MONTRÉAL – Outre le hockey, il n’y a pas grand-chose à faire à Brooks. Parole de Simon Gravel.

 

« Pour vrai, tu peux aller nager, mais à part ça... C’est pas mal ça », résume le hockeyeur québécois de 19 ans qui, de toute façon, n’a que très peu de temps libre à meubler depuis que lui et son complice William Lemay ont déposé l’automne dernier leur poche de hockey dans le vestiaire des Bandits, la principale attraction de cette localité albertaine de 15 000 habitants située à deux heures de route de Calgary.

 

« C’est comme une petite ville du Texas qui héberge une équipe de football d’une petite université », compare Ryan Papaioannou, le directeur général et entraîneur-chef des Bandits, un club junior A évoluant dans la Ligue junior de l’Alberta (AJHL).

 

« Il n’y a rien à faire sauf l’équipe de hockey. C’est la chose no 1, poursuit Papaioannou, qui en est à sa 10e année de service derrière le banc des Bandits. Les gens savent si on joue bien ou si on a joué un mauvais match. Tout le monde connaît le pointage final de notre dernière rencontre. Tout le monde nous reconnaît dans la rue. »

 

Au fil des sept dernières saisons, les Bandits ont gagné le cœur de leurs partisans en remportant quatre titres de l’AJHL (2012, 2013, 2016 et 2017), un Championnat national (2013) et ont pris part à deux autres finales canadiennes. Papaioannou était aux commandes de chacune de ces équipes, mais jamais il n’a été aussi populaire qu’aujourd’hui dans les rues de Brooks.

 

Son équipe n’a pas perdu depuis le 27 novembre.

 

Au fil de cette invraisemblable séquence, les Bandits se sont hissés au sommet du classement des meilleurs clubs canadiens le 10 décembre dernier pour ne plus jamais en redescendre, rééditant au passage un chapitre entier du livre des records de l’AJHL :

 

·      31 victoires de suite ;

·      55 victoires en une saison ;

·      Première équipe à récolter 110 points en une saison ;

·      Fiche de 29-0 à domicile ;

 

Et ce n’est pas tout. S’ils remportent leurs deux derniers matchs du calendrier régulier, vendredi et samedi soir, les Bandits (55-3) – qui seront l’équipe hôte du Championnat national du 11 au 19 mai –, deviendront la première formation de l’histoire du circuit à n’encaisser que trois revers en une saison.

 

Tout ça en partie grâce à deux jeunes Québécois partis dans l’ouest en quête de visibilité.

 

Les Bandits battent un à un les records de l'AJHL.

 

Un grand chelem

 

Quand les deux options s’offrent à lui, Gravel ne réfléchit même pas. C’est automatique. Il refile la rondelle à Lemay.

 

« Je suis droitier et lui gaucher, note le joueur de centre. C’est toujours plus facile pour moi de la passer à lui qu’à mon autre ailier. »

 

Plus facile et plus productif. Avec 30 buts et 84 points à sa fiche en 56 matchs, Lemay est le meilleur pointeur des Bandits et le deuxième dans la ligue. Il n’accuse que quatre points de retard sur le meneur, Dylan Holloway, un attaquant de 17 ans des Oilers d’Okotoks qui lui a été préféré dans la course au titre de joueur par excellence du circuit.

 

Gravel suit non loin derrière avec une récolte de 63 points (31 buts, 32 passes) en 53 rencontres, ce qui lui confère le 5e rang des meilleurs pointeurs des Bandits et le 13e à l’échelle de l’AJHL.

 

« Avec la quantité de minutes qu’il joue, les situations dans lesquelles on le place, offensivement et défensivement, en désavantage numérique, en avantage numérique... Si Will n’est pas notre joueur le plus utile, il est l’un des deux ou trois plus utiles. Il a été extraordinaire, observe Papaioannou.

 

William Lemay et Simon Gravel« Quant à Simon, il est le catalyseur de beaucoup de choses que Will parvient à faire, enchaîne le coach. Ils vont de pair. On a vu ce à quoi ressemble notre équipe sans Simon quand il a raté quelques matchs en raison de blessures mineures. On s’en sort, mais mon Dieu qu’on a besoin de lui en santé! C’est le joueur de centre de notre premier trio. »

 

Cette complicité ne date pas d’hier. Les routes qu’empruntent Lemay et Gravel depuis 2014 ne cessent de s’entrecroiser.

 

Il y a d’abord cette première rencontre au pré-camp d’entraînement des Gaulois du Collège Antoine-Girouard, une équipe midget AAA. Si Lemay, un an plus vieux, parvient alors à percer la formation, Gravel est quant à lui été forcé d’aller faire ses classes dans les rangs Midget Espoir.

 

Au terme de cette campagne, Lemay est ignoré au repêchage de la LHJMQ, mais invité au camp d’entraînement des Cataractes de Shawinigan, où est également convié Gravel après avoir été sélectionné en 10e ronde.

 

Rapidement retranchés, Lemay et Gravel se rapportent ensuite aux Gaulois, où ils développeront d’abord leur amitié dans les salles de classe avant d’être réunis pour la première fois au sein d’un même trio en séries.

 

Après l’élimination des Gaulois, Lemay, joueur affilié au Collège-Français de Longueuil, est invité à se joindre à l’équipe de la Ligue de hockey junior AAA du Québec (LHJAAAQ) pour la durée des séries. Il y prend goût, si bien qu’en 2016-2017, il fait le saut à temps plein, alors que Gravel choisit les Lauréats du Cégep de Saint-Hyacinthe de la Ligue de hockey collégial afin de se consacrer à ses études. Leurs chemins se séparent. Pas longtemps.

