MONTRÉAL – Marc-André Bergeron les appelle les spécialistes des pratiques. « En Europe, je te dirais qu’il y en a quelques-uns comme ça! », témoigne le vétéran défenseur à l’autre bout du fil.

Parce qu’il avait déjà vu neiger, Bergeron a d’abord contenu son enthousiasme quand il a vu Auston Matthews effectuer ses premiers coups de patin à l’entraînement avec les Lions de Zurich. Pas de doute, le jeune se démarquait du lot, mais pourquoi ne pas attendre de voir comment il se tirerait d’affaire dans un vrai match avant de s’emporter?

Quand Matthews a finalement atteint l’âge légal pour faire ses débuts professionnels dans la Ligue nationale suisse, Bergeron s’est rallié à la masse sans offrir de résistance.

« Il ne bluffait pas! », s’exclame le volubile Trifluvien, qui dispute sa troisième saison avec la puissante formation helvète. « C’est un solide. Quand il joue pour nous, ce n’est pas compliqué, il change la game. Personne n’est vraiment capable de l’arrêter. »

Auston MatthewsMatthews est ce jeune prodige américain qui est né deux jours trop tard pour être admissible au repêchage 2015 de la Ligue nationale. Plutôt que de connaître une carrière parallèle à celle de Connor McDavid et Jack Eichel, il doit donc patienter jusqu’à l’été prochain avant de connaître les couleurs qu’il défendra dans le circuit Bettman.

À la recommandation de son agent Pat Brisson, Matthews a levé le nez sur les options plus traditionnelles – les rangs universitaires américains ou le hockey junior canadien – et a obtenu une dérogation pour jouer en Europe. Le surdoué de l’Arizona a jusqu’ici obtenu 19 points en 17 rencontres. Parmi les joueurs ayant disputé au moins 15 parties, on n’en dénombre que sept autres qui produisent comme lui à un rythme supérieur à un point par match.

« S’il avait fallu qu’il joue junior, ça n’aurait pas eu de sens. D’après moi, il aurait ramassé 200 points! », s’emporte Bergeron.

« C’est un joueur complet comme il s’en fait peu. Le calibre de jeu est assez fort ici et les gars ont de la misère à lui enlever la rondelle. Il est gros, a une bonne vision du jeu et peut marquer des buts de toutes les façons. Il est agile, mais il peut aussi bien foncer au filet et pelleter la rondelle dans le but. C’est tout un joueur de hockey. L’équipe qui va avoir la chance de mettre la main dessus l’an prochain va se retrouver avec tout un espoir. »

Des joueurs exceptionnels, Bergeron en a connu d’autres. À sa première saison avec le Lightning de Tampa Bay, il a vu Steven Stamkos marquer 45 buts à l’âge de 20 ans. Trois ans plus tard, il se retrouvait dans le même vestiaire que Jeff Skinner, récipiendaire du trophée Calder à 18 ans. Selon lui, Matthews est de la même lignée.

« Je te dirais qu’il ressemble à un Jeff Skinner, mais en plus gros, compare-t-il. Il manie la rondelle... tac-tac-tac-tac-tac! Skinner était un peu comme ça, sauf qu’il ne faisait même pas 6 pieds. Auston, c’est un cheval. »

« C’est sûr que la Ligue nationale, c’est une autre étape, mais je crois qu’il est dans la catégorie des gars qui peuvent arriver là et prendre leur place rapidement. Il sera un joueur qui fera la différence assez rapidement dans sa carrière », ajoute celui qui a joué 490 matchs dans la LNH.

La fontaine de Jouvence

Bergeron venait tout juste de compléter ses réservations pour des vacances de Noël à Paris quand la capitale française a été la cible d’attentats terroristes le 13 novembre dernier. Bien assez vite, les plans sont tombés à l’eau et toute la petite famille s’est retrouvée avec du temps libre imprévu pour le temps des Fêtes.

