Trente minutes avec Joël Bouchard
Rocket de Laval vendredi, 17 avr. 2020. 16:37 jeudi, 12 déc. 2024. 01:34Un mois s’est écoulé depuis l’interruption soudaine des activités dans la LNH et la ligue américaine. Pour l’entraîneur-chef du Rocket de Laval, Joël Bouchard, les dernières semaines ont été axées sur la réflexion et le bilan de la saison mais il est aussi important pour lui de demeurer stimulé mentalement pour tirer profit du temps qu’il a devant lui. Il a été très généreux en nous permettant de lui parler pendant une trentaine de minutes, pour faire le tour de plusieurs questions entourant son équipe sur le plan collectif et individuel, notamment en ce qui concerne les jeunes espoirs de l'organisation avec lesquels il a travaillé cette saison.
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D’abord Joël, comment les choses se passent pour toi depuis quelques semaines, en sachant que nous avons tous un rôle de citoyen à jouer présentement?
Pour moi d’abord, le plus important, c’est ma famille, mes parents. Ils sont très prudents et ne prennent pas de chance. Je vais leur porter l’épicerie, je m’assure que tout va bien et je respecte les consignes. Pour le reste, je communique avec tout le monde via Zoom, Skype, par téléphone ou par Facetime. On attend que ça passe.
Pour les joueurs, le défi est de demeurer en forme. Pour les entraîneurs, votre routine habituelle est bousculée. Que faites-vous comme tâches pour demeurer à jour?
Moi je m’entraîne six jours par semaine! Pour un entraîneur, c’est important de rentrer dans sa bulle, je me donne une journée de congé! Je suis un lève-tôt et je travaille plein de dossiers. J’organise des rencontres téléphoniques avec mes adjoints aussi. Je veux que les gars continuent à penser et qu’ils regardent des choses pour que l’on continue à s’améliorer. Je parle aussi à des gens qui évoluent dans des secteurs que je connais moins pour m’améliorer. Je ne chôme pas, je suis fatigué le soir alors c’est une bonne nouvelle !
Les choses se sont terminées abruptement pour vous. Qu’est-ce qui a été le plus difficile de voir tout s’arrêter du jour au lendemain?
Je ne suis pas capable de cibler quelque chose parce que je trouve que notre réalité est tellement diminuée par tout ce qui se passe à travers le monde. Les gens me demandent si je suis déçu. Oui on était sur une lancée et il y avait une belle ambiance à la Place Bell, mais je ne suis pas capable de dire que c’est plate. Nous sommes chanceux et privilégiés de faire ce qu’on fait. De voir des gens souffrir à travers la planète fait en sorte que j’ai de la difficulté à considérer mon agenda personnel. Mais c’est sûr que la coupure a été drastique, mais c’est la même chose pour tout le monde. On se serre les coudes et on essaie de ne pas rester individualiste dans cette situation.
Évidemment, il faut relativiser les choses avec la crise que nous vivons présentement. Mais sur le plan sportif, que voyais-tu dans ton groupe qui faisait en sorte que l’on croyait de plus en plus à une place en séries éliminatoires du côté du Rocket?
Je prends le temps de faire une réflexion des deux dernières années et de voir le chemin parcouru depuis le début de ce processus. Nous étions sur une belle lancée, nous n’étions plus du tout à la même place qu’il y a deux ans. D’abord, avec la façon de jouer, mais aussi nous étions capables de travailler avec les joueurs parce qu’une chimie s’est créée. Il y a tellement de changements dans la ligue américaine mais à travers le fait que les choses basculent souvent, en lien avec la LNH (blessures, rappels), j’ai trouvé qu’on a créé quelque chose avec ce groupe d’individus extraordinaire. Je voyais une belle progression collective avec le noyau de joueurs. Quand on regarde nos 10 derniers matchs, nous étions constamment la meilleure équipe sur la glace.
Tu as parlé des mouvements de personnel ont été nombreux tout au long de la saison. Sans trouver d’excuses, as-tu ressenti de la frustration par moments en sachant ce que vous tentiez d’établir avec l’équipe, en gardant en tête que vous souhaitez évidemment toujours aider le grand club?
En partant, quand on accepte un poste dans la ligue américaine, on sait que ça va arriver. Des fois, on a eu des jambettes, mais ce n’est la faute de personne, c’est simplement la réalité. On a perdu beaucoup de joueurs à cause de blessures et ça brisait le rythme qu'on avait. On retrouvait parfois 6 ou 7 joueurs dans une semaine et ils ne jouaient pas à leur plein potentiel, soit parce qu’ils avaient été blessés, ou parce qu’ils avaient joué un rôle inférieur dans la LNH. Nous avons quand même été en mesure de remettre les choses en place rapidement.
