MONTRÉAL – En mettant le cap sur Moncton, Julien Tessier savait bien que les victoires allaient se faire rares.

« Je ne sais pas si vous allez gagner un seul match d’ici la fin de la saison. Ils ont tellement fait d’échanges! », lui avait même lancé à la blague Robert Dubuc, son entraîneur chez les Cobras de Terrebonne, quand il était venu saluer ses coéquipiers une dernière fois avant son départ du circuit junior AAA québécois.

Depuis qu’il a pris place dans le vestiaire des Wildcats, un club qui vient à peine de couler les fondations d’une reconstruction complète, Tessier a disputé 15 rencontres.

Il a encaissé 15 défaites.

L’athlète de 18 ans ne l’avouera peut-être pas publiquement, mais il a sans doute déjà fait son deuil des séries. Avec encore une vingtaine de matchs à l’horaire, la fin de campagne des Wildcats s’annonce longue et marquée de séries de défaites.

Si bien que la question se pose réellement : le club du Nouveau-Brunswick remportera-t-il au moins un autre match avant que le supplice ne prenne fin le 18 mars prochain?

Tessier apprécierait assurément, mais pour l’heure, gagner est le dernier de ses soucis.

« Je suis de retour dans la LHJMQ, le niveau où je veux jouer. Je suis en santé. Je suis heureux. Avec ce que j’ai vécu l’an passé, c’est tout ce que je demande. »

À Moncton, une destination pour laquelle bien des joueurs se seraient embarqués à contrecoeur cet hiver, Tessier a trouvé l’eldorado pour relancer une carrière ralentie par la maladie.

« Je n’aurais pu mieux tomber. »

Recommencer à zéro

Choix de premier tour des Sea Dogs de Saint John en 2014, 15e au total, Tessier a comme la plupart des recrues fait une entrée en douceur dans le circuit Courteau.

À sa première campagne en 2014-2015, l’ancien des Estacades de Trois-Rivières a pris part à 41 rencontres de saison régulière et trois autres de séries, amassant 3 buts et 6 passes.

Déterminé l’an dernier à gonfler ses chiffres et profiter de sa première saison d’admissibilité au repêchage de la LNH qui approchait, Tessier a fait comme ses pairs. Il en a sué un coup dans le gym.

« Quand je suis arrivé au camp, je pesais 185 livres. J’étais vraiment en forme et je connaissais un bon camp. J’avais joué de bons matchs et autant le coach que le directeur général étaient contents. J’étais vraiment en forme », insistait récemment Tessier, lors d’un généreux entretien avec le RDS.ca.

Puis, tout a basculé.

« J’ai commencé à avoir beaucoup mal au ventre, j’allais beaucoup à la toilette. C’est à ce moment-là que ç’a complètement dégénéré.

« Je ne pouvais rien boire ni manger, je vomissais tout ce que je prenais. J’avais des crampes au ventre, la douleur était vraiment insupportable. »

Devant l’urgence de la situation, les Sea Dogs n’ont eu d’autres choix que de renvoyer leur jeune espoir à la maison, dans la région de Québec, à la mi-août.

À l’hôpital, où il a passé le mois qui a suivi, le diagnostic est finalement tombé : Tessier était atteint de la maladie de Crohn.

Maladie inflammatoire chronique du système digestif, cette affection se caractérise principalement par des crises de douleurs abdominales et de diarrhée pouvant durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

« J’ai passé des semaines à l’hôpital, presque incapable de manger. Je ne mangeais même pas l’équivalent d’un repas par jour et je ne pouvais même pas boire non plus », raconte Tessier, qui a perdu 35 livres avant que le personnel médical ne déniche finalement la médication adéquate.

La maladie sous contrôle, Tessier a ensuite regagné Saint John, où il a amorcé une longue remise en forme avant de disputer son premier match de la saison le 25 septembre, ainsi que 13 des 19 duels suivants des Sea Dogs.

Julien TessierLa forme optimale, autant physique que mentale, n’y était toutefois plus.

« Quand je jouais une moins bonne game, cette game-là me restait en tête pendant des jours, admet Tessier. Je paniquais, j’avais peur de rester dans les estrades. Je me laissais vraiment tracasser par mes performances et les décisions du coach. »

Un stress qui, dans le contexte de sa maladie, était tout sauf bienvenu. Selon plusieurs spécialistes, le stress ne provoque pas directement la maladie de Crohn, mais il pourrait favoriser le déclenchement de certaines crises.

