MONTRÉAL – Voyager jusqu’à se sentir comme un zombie, voilà la réalité des hockeyeurs qui s’embarquent dans l’aventure unique du Red Star de Kunlun, l’équipe de la KHL qui a élu domicile en Chine. Mais les zombies ont la cote avec la série The Walking Dead et Martin St-Pierre le confirme puisqu’il aurait été prêt à s’enraciner à Shanghai.

 

À sa troisième année d’existence, le pari du Red Star demeure un univers bien particulier et fascinant parsemé d’attraits et d’obstacles. En premier lieu, c’est le voyagement qui s’impose comme un contre qui pèse lourd dans l’équation. Comme St-Pierre le décrit si bien « T’as le temps de manger ton souper, ton déjeuner et ton dîner. Tu regardes deux films et tu fais trois petites siestes, mais tu es encore dans le ciel. »

 

Même si le calendrier a été établi avec des séjours de quelques matchs d’affilée sur des patinoires adverses pour limiter l’impact, l’adaptation est exigeante.

 

Martin St-Pierre« C’était vraiment, vraiment dur physiquement et mentalement. Quand ton corps finit par s’habituer au décalage horaire du dernier déplacement, c’est le moment de retourner en Chine. Tu finis par être tout mélangé! », a raconté celui qui a disputé 39 matchs dans la LNH.

 

L’exemple de son arrivée avec l’équipe décrit bien le contexte.

 

« J’étais à Ottawa quand j’ai signé l’entente. J’ai quitté à 5 h du matin avec mon père qui est venu me porter à Montréal pour mon vol vers Kazan (en Russie) qui était à 17 h 30. Au total, ça m’a pris 37 heures de voyagement. Après mon premier match, on partait vers Shanghai. Ton corps ne peut pas s’habituer, c’est débile, tu es vraiment un zombie. Personne n’a besoin de boire une bière à la maison… », a décrit le gaucher.

 

Bon conteur d’histoires, St-Pierre ne veut surtout pas paraître comme un plaignard.

 

« Mais j’étais avec des coéquipiers très agréables, tu passes de bons moments avec eux et ça forme une équipe très proche. Tu transformes du négatif en positif. Si on m’avait offert un contrat de deux ou trois ans, je serais resté à 100 %. Tu finis par oublier les désagréments des voyages. Après tout, tu as la chance de jouer dans la KHL, d’être entouré de coéquipiers nord-américains et Shanghai est une ville superbe », a-t-il lancé.

 

Tandis que St-Pierre ne laisse planer aucun doute, Marc-André Gragnani affiche une plus grande prudence face à un tel engagement.

 

« C’est un peu tôt pour penser à ça, je vais penser à me remettre en forme et bien finir l’année avec l’équipe. Je vais y réfléchir cet été », a mentionné le défenseur québécois.

 

De retour à Montréal pour un problème de santé

 

L’hésitation de Gragnani s’explique facilement puisque ses préoccupations sont ailleurs. Le patineur de 31 ans se retrouve sur la touche depuis le 1er novembre en raison d’un problème persistant.

 

« Ça fait environ un mois que ça ne va pas trop bien au niveau de ma tête. Les docteurs ne savent pas trop si c’est une commotion cérébrale ou autre chose. Je me lève le matin et ça ne va vraiment pas, mais ça s’améliore durant la journée. C’est un peu bizarre. On cherche, mais personne n’a rien trouvé jusqu’à maintenant », a témoigné Gragnani.

 

Marc-André GragnaniLe défenseur québécois est donc revenu à Montréal, à la fin novembre, pour pousser les investigations médicales plus loin. Son cou et ses yeux ont été examinés alors que la prochaine étape sera les oreilles. Ce pépin médical est apparu alors que Gragnani connaissait un excellent départ avec la formation chinoise. Utilisé plus de 23 minutes par match, il a amassé 13 points en 23 rencontres.

 

« C’était super, j’adore ça là-bas. C’est vrai que ça implique beaucoup de voyagement, mais si tu vas là-bas avec la bonne mentalité, je trouve que c’est vraiment une bonne place pour jouer au hockey », a évalué Gragnani qui souhaitait un changement d’air.

 

« Ça faisait deux ans que j’étais avec le Dinamo de Minsk (au Bélarus) et je voyais que les choses n’avançaient pas en tant qu’équipe. Je savais que ce serait une autre année difficile et ça ne me tentait pas de revivre ça. Il y a aussi le fait qu’il y a plusieurs Canadiens à Kunlun et c’est vraiment un côté plaisant. Durant les deux dernières années, je jouais avec 20 Russes et 5 joueurs importés. Tu finis par surtout parler à cinq ou six gars dans l’année », a poursuivi, avec franchise, celui qui a représenté le Canada aux Jeux olympiques de 2018.

 

Se laisser séduire par la Chine

 

Les passeports de St-Pierre et Gragnani ont voyagé dans une multitude de pays grâce au hockey. St-Pierre a notamment déposé sa « poche » de hockey en Autriche, en Russie, en Finlande, en Croatie, en Suisse, au Kazakhstan et en Chine. Quant à Gragnani, on recense des arrêts en République tchèque, en Suisse, au Bélarus et en Chine sans oublier son expérience avec l’équipe olympique canadienne en Corée du Sud.

 

Malgré ce tour du globe terrestre, on ne peut pas dire que les deux voyageurs ont sauté sur l’ouverture avec le Red Star puisqu’ils étaient impatients de découvrir la Chine. Par contre, leur intérêt s’est développé au fil du temps.