C’est alors qu’il a commencé à reconsidérer une offre qu’il avait refusée lors des deux années précédentes et qui était récemment revenue sur la table. Au moment de s’entretenir avec le RDS.ca, Bergeron envisageait fortement d’aller représenter le Canada au tournoi de la Coupe Spengler à la fin du mois. Rob Cookson, un adjoint de Marc Crawford à Zurich, occupera les mêmes fonctions auprès de Guy Boucher et a travaillé fort pour convaincre son défenseur de l’accompagner.

Marc-André Bergeron« Je n’ai jamais joué pour le Canada dans aucune compétition internationale. Mais là mes enfants sont rendus assez vieux pour nous accompagner et Davos, c’est une superbe ville où on peut skier. On pourrait joindre l’utile à l’agréable. Je trouverais ça le fun que mon petit gars de 6 ans voie son père jouer pour Équipe Canada… même si on s’entend que ce n’est pas les Olympiques! »

En Suisse, les Bergeron filent le parfait bonheur. Au travail, le patriarche ne pourrait demander mieux. Les Lions ont remporté le championnat dès son arrivée il y a deux ans, se sont inclinés en finale l’année dernière et occupent présentement le sommet du classement général à la mi-saison. Et quand le hockey lui permet de prendre une pause, le quatuor parcourt l’Europe et apprivoise de nouvelles cultures.

« Ça a tourné exactement comme on l’espérait. On est dans une belle partie de notre vie présentement », se félicite l’ancien numéro 47 du Canadien.

Bergeron est parti pour l’Europe après une saison au cours de laquelle il n’avait joué que 12 matchs avec le Lightning et 13 avec les Hurricanes. Il allait bientôt avoir 33 ans et sentait que sa carrière avait besoin d’un nouveau souffle.

« La Ligue nationale, j’ai quand même aimé ça! C’était un rôle différent et c’était bien correct. Sauf qu’après dix ans, je trouvais que j’étais en train de perdre un peu le contrôle de ma destinée et j’avais peur de me retrouver à faire la navette. Si je n’avais jamais atteint la LNH, peut-être que j’aurais continué. Mais j’ai pris une autre avenue et je suis bien content de l’avoir fait. »

Dans la Ligue nationale, Bergeron était surtout reconnu pour la puissance de son lancer frappé et était souvent utilisé comme spécialiste de l’attaque à cinq. En Suisse, il est demeuré un arrière à caractère offensif, mais sa réalité a quelque peu changé. Les nouvelles dimensions de la patinoire, notamment, ont affecté la vélocité de son tir sur réception, une arme qui lui a valu trois saisons d’au moins 12 buts dans la LNH.

« Ma femme n’arrête pas de le dire : ‘T’es trop loin quand tu lances! Avance-toi!’ », rigole l’auteur de trois buts en 24 matchs depuis le début de la saison.

« C’est une des raisons, mais ce n’est pas juste ça, poursuit-il plus sérieusement. Dans la Ligue nationale, j’étais souvent le gars qu’on positionnait juste pour prendre le gros lancer tandis qu’ici, je haut dans la zone. Je suis celui qui fait les jeux, qui distribue la rondelle. C’est sûr que ça change ma game en général. »

Bergeron écoule présentement la dernière année d’un contrat de trois ans avec les Lions. La santé est bonne et si on lui en donnait l’occasion, il n’hésiterait pas à doubler la durée de cette association pour terminer sa carrière dans sa ville d’adoption.

« Depuis quelques années, on dirait que je me suis fixé le chiffre 38 [ans] dans la tête et plus ça va, plus je trouve que c’est sensé. Physiquement, je me sens beaucoup mieux qu’à mes dernières années dans la Ligue nationale. Je ne pense pas que je commencerais à déménager, mais si j’ai la chance de rester à Zurich, ça serait vraiment mon option numéro un. Tranquillement, on s’en va vers les négociations. J’ai hâte de voir comment tout ça va se terminer, mais je me sens en forme pour continuer. »