MONTRÉAL – Quatorze jours. Nicola Riopel savait que les temps seraient durs quand il a décidé de rapatrier sa famille en Amérique du Nord pour se donner un élan ultime vers la Ligue nationale. Mais quatorze jours?

« Et ça inclut les jours de match, précise-t-il en faisant le décompte des moments qu’il a passés avec sa fille de 4 ans depuis son départ pour le camp d’entraînement du Lightning de Tampa Bay en septembre. Tu te réveilles le matin, tu lui fais à déjeuner, tu lui expliques que tu dois aller à l’aréna. Tu reviens à midi, tu fais ta sieste, tu retournes à l’aréna et quand tu rentres finalement à la maison, elle est couchée. Ça, je le compte comme un jour. C’est tough. C’est très tough. »

Sept ans après avoir disputé son dernier match dans la Ligue américaine, Riopel est de retour à la dernière intersection sur le chemin menant à la Ligue nationale. Le 30 décembre, il a été l’un des dominos dont le mouvement a été déclenché par la blessure subie par Peter Budaj chez le Lightning. Il occupe depuis le rôle de gardien auxiliaire du Crunch de Syracuse.

Pendant qu’il trimballe sa poche de Hartford à Providence, entre Binghamton et Utica, sa femme et sa fille sont à Montréal. C’est une décision qui a été prise pour le bien de la famille avant le début de la saison, mais qui commence à peser lourd sur les épaules du gardien de 28 ans.   

Pourtant, cette précieuse stabilité, cette proximité avec ceux qui lui sont chers, Riopel l’avait trouvée et pensait bien ne jamais y renoncer. En 2012, après deux saisons passées dans la Ligue de la Côte Est (ECHL), il s’est exilé en Europe pour y amorcer un voyage qui allait durer trois ans. Il a joué en Angleterre, au Danemark et en France. À Rouen, il touchait un bon salaire, jouait la majorité des matchs de son équipe et dormait à la maison à tous les soirs. Les nuits blanches passées sur les autoroutes des États-Unis n’étaient qu’un lointain souvenir.

Mais une petite pensée l’empêchait quand même de dormir d’un sommeil pleinement réparateur.

Nicola Riopel« Ça a été l’année où j’ai vu le plus d’anciens coéquipiers ou de vieux adversaires faire le saut dans la LNH, révèle-t-il. Que ce soit Kevin Poulin ou Louis Domingue... J’avais 25 ans et je me demandais si mon rêve était fini. »  

Sa conjointe l’a encouragé à revenir même s’il lui a bien fait comprendre que tout ne serait pas rose. « Vous connaissez l’expression "loin des yeux, loin du cœur"? Quand tu reviens après trois ans d’absence, tu es comme un inconnu », réalisait-il à l’époque.

La présence de l’entraîneur Éric Veilleux à Norfolk a aidé Riopel à se placer dans l’organisation du Lightning, où il s’accroche depuis deux ans et demi. Son contrat à volet unique pour la Ligue américaine lui apporte une certaine sécurité d’emploi, mais aucune autre garantie. Depuis qu’il a mis fin de son exil, il a disputé 85 matchs dans l’ECHL, mais il attend toujours qu’on lui confie le filet dans la Ligue américaine.   

Et si...  

L’ironie est difficile à ignorer. Cruelle, diront certains. Si Nicola Riopel est arrivé en renfort à Syracuse, c’est que Louis Domingue, qui était son adjoint à l’époque où les deux joueurs partageaient le filet des Wildcats de Moncton, a été rappelé par le Lightning. Le Crunch a joué huit matchs depuis. Riopel les a tous regardés du bout du banc. Il espère obtenir son baptême en fin de semaine pour l’un des deux matchs que son équipe disputera en 24 heures. Dans un monde idéal, il obtiendrait le départ mercredi prochain lors de la visite de son club à Laval.

C’est à Connor Ingram, le choix de troisième ronde du Lightning en 2016, que l’entraîneur Benoît Groulx laisse présentement toute la place. Riopel le regarde et repense à son passé. Et s’il avait grandi dans les mêmes conditions après avoir été repêché par les Flyers de Philadelphie? Et s’il était passé chez les pros dans un contexte plus favorable?

« L’organisation des Flyers m’a offert un traitement royal, mais côté encadrement, si je compare à ce que je vois ici, je ne suis pas certain que j’ai eu droit à la même chose. Je regarde comment le Lightning s’occupe des jeunes comme Ingram, Mathieu Joseph, Anthony Cirelli : ils sont pris en charge de A à Z. Moi, quand j’étais avec les Phantoms d’Adirondack, je n’avais même pas d’entraîneur des gardiens. Je me rappelle que j’avais trouvé ça difficile. »

Riopel observe également des vétérans comme Erik Condra ou Jamie McBain avec envie. « Il y a huit ans, j’en laissais passer une moins bonne et j’avais deux ou trois gars qui me faisaient des gros yeux, qui me faisaient comprendre assez clairement que j’étais mieux d’arrêter la prochaine. Ici, il y a des vétérans en or. Tout le monde est au même niveau. »

Nicola RiopelMais le natif de Beloeil est quand même capable d’une honnête introspection. Quand les Flyers l’ont repêché sur le tard, après sa saison de 19 ans, il venait de passer la Ligue de hockey junior majeur du Québec au tordeur. Une moyenne de buts alloués de 2,01 et un pourcentage d’arrêts de ,931, deux records qui tiennent toujours. Trophée Jacques-Plante remis au meilleur gardien. Trophée Michel-Brière remis au joueur par excellence du circuit.

Sa confiance était au firmament lorsqu’est venu le temps d’amorcer sa carrière professionnelle. Mais en deux essais dans le club-école des Flyers, il n’a jamais été capable de livrer la marchandise.

« À la fin de la journée, il y a une chose que j’aurais dû faire et que je n’ai pas su faire, c’est ‘performer’. Je n’ai pas été capable, à 20 ou 21 ans, d’aller dans la Ligue américaine et ‘performer’. On a fini 28e sur 29 la première année et 27e sur 30 la deuxième année. J’étais là. Ça n’a sûrement pas aidé. »

Riopel a joué 21 matchs pendant ses deux premiers séjours dans la Ligue américaine. Il en a gagné sept avant d’être laissé à lui-même dans le monde du hockey professionnel.

« Je lève mon chapeau à ceux qui réussissent dès l’âge de 20 ans parce que ce n’est pas facile de goaler dans la Ligue américaine. Personnellement, j’ai eu de la difficulté à m’ajuster à la rapidité. Après mon premier essai, j’avais repris où j’avais laissé à mon retour dans le junior. L’année suivante, j’étais un an plus vieux, je savais à quoi m’attendre, mais je n’étais pas capable de faire le saut. J’étais bon pour quelques matchs, mais je n’ai pas été capable de trouver ma game dans le peu de temps que j’ai été là. »

Sa game, Nicola Riopel est aujourd’hui convaincu de l’avoir trouvée. Il n’attend qu’une occasion de le prouver.

« Dans les pratiques, dans le gym, dans les périodes d’échauffement, je sais que je suis vraiment plus à l’aise que je l’étais il y a huit ans. Même si mes chiffres sont moyens dans la East Coast, je joue du très gros hockey et je sais comment connaître du succès. Le reste, c’est de la constance. C’est sûr que plus tu joues de matchs, plus c’est facile d’en avoir, mais je vais faire mon possible pour être prêt quand on va me