 

« Au début, je n’y suis pas vraiment allé par intérêt pour la Chine. Mais, plus j’habite ici et plus j’aime Marc-André Gragnaniça. C’est tellement une culture différente de la nôtre et de celle en Russie. C’est vraiment cool de voir comment les gens vivent. Les gens n’ont aucune idée à quel point c’est différent et que c’est un autre monde », a admis Gragnani.


« L’une de mes plus belles expériences a été la visite de Chinatown. Les gens vont voir ce quartier à New York, mais là c’était le vrai, vrai Chinatown. C’est tout un eye opener de voir ça. Je pense à la ville et à ce qu’ils appellent le bund (une promenade incontournable à Shanghai avec un mélange d’édifices historiques et modernes). Je n’aurais jamais pensé aller là-bas et surtout pas pour le hockey », a relevé St-Pierre.

 

Côté gastronomique, Shanghai a accueilli une panoplie de grandes chaînes internationales de restaurants. Mais les plus aventuriers peuvent heureusement consommer la vraie cuisine chinoise.

 

« À Chinatown, c’est comme dans les films, tu peux manger n’importe quel insecte, ils cuisent tout ça sur des BBQ », a confirmé St-Pierre qui aurait aimé avoir le temps d’aller visiter la Grande muraille de Chine.

 

Pour le reste, il y a un service semblable à Uber qui se nomme DiDi pour faciliter les déplacements dans cette métropole de plus de 24 millions d’habitants.

 

« Il y a beaucoup de scooters sur les routes, je me suis presque fait frapper », a rigolé St-Pierre au sujet de la circulation.

 

Malgré ce bassin gigantesque, le Red Star peine à attirer des Chinois au Feiyang Ice Skating Center. Ce sont avant tout des visiteurs ou des expatriés qui viennent assister aux parties.

 

« Parfois, on joue devant à peine 500 partisans. Shanghai, c’est vraiment une ville touristique et axée sur les affaires. Je me souviens qu’un gars m’a crié en français "C’est beau St-Pierre" quand on sortait de la patinoire. Il faut dire aussi que le basketball occupe une grande place en Chine », a-t-il raconté.  

 

« On joue dans un bel aréna et tout est bien correct pour le vestiaire et le gymnase. Mais pour les partisans, il n’y a personne, il n’y a aucune ambiance. C’est un côté un peu plate, mais on ne contrôle pas cet aspect. On doit l’accepter et faire de notre mieux », a dépeint Gragnani.

 

Ce n’est pas pour rien que les joueurs du Red Star se font regarder de travers quand ils se promènent avec leur équipement de hockey à l’aéroport. Selon les deux intervenants, un meilleur travail de marketing pourrait améliorer la situation.

 

Remercié de manière cavalière

 

Vous vous souvenez que St-Pierre aurait accepté de s’engager à long terme avec le Kunlun. Il est arrivé à ce verdict même s’il a été exclu du club de façon frustrante. Le Franco-Ontarien avait signé un essai jusqu’au 31 octobre avec Kunlun. Il avait disputé 10 des 11 parties de cette audition lorsqu’il a été invité à effectuer un vol d’avion de 12 heures avec ses coéquipiers qui entamaient un séjour de cinq matchs sur des patinoires adverses. Cette décision lui laissait croire qu’il avait mérité son poste pour la saison entière.

 

À sa grande surprise – et celle de plusieurs coéquipiers –, il a dû se contenter d’une seule partie à Saint-Pétersbourg. On l’a ensuite avisé que ses services n’étaient plus requis et qu’il devait se « farcir » un vol de 13 heures pour retourner en sol chinois. Pour la courtoisie, on repassera.            

 

« On avait une entente verbale selon laquelle je devais rester pendant toute la saison parce qu’il y avait un manque au centre et pour la production offensive. Ça s’est très bien passé, j’ai fait ma part avec six points en onze matchs, +3 et 61 % dans les mises au jeu. Tous mes coéquipiers pensaient que je resterais pour la saison. J’étais sous le choc qu’ils décident le contraire, mais je dois respecter leur choix », a dévoilé celui qui croit que l’entraîneur finlandais Jussi Tapola a préféré miser sur des joueurs de son pays.

 

« Je pense que tous les gars ont été surpris par la décision de l’équipe. Je trouvais qu’il jouait bien et qu’il avait fait du bon travail pour nous », a confirmé Marc-André Gragnani quelques jours plus tard.

 

À 35 ans, St-Pierre était emballé d’avoir obtenu cette occasion dépaysante en Chine. Blessé pour le dernier droit de la saison précédente, il ne disposait pas d’une tonne d’options.

 

« Quand l’essai s’est présenté, on trouvait que c’était parfait étant donné que ça me donnait de la visibilité dans la KHL (la ligue européenne la plus payante). Je pouvais aussi jouer avec Grags (Gragnani) et plusieurs coéquipiers nord-américains donc tout allait bien. »

 

Largué à la fin octobre, St-Pierre vient de trouver du boulot avec le Sparta de Prague de la ligue tchèque et il retient tout de même bien du positif de ce bref passage en Asie.

   

« C’est ma cinquième année en KHL, il y a beaucoup de hauts et de bas. Au début, tu arrives en étant habitué à la réalité nord-américaine. Ici, c’est complètement différent parce que tu dois prendre tes bagages, changer de pays, de culture et d’atmosphère quand tu aboutis avec une autre équipe. C’est plus difficile mentalement parce que tu dois t’adapter à plus de choses. Mais, après quelques années, je vois ça comme une expérience », a conclu St-Pierre qui sait que ce serait plus complexe s’il avait un ou des enfants avec sa copine.