L’angoisse de satisfaire un entraîneur, jumelée à une médication de moins en moins efficace, surtout, n’a donc pas tardé à entraîner un retour en force de la maladie.

À la mi-novembre, mêmes maux de ventre, mêmes conséquences.

« Le 13 novembre, je quittais Saint John et je retournais chez nous... Je n’ai recommencé à bien feeler qu’aux alentours du 5-6 janvier. »

Cette fois, la maladie venait de lui faucher 40 livres, soit près du quart de son poids santé.

« Je recommençais à zéro, se désole-t-il encore aujourd’hui. C’est ce qui était le plus frustrant [...]. J’avais perdu tous les gains que j’avais faits pendant l’été. »

Et c’est dorénavant au sein d’une autre organisation qu’il allait devoir tenter son prochain retour au jeu. Alors qu’il était en convalescence à la maison, Tessier a été échangé aux Saguenéens de Chicoutimi, avec qui il a effectué ses débuts le 26 février.

« Je n’étais pas dans une forme idéale pour jouer, convient-il. C’était surtout pour avoir du temps de glace. Il fallait que je passe par-là. »

Tessier a bouclé cette année de misère en jouant neuf matchs de saison régulière et quatre autres de séries éliminatoires, glanant une mention d’aide au passage.

« Vers la fin, je reprenais ma forme, mais après autant de temps passé loin de la glace à rester complètement inactif, j’avais perdu ma confiance, mon instinct offensif. »

Ramassé à la petite cuillère

C’est donc armé d’un optimisme prudent, mais avant tout rongé par l’amertume, que Tessier a franchi à nouveau les portes du gymnase.

« Ça m’est resté dans la tête vraiment longtemps pendant l’été, un peu trop longtemps même. [...] C’est comme si tout s’était envolé. La frustration était encore bien présente. »

Et au moment de se rapporter aux Saguenéens pour le camp d’entraînement de l’équipe en août dernier, toujours rien.

Pas de confiance, pas d’instinct offensif.

« Yanick (Jean, l’entraîneur-chef et directeur général) et moi on s’est parlé longtemps. On a convenu que pour ma confiance, il valait mieux que j’aille jouer junior AAA, plutôt que d’être le 13e attaquant de l’équipe et que je ne joue pas beaucoup. Il pensait que ça allait me nuire, peut-être même gâcher ma carrière. »

Retranché à la fin du camp, Tessier était forcé de faire un choix. Accepter l’offre de l’une des trois équipes collégiales qui le courtisaient, ou encore celle des Cobras de Terrebonne, qui l’avaient sélectionné en juin dernier lors du repêchage de la LHJQ.

« J’ai passé cette fin de semaine là à l’appeler, discuter avec lui, son agent et sa famille pour vendre le programme que j’ai ici », se souvient Robert Dubuc, le grand patron des Cobras.

« Chacune des équipes junior AAA a sa façon de faire, mais ici, à Terrebonne, on essaie d’offrir un environnement junior majeur à nos joueurs, soit trois entraînements d’une durée de deux heures par semaine, une séance d’entraînement hors glace obligatoire par semaine avec un entraîneur qualifié et un bon encadrement scolaire », vend Dubuc.

L’entraîneur-chef et DG avait aussi une autre carte dans sa manche : une participation assurée à la Coupe Fred Page à titre d’équipe hôtesse du tournoi qui couronnera le 7 mai prochain le champion junior A de l’Est du pays.

« J’ai pris une fin de semaine off, avec ma famille et mes amis pour me décider. J’essayais juste de laisser retomber les émotions des événements à Chicoutimi avant de voir quelle était la meilleure option pour moi. Finalement, j’ai décidé d’aller à Terrebonne. »

S’il avait fait son choix, Tessier n’était néanmoins pas enchanté à l’idée de faire un pas de recul.

« Au début, je trouvais ça difficile de retourner jouer junior AAA », confesse-t-il.

« Les joueurs comme Julien, on les ramasse à la petite cuillère, signale Dubuc. Pour lui, c’était la déception totale. Bien des jeunes voient la Ligue junior AAA comme une ligue pour le fun. Ce n’est pas le cas pantoute! Ceux qui la voient plutôt comme un tremplin sont capables de remonter dans le junior majeur. »

Une réalité que Tessier a mis un peu de temps à réaliser.

