Les tirs de barrage en séries éliminatoires sont inacceptables aux yeux de la majorité des amateurs de hockey. Les puristes sont prêts à attendre deux ou trois périodes de prolongation avant de connaître le vainqueur du match, mais auraient-ils la détermination pour rester dans les estrades durant neuf engagements?

Un match de hockey avec autant de manches qu’une joute de baseball semble irréaliste, mais c’est pourtant ce qu’ont dû endurer les partisans du Club de hockey de Gomel en Biélorussie. Le premier match de la série 4 de 7 contre leur rival historique, le Yunost de Minsk, s’est terminé après 165 minutes de jeu. C’est le match le plus long de l’histoire de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF).

Un affrontement entre la capitale biélorusse et le HK Gomel n’est jamais ordinaire, particulièrement lors des séries éliminatoires de l’Extraliga. Comme l’explique le joueur d’avant du Yunost, Vitaly Kiryushchenkov, les deux clubs sont de vieux ennemis.

« C’est la troisième saison de suite où l’on joue contre Gomel en demi-finale. Nous les avons vaincus les deux premières fois. Je pense que nous allons encore les battre cette année. »

À 23 ans, Vitaly en est à sa deuxième saison dans le Championnat national biélorusse. Né à Novopolotsk, ville d’origine des frères Kostitsyn, il s’est joint au Yunost après avoir été retranché du Dinamo de Mink de la Ligue continentale de hockey (KHL) durant la saison 2013-2014. Il est la fierté de son entraîneur, Mikhaïl Zakharov.

« Vitaly, c’est un bon joueur. Vous devriez lui trouver une place dans la LNH. Il est fait solide et il a du talent. Je sais de quoi je parle. J’ai été l’entraîneur de Mikail Grabovsky! »

Zakharov n’est pas apprécié par les partisans de la ville de Gomel. Son amitié avec le président du pays, Alexandre Loukachenko, laisse place à toutes les théories du complot. Les partisans biélorusses sont comme tous les autres. Lorsque leur équipe perd, c’est toujours la faute des arbitres!

Igor BrikunLe Yunost est accueilli par des huées nourries lors de la présentation des joueurs. Les 2 700 partisans du HK Gomel se déchaînent sous haute surveillance policière. Une petite délégation d’ultras venue de Minsk tente de faire contrepoids sans succès. L’équipe locale bombarde le gardien adverse lors d’une supériorité numérique de deux hommes. Au grand dam de l’entraîneur-chef, Alexander Andrievsky, les joueurs de Gomel n’en tireront aucun profit.

« L’adversaire a été pénalisé deux fois plutôt qu’une. On a eu toutes les chances de marquer dont nous avions besoin, mais les joueurs du Yunost ne nous ont rien donné. »

Malgré la domination de l’équipe locale, les partisans du Yunost fêteront le premier but du match en début de deuxième période. Jusque-là, rien n’indique qu’on réécrira une page du livre des records. Les visiteurs étirent la sauce jusqu’en fin de match, mais le HK Gomel nivelle la marque avec 2 minutes à jouer au match. La foule se déchaîne sans savoir le calvaire que lui réserve l’histoire.

Les partisans se ruent dans les corridors de l’aréna pour faire le plein de breuvages et de condiments. À Gomel, on est convaincu qu’enfin le club aura la peau du Yunost. Il faut fêter cela! Le célèbre chocolat biélorusse Spartak se vend comme des petits pains chauds. Les amateurs affamés achètent aussi des croustilles Lays à saveur de crabe. Une particularité russe très appréciée par l’auteur de ce texte.

« Une chance que le match a commencé à 17 h, s’exclame une employée de l’aréna. On ne rentrera pas trop tard à la maison… »

Les deux équipes retournent sur la glace avec enthousiasme, mais les joueurs sont prudents. La première joute d’une demi-finale dicte souvent le rythme de la série. Comme l’explique le Québécois Daniel Corso, personne ne veut commettre une erreur fatale.

« Je ne dirais pas que c’est du très beau hockey. En prolongation, on joue plus passivement. On veut se porter à l’attaque, mais on a toujours peur de perdre notre position. On attend que l’adversaire commette une erreur. C’est presque un jeu d’échecs. »

Après une première période de prolongation, les amateurs sont toujours bruyants. Lorsque la cinquième période commence, les tribunes sont un peu plus clairsemées. La grande majorité des partisans sont tout de même sur place. La mascotte de l’équipe, un sympathique guépard, a toujours la force de danser. À la veille de la quatrième période de prolongation, ça parle fort dans les corridors du stade. Un policier a presque perdu espoir de voir un but enfin se marquer.