 

Alors que sa saison avec le Collège-Français tire à sa fin, Lemay apprend que son coéquipier Stefano Cantali a accepté une bourse d’études de l’Université Mercyhurst pour y poursuivre sa carrière dans la NCAA, en division 1. C’est l’éveil.

 

« Je me suis dit : "Oh, c’est peut-être possible pour moi aussi [...] Pourquoi pas?" »

 

Dès la saison suivante, Lemay décide donc de rejoindre l’équipe qui, selon lui, lui offre à ce moment les meilleures chances de le propulser au sud de la frontière : les Lauréats.

 

« [Pour nous], c’était un coup de circuit. Je dirais même un grand chelem! », se remémore l’entraîneur-chef des Lauréats, Louis-Philippe Blanchet.

 

Dès le premier jour du camp d’entraînement, Lemay et Gravel, le capitaine de l’équipe, sont jumelés à nouveau sur une même unité. Deux naturels. Avec William Bordeleau, ils forment le trio le plus redoutable du circuit. Dans l’ordre, Lemay et Gravel terminent premier et troisième meilleurs pointeurs de la ligue.

 

« Veux, veux pas, quand tu mets deux gars avec un sens du hockey très élevé ensemble, habituellement tu ne te trompes pas trop », se félicite Blanchet.

 

Après une élimination hâtive des Lauréats, Lemay et Gravel acceptent le temps d’un autre parcours éliminatoire de mettre leur bonne entente au service du Collège-Français, qui ne tarde pas à en tirer avantage.

 

Avec 10 buts et 12 passes en 11 matchs, le deuxième plus haut total dans l’équipe, Lemay aide d’abord le Collège-Français à remporter la Coupe Napa, remise aux champions de la LHJAAAQ. Puis, ses 4 buts et 5 mentions d’aide en cinq matchs lui permettent de terminer premier pointeur de la Coupe Fred Page malgré l’élimination des siens en finale de ce tournoi couronnant le représentant l’est du Canada pour le Championnat national.

 

De quoi capter l’attention des recruteurs de la NCAA. Ne restait plus qu’à valider.

 

Sur l’autoroute

 

Ryan Papaiaonnou a d’abord appris à connaître Lemay et Gravel sur bandes vidéo.

 

Flair offensif, habiletés, production soutenue, conscience défensive... Il y avait beaucoup à aimer. Assez pour monter à bord d’un avion et aller à leur rencontre en marge de la Chowder Cup, un tournoi auquel ils participaient l’été dernier dans la région de Boston à l’initiative de Blanchet pour les exposer aux universités américaines.

 

« Juste avec le vidéo, nous avions été convaincus de les signer, mais je voulais être certain que j’avais la bonne impression », relate l’architecte des Bandits.

 

« Quand je les ai vus en personne, tout s’est confirmé. Dès le premier match où je les ai vus, alors qu’ils affrontaient un très bon adversaire de la région de Boston, je pense qu’ils ont gagné 10-2. Will et Simon avaient fini la rencontre avec quelques buts et quelques passes chacun. Il était très apparent qu’il s’agissait de jeunes très passionnés. »

 

Enfin, l’autoroute devant les mener à la NCAA s’ouvrait à eux.

 

« Au niveau visibilité, là-bas, c’est pas mal mieux qu’ici, confirme Blanchet, qui a servi d'émissaire aux deux Québécois. Malheureusement, la ligue collégiale n’a pas encore beaucoup d’exposure. »

 

« Sans rien leur enlever, ce n’est pas vraiment à cause du Collège-Français [si j’ai quitté]. Ici, il y a beaucoup, beaucoup de recruteurs de la NCAA qui viennent voir les matchs et notre coach a tellement de contacts », justifie Lemay.

 

Avant que ne soit lancée la présente campagne, les Bandits de Brooks avaient conduit plus de 75 joueurs en l’espace de huit ans vers des universités américaines dotées d’un programme de hockey de Division 1, le plus célèbre d’entre eux étant Cale Makar, l’espoir de l’Avalanche du Colorado sélectionné 4e au repêchage 2017 de la LNH.

 

Simon Gravel« Si tu joues pour les Bandits de Brooks, t’as juste 10 fois plus de chances de te trouver un accord avec une école », calcule Gravel, qui est devenu en décembre le 14e et dernier joueur des Bandits en date d’aujourd’hui à accepter une offre de la NCAA, celle des Golden Griffins de Canisius College, une université située à Buffalo.

 

Lemay, lui, n’a mis que neuf rencontres avant de dire oui aux Catamounts de l’Université du Vermont, à son plus grand soulagement.

 

« Les joueurs de 20 ans qui n’ont pas encore de bourses se doivent d’être bons rapidement parce que s’ils prennent trop de temps à partir, les recruteurs ont des doutes sur leurs capacités à jouer dans la NCAA dès la saison suivante. Ça me stressait un peu », confie Lemay, qui a su chasser les doutes en enregistrant au moins un point à ses sept premiers matchs.

 

Dans quelques mois, Lemay et Gravel prendront donc à nouveau des directions opposées. Mais pour quelques semaines encore, ils continueront de passer près de 24 heures sur 24 à pourchasser un championnat, à s’épanouir sur un même trio, à parfaire leur Anglais, à passer le temps devant une série Netflix dans leur famille de pension, ou simplement à faire des longueurs dans une piscine.

 

« C’est rendu des p’tits Monsieurs, des jeunes hommes, observe Blanchet, fier de ses protégés. Ils ont pris une dose de maturité incroyable en s’éloignant.