Il y avait un intérêt particulier à Laval cette année, avec l’ajout de plusieurs jeunes joueurs. Comment as-tu apprécié le défi de travailler avec eux?
C’est évidemment une ligue de développement. Certains entraîneurs préfèrent avoir des équipes plus expérimentées pour ensuite avoir l’opportunité de se trouver du travail dans la LNH. Pour ma part, si on me disait que j’aurais l’équipe la plus jeune à chaque année, cela ne me dérangerait pas parce que j’aime travailler avec des jeunes qui ont encore une fenêtre d’opportunité pour s’améliorer. Des Alex Belzile,
Il n’y en a pas beaucoup, des gars qui continuent de s’améliorer, même à 26 ou 27 ans et qui savent augmenter leur niveau de jeu, c’est rare. En ce qui concerne les jeunes, c’est bien de pouvoir vivre les hauts et les bas avec eux et de voir leur niveau d’adaptation à différentes situations. On grandit là-dedans.
Si on faisait un survol à propos de quelques jeunes joueurs avec lesquels tu as travaillé. Qu’est-ce que tu as pensé de la progression de Jesperi Kotkaniemi?
Entre la première et la dernière journée, son jeu s’est beaucoup amélioré.
Son jeu sur 200 pieds et sa transition de l’attaque vers la défense. Il est alerte sur la glace. Il s’est beaucoup investi dans notre concept. C'est un 3e choix au total, on aurait pu s'attendre à de la réticence ou un manque engagement de sa part. Au contraire, il a été extraordinaire. C’est sûr qu’il y a toujours une période de déception au début et l’entraîneur ne peut rien y faire. Mais ensuite, l’entraîneur peut aider et aider à comprendre le cheminement nécessaire vers la LNH. C’est mon travail de lui parler et de m’assurer qu’il est à la bonne place mentalement.
Au niveau de sa blessure, il va mieux?
C’est sûr que c’est quelque chose qu’on ne voit pas souvent (blessure à la rate). La période de convalescence est longue, mais habituellement ce genre de blessure ne laisse pas de séquelle. On est vraiment confiants que tout va rentrer dans l’ordre pour lui.
Ryan Poehling en était à sa première année chez les professionnels. Il était déçu de se retrouver dans la ligue américaine et n’a pas noirci la feuille de pointage à tous les matchs, mais qu’est-ce que tu as aimé de sa part
Ryan a beaucoup de potentiel évidemment, en étant un choix de première ronde.
Il y a beaucoup d’attentes et il a du talent. Ce qu’il y a de bon, c’est qu’il a goûté au hockey pro. Lors des deux ou trois derniers matchs avant sa blessure, il était dominant dans certains aspects. Il a eu de bons matchs et d’autres plus difficiles. Il a juste 20 ans est c’est impossible de dire à quel niveau il sera rendu à 25 ans. Il a une très belle progression mais il faut être patient. C’est un bon jeune, mais ce n’est pas un joueur exceptionnel qui peut faire le saut directement dans la LNH.
À l’image de Jake Evans, Poehling tente de faire la transition entre les rangs universitaires. De quoi Poehling peut s’inspirer en regardant la progression de Jake?
D’abord, Evans est sorti de l’université deux ans plus vieux que Poehling. Il a un peu plus de maturité, même si Ryan est très mature, mais il faut en tenir compte dans le développement. Je me souviens des 10 premiers matchs d’Evans, j’avais de la misère à le faire jouer, mais j’étais capable de voir le potentiel. On a pris le temps de travailler avec lui pour ajuster son style de jeu. Evans était un bon joueur universitaire, mais son style n’était pas approprié au hockey professionnel. C’est aussi vrai pour un joueur qui peut être dominant au niveau junior, mais son style ne convient pas au niveau professionnel. Dans le cas de Jake, c’est tout à son honneur d’avoir accepté et compris que même s’il avait connu du succès précédemment, il n’aurait eu aucune chance de jouer dans la LNH s’il n’avait pas fait des changements. Mon but est de former des joueurs qui seront appréciés de leurs futurs entraîneurs.
Josh Brook a connu des hauts et des bas à sa première saison complète chez les professionnels. Il a aussi été utilisé à l’attaque par moments pour lui démontrer des choses différentes pour son apprentissage. Quelle évaluation fais-tu de son travail cette saison ?
La plus grande amélioration dans le cas de Josh, c’est sa confiance. Il a été mis au défi en faisant la transition du junior alors que ses faiblesses étaient moins exposées. Il a 20 ans et physiquement il a du chemin à faire. Sa force physique est une lacune.
Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas jouer, mais il doit s'ajuster, être plus rapide dans ses duels et lire le jeu plus rapidement pour pas être vulnérable. On voit des petits défenseurs qui sont très bons des fois, parce qu’ils compensent par autre chose. L’aspect défensif est à travailler, mais c’est normal. Ce n’est pas quelque chose qui nous frustre ou nous fait abandonner, ça fait partie de sa progression. C’est un beau talent, mais ce n’est pas un exceptionnel. On a réalisé que lorsqu’on lui donnait plus de temps de jeu, sa confiance s’améliorait et il se laissait moins affecter par les erreurs. C’est un autre jeune qui va continuer à se développer.
Les jeunes ont besoin d’un bon appui de la part des vétérans. Alex Belzile en est un qui est tombé au combat au mauvais moment cette saison. À quel point il était important de confirmer son retour pour la saison prochaine ? (il a signé une prolongation de contrat le 20 mars dernier).
Alex Belzile est un grand passionné du hockey. Même blessé, il nous aidait, on lui demandait son opinion. Il sera sûrement dans une organisation un jour, il veut travailler dans le hockey. Il s’améliore constamment. Sa passion et son enthousiasme sont contagieux. On a besoin de gars comme ça, des gars qui donnent le goût aux autres de venir à l'aréna. Et en plus, il a du caractère. On est vraiment contents et je sais qu'il l'est aussi. La blessure est tombée à un bien mauvais moment dans sa carrière, mais il a réussi à convaincre le Canadien.
Charles Hudon aussi a été extraordinaire. Il a eu besoin de deux semaines pour se remettre du choc après avoir été cédé. On savait qu'il n’aurait pas le sourire en partant.
Après on a formé un beau partenariat avec lui. Je suis très fier de voir comment il s’est comporté avec les joueurs. Quand les autres étaient rappelés, il se comportait en professionnel et il était enthousiaste. Il a fait la différence pour nous, il a été extraordinaire.
Devant le filet, vous avez eu différentes situations à gérer avec l’arrivée de Cayden Primeau, le rôle de Charlie Lindgren, le dossier Keith Kinkaid et le retour de Michael McNiven. Que retiens-tu de l’expérience ?
En début de saison, on a choisi de travailler avec un système d’alternance entre Charlie et Cayden. Charlie avait besoin de jouer lui aussi. Il a fait des efforts extraordinaires pendant la saison estivale et il est arrivé dans une forme splendide. C’est un individu d'exception. Lui et Cayden allaient bien et ils ont développé une belle chimie.
Quand Kinkaid est arrivé, le but était de travailler avec lui pour voir à quel niveau on pouvait le ramener. On voulait lui donner quelques matchs pour reprendre confiance, sans nuire à Cayden. Nous avons continué la rotation établie au départ.
Des fois les gens disaient que Cayden devait jouer plus, mais il était déjà le plus occupé à l’âge de 20 ans. On est contents du temps de glace qu’on a donné à Cayden. Il a ressenti de la fatigue durant la saison. Les partisans voulaient le voir plus, mais je dois penser au développement à court, moyen et long terme. Je suis vraiment content de sa progression.
En ce qui concerne Michael McNiven, il m'impressionne beaucoup depuis deux ans. C’est rare que jeune change de mentalité, beaucoup ne changent pas et ça se termine de façon négative. Michael a fait des changements dans sa vie et je lui lève mon chapeau. Il a été très bon quand il a eu la chance de jouer.
Derrière le banc, vous avez une belle chimie en tant qu’entraîneurs. Qu’est-ce qui vous a permis de bâtir ce beau lien de confiance avec tes adjoints Alex Burrows, Daniel Jacob et Marco Marciano?
C’est plus que ça, c’est aussi Stefano Lanni (préparateur physique), Éric Lévesque (gérant d’équipement) et Glen Kinney (thérapeute sportif). C’est un travail d’équipe. Je suis souvent le porte-parole, mais c’est un travail d’équipe. Nous avons une belle chimie, il n’y a jamais de tension. La communication est extraordinaire. Alex, Dan et Marco sont des alliés remarquables et c’est pourquoi je les voulais avec mois dans ce processus. Il y avait aussi des gens déjà en place qui ont embarqué dans ce que je voulais faire. Ça fait 10 ans que je suis dans le coaching et je me suis toujours bien entendu avec les gens avec lesquels je travaille. Nous allons dans la même direction.
C’est le fun de voir les jeunes évoluer avec le Canadien et je crois que nous avons fait un pas dans la bonne direction. C’est positif!