à Pékin. Il y avait trop de spectacles et de matchs de basketball. Nous avons donc joué à Shanghai. Je n’ai pas détesté l’expérience. C’est une belle ville et nous avions un bel aréna. Au début, nous avions très peu de spectateurs dans les estrades, mais tranquillement nous avons rallié des partisans à notre cause. »

À Shanghai, le club a battu un record peu enviable de faibles assistances. Lors du match contre le Neftekhimik de Nijnekamsk, le 20 septembre dernier, seulement 550 personnes se sont présentées à l’aréna. Cette situation a mis en colère la direction de la KHL. Lors de leur départ vers Pékin, la ligue a nourri de grands espoirs. Ponikarovski avoue toutefois que les joueurs ne savaient pas à quoi s’attendre après leur déménagement.

« Nous étions habitués à Shanghai. Nous avions notre routine. Là-bas, nous pratiquions et nous jouions sur la même glace. Nous habitions juste à côté de l’aréna. Rendu à Pékin, c’était une tout autre histoire. Les entraînements n’ont pas lieu dans le LeSports Center. Nous devons nous rendre à une autre glace de l’autre côté de la ville. Avec les bouchons de circulation, nous avons besoin d’une bonne heure pour nous y rendre! »

La transition vers Pékin a toutefois été salutaire pour le club. Kunlun est rapidement passé d’une moyenne de 700 spectateurs par match à quelques milliers. Le LeSports Center est aussi d’une qualité supérieure à l’aréna de Shanghai, même s’il a été construit pour le basketball. Alexei explique que le Kunlun Red Star n’a pas les problèmes des Islanders à Brooklyn.

« Ils ont fait un travail extraordinaire. En seulement une semaine, ils ont créé une superbe glace. Il faut croire qu’en Chine, tout est possible! J’ai été réellement impressionné. En fait, l’amphithéâtre me rappelle la LNH. Le vestiaire est grand et la salle d’entraînement est géniale. Sincèrement, à Pékin, nous avons fait un pas en avant. »

Le club a aussi pris de la maturité. Il y a eu du roulement de personnel au sein de l’entreprise. Kunlun a même changé de président. L’équipe n’a pas encore réglé tous ses problèmes, mais comme Ponikarovski l’explique, les joueurs y sont maintenant confortables.

« Ils ont finalement compris comment on doit gérer les déplacements. Nous avons enfin tout le matériel dont nous avons besoin. Nous vivons dans des hôtels de première qualité. La nourriture est excellente. C’est impressionnant de voir comment les choses en sont rendues. Ils apprennent très vite. Au rythme où vont les choses, ils vont commencer la prochaine saison du bon pied. »

Le « golden boy » du Kunlun Red Star

En Amérique du Nord, le joueur le plus connu du Kunlun Red Star, c’est Alexei Ponikaroski. En Chine, l’ancien des Maple Leafs est toutefois un étranger comme les autres. La grande vedette du club se nomme Zach Yuen, un Chinois né en Colombie-Britannique.

Yuen n’a jamais joué de match en saison régulière de la LNH. En fait, à sa fiche, il a seulement trois joutes dans la Ligue américaine. Le natif de Vancouver a été repêché par les Jets de Winnipeg en 2011 lors du quatrième tour. Après un stage de quatre ans chez les juniors, Yuen a toutefois passé les trois dernières saisons dans l’ECHL. Yann Sauvé, des Monarchs de Manchester, se souvient de lui.

Zach Yuen« J’ai joué contre lui lorsqu’il était avec les Gladiators d’Atlanta. C’est un bon joueur de hockey. C’est le souvenir que j’en ai gardé. »

Sauvé n’est pas le seul à avoir Yuen en haute estime. Mark Simon, de Montréal, en est à sa dixième année en Chine. Il travaille avec le Kunlun Red Star depuis l’automne dernier. Il est impressionné par les performances de l’ancien de l’ECHL.