« On doit voir la fin de ce match avant que celui de demain commence. »

Les patineurs de fin de soirée font le pied de grue en attendant leur tour. Tanya s’impatiente.

« Oui, c’est vrai. Un but peut se marquer d’une minute à l’autre, mais ils peuvent aussi jouer jusqu’au matin. On doit réserver pour venir ici. Qu’on me garantisse une place pour la prochaine soirée. Comme cela, je vais pouvoir retourner chez moi! »Vitaly Kiryushchenkov

Certains patineurs infortunés tentent de se négocier une place pour regarder le match. Les employés de l’aréna acquiescent, mais la police refuse d’obtempérer. Les agents de la paix ont des ordres stricts. Tout ce beau monde finit par regarder la joute en gardant la porte ouverte. Au même moment, les joueurs n’en finissent plus de tourner en rond. Ils sont au bout du rouleau.

« Je suis un gars qui va au lit vers 21 h, explique Corso. Les gars me disaient : "Dan… il est presque l’heure de te coucher. Il serait temps de mettre fin au match". Sérieusement, à la longue, ça devient très dur. On essaie de lancer, mais nous sommes trop fatigués. Les mains et les jambes ne suivent plus. »

Le Québécois ne pourrait pas si bien dire. Lors de la huitième période, Vitaly Kiryushchenkov (photo) s’écroule sur la glace par lui-même. La foule conspue. On croit qu’il tente de tromper les arbitres. Le joueur de centre est toutefois incapable de se relever. Les secouristes le sortent de la glace sur un brancard digne de la Deuxième Guerre mondiale.

« J’étais trop fatigué. Ma jambe ne pouvait plus me soutenir, en fait, elle ne bougeait plus. Dans le vestiaire, le médecin m’a examiné et il a constaté que je n’avais aucune blessure. Ça m’a rassuré. Sur le moment, c’était tout de même inquiétant. »

Lorsque la sirène retentit pour la huitième fois dans l’aréna, le gardien du Yunost, Alexander Borodulya, a déjà 107 arrêts au compteur. On entend un soupir collectif de découragement mélangé à des rires d’exaspération tandis que la zamboni y va d’un neuvième tour de piste. Les plus jeunes commencent déjà à s’étendre sur les bancs pour dormir. La fille de Viktoria n’en peut plus, mais cette dernière est bien décidée à rester.

« Oui, elle est fatiguée. Nous sommes tous épuisés, mais on ne peut pas partir. En fait, je ne veux pas quitter l’aréna. On doit battre Yunost à tout prix! »

Une fillette endormie lors du match Yunost-Gomel

Les joueurs reviennent sur la glace pour la neuvième fois dans la soirée. Il est déjà dépassé 23 h, mais le public trouve encore l’énergie nécessaire pour conspuer Yunost. Après cinq minutes de jeu, le vétéran Maxim Slysh profite d’une erreur en défense du HK Gomel pour prendre un lancer. Le gardien Igor Brikun, qui compte déjà 65 arrêts dans cette joute, accorde un long retour avant de tomber sur la glace. Vitaly Kiryushchenkov, revenu au jeu après s’être rétabli, lance la rondelle dans la lucarne et les visiteurs gagnent le match par la marque de 2 à 1.

« J’ai ressenti la colère du public après avoir marqué. Les partisans n’étaient pas contents. Ils ont tellement cru que Gomel allait enfin gagner, mais on a été les meilleurs! »

Tandis que les joueurs du Yunost fêtent hystériquement sous les acclamations de leurs ultras, les joueurs du HK Gomel font un tour de piste rapide pour saluer la foule. En un instant, l’aréna se vide. Il ne reste que quelques hooligans de chaque côté pour se hurler des injures d’une tribune à l’autre. Après une conférence de presse expéditive, l’attaché de presse du club local, Stanislav Klyuchinski, est abasourdi.

« C’est du jamais vu ici. C’est le deuxième plus long match de l’histoire. Nous étions à dix minutes du record absolu. Dans la LNH, le record est de 176 minutes. »

Le 24 mars 1936, les Red Wings de Detroit ont vaincu le Club de hockey canadien par la marque de 1 à 0 après 176 minutes de jeu. Le but gagnant a été marqué par un certain Modere « Mud » Bruneteau. À l’époque, Toe Blake est un simple joueur et personne ne connaît Maurice Richard. En fait, le Rocket jouera son premier match en 1942.

Dans l’IIHF, c’est du jamais vu. Le 7 mars 2015, il s’est établi à Gomel un record qui ne risque pas d’être battu avant longtemps.

« Au moins, ça me donne quelque chose de plus à mettre à mon curriculum vitae », blaguera Daniel Corso après la victoire.