« Ça lui a pris un gros trois semaines, un mois, rapporte Dubuc. Il était d’abord ici que parce qu’il avait accepté de venir. Il était ici, mais il était au-dessus de ses affaires. Il se disait peut-être : " Ok, moi, j’arrive du junior majeur, je suis un premier choix et je ne suis pas supposé être ici. Je suis supposé jouer junior majeur ".

« C’est plus difficile à coacher dans ce temps-là, enchaîne Dubuc. [...] Il était fermé comme une huître. Puis, à la quatrième semaine, wow! Transformation totale. Il a commencé à croire en ce qu’on faisait. L’huître s’est ouverte. »

Julien Tessier, avec les Cobras de TerrebonneDu joueur de centre affecté à des mandats purement offensifs sur les deux premiers trios, Tessier était soudainement devenu l’homme de toutes les missions.

« Il faisait tout », fait remarquer Dubuc.

« Pour la première fois en trois ans, je me sentais important dans une équipe et sur la glace. J’avais carte blanche pour laisser aller mon talent », note Tessier, qui en 27 rencontres dans l’uniforme des Cobras, a amassé 11 buts et 28 passes.

Plus d’un an après les avoir perdus, Tessier avait retrouvé ses instincts offensifs. Enfin.

« La confiance, ce n’est pas une switch que tu allumes ou que tu éteins », tient à rappeler Dubuc. « Quand Julien a retrouvé ses repères, il a su les exploiter au max. »

Acheter sa place

Alors que Tessier redevenait lui-même à Terrebonne, les Saguenéens, eux, se préparaient à tenter le grand coup et partir à la conquête de la coupe du Président. Un contexte peu favorable au retour de l’attaquant meurtri dans leur formation.

« Au début décembre, Yanick [Jean] m’a appelé pour me dire que deux équipes étaient intéressées à moi et qu’il était probable que je sois échangé. L’important pour moi c’était de jouer. Yanick le savait et il voulait m’échanger à une équipe qui m’offrirait du temps de glace et une chance de me développer. »

Le DG des Sags a tenu parole. Le 18 décembre, Tessier était échangé aux Wildcats, dans une transaction qui impliquait notamment les jumeaux Kelly et Kevin Klima.

« C’était un choix de 4e ronde ou Julien Tessier, aussi simple que ça », révèle le directeur général des Wildcats, Roger Shannon. « Yanick savait qu’il ne pouvait lui offrir une réelle opportunité cette année et on en a bénéficié. »

En Tessier, les Wildcats ont non seulement mis la main sur un joueur de centre qui évolue sur le premier trio depuis son arrivée, ils ont également obtenu un attaquant productif qui a jusqu’à maintenant trouvé le moyen de récolter 3 buts et 9 passes en 15 rencontres malgré les difficultés de l’équipe, dernière au classement général.

« Au sein de l’équipe qui marque le moins de buts dans la ligue, il a amassé en moyenne presque un point par match. On ne pourrait en demander plus! », lance fièrement Shannon.

Julien TessierD’ici la fin du calendrier régulier, l’attaquant des Wildcats aura certes toutes les occasions de maintenir la cadence, mais que lui réserve la prochaine saison?

« Souvent, les équipes de la LHJMQ qui rebâtissent ne remontent des joueurs que pour " remplir des chandails ", observe Robert Dubuc. Je ne pense pas que ce soit le cas de Julien. De toute façon, les Wildcats vont vite s’apercevoir qu’ils ont un diamant entre les mains. »

« Il va jouer un rôle significatif au sein de notre équipe l’an prochain. Je pense que notre no 19 aura une bonne saison de 19 ans, rassure l’architecte des Wildcats.

« Le plus beau dans toute cette histoire à mes yeux, c’est qu’on lui offre cette deuxième chance, peut-être sa dernière, de jouer dans notre ligue. J’ai le feeling qu’il jouera un autre bon deux ans à Moncton. »

C’est tout ce que demande Tessier.

« Je veux acheter ma place dans l’équipe pour les deux prochaines années. Les Wildcats ont déjà de gros plans pour l’an prochain, et l’année suivante, à ma saison de 20 ans, ils inaugureront leur nouvel aréna en plus de viser la Coupe Memorial. Je veux acheter ma place. »

D’ici là, Tessier fera tout son possible pour que son équipe l’emporte au moins une fois avant la fin du calendrier. Mais qu’il réussisse ou pas, ça ne change rien.

Il a déjà gagné.