« Il joue bien. Il fait peu d’erreurs en défensive même s’il joue 13 à 14 minutes par match. Il est polyvalent. L’entraîneur l’utilise à l’avant et en défensive. »

Officiellement, Yuen est un défenseur. Sa présence à l’avant en a donc surpris plus d’un. Le Chinois n’est pourtant pas dépaysé à cette position. Il est plus impressionné par le calibre du circuit.

« En début de saison, je jouais seulement à la défense et j’avais peu de temps de glace. L’entraîneur m’a donc permis de jouer les deux rôles. Je suis à l’aise dans cette situation, car j’ai souvent joué les deux rôles par le passé. Cela dit, la KHL est d’un calibre beaucoup plus élevé que l’ECHL. Les joueurs sont tellement rapides et talentueux. J’ai pris conseil auprès des entraîneurs et de mes coéquipiers pour m’ajuster. Ça m’a beaucoup aidé. »

Zach a bien fait cette saison. En 60 joutes, il a marqué trois buts et il a récolté huit aides pour produire 11 points. Du point de vue sportif, il est donc un atout pour l’équipe. Ce n’est toutefois rien à comparer de son impact auprès des partisans. Au sein de la formation, il est le seul Chinois à jouer sur une base régulière. Son coéquipier Rudi Ying a joué très peu et les autres Chinois n’ont jamais frôlé la glace. Comme Mark Simon l’explique, Yuen est devenu le favori du public.

« Les partisans l’adorent. Lorsqu’on organise des activités avec les joueurs, les gens demandent toujours à le rencontrer. Il joue bien et il est séduisant. C’est vraiment le "golden boy" du hockey chinois. Il peut réellement avoir un impact sur le marché. »

Zach Yuen n’est pas seulement séduisant. Il est aussi très intelligent. Trilingue, ce Chinois de Vancouver s’exprime bien en français. Généreux, il répond toujours présent lorsque l’équipe lui demande d’interagir avec les amateurs. À Moscou, Yuen a rencontré des expatriés chinois ainsi que des enfants malades parrainés par la branche russe de l’organisation française « Un maillot pour la vie ». Personne n’a à lui tirer l’oreille. Il y prend plaisir.

Rudi Ying et Zach Yuen« C’est plaisant de pouvoir communiquer en mandarin avec les partisans. Lorsqu’ils m’écrivent sur les médias sociaux, je prends la peine de leur répondre dans leur langue d’usage. Si je pouvais parler russe, ce serait encore mieux! Cela dit, dans le futur, nous aurons sûrement plus de joueurs aptes à parler en mandarin. Ça ne pourra qu’avoir un impact positif sur l’équipe. »

Kunlun en a effectivement besoin. Beaucoup de travail reste à faire pour populariser le hockey en Chine. Les cotes d’écoute demeurent basses. CCTV5+ obtient une moyenne de 15 000 partisans par match. Sur Internet, Tencent fait mieux avec une moyenne de 100 000 spectateurs par joute. Cela demeure symbolique dans un pays de plus d’un milliard d’âmes. Mark Simon explique ce lent départ par la culture d’entreprise.

« Il mettent trop l’accent sur la publicité en ligne. Pour gagner les gens au hockey, il faut faire des représentations en personne dans les centres d’achat ou dans les hôpitaux. Ce sont des choses sur lesquelles je veux mettre l’accent lors de la prochaine saison. »

D’ici là, Kunlun peut toutefois dire mission accomplie. À sa première saison dans la KHL, le club s’est taillé une place dans les séries éliminatoires en décrochant le huitième rang de l’Association de l’Est. Les Chinois ont commencé la première ronde avec deux défaites de 4 à 2 et de 5 à 3 contre le Metallurg de Magnitogorsk. Contre un tel monstre, Pékin est loin d’être favorite. Cela dit, Zach Yuen ne baisse pas les bras. Le Chinois a d'ailleurs marqué un but aujourd'hui.

« Pour nous, les séries sont commencées depuis longtemps. La lutte pour y participer a été très difficile. Maintenant, il nous reste seulement à suivre les directives de l’entraîneur. Il faut travailler fort. Cela dit, nous pouvons être fiers de nous. En début de saison, nous étions 25 joueurs atterris de partout dans le monde. Aujourd’hui, nous sommes devenus une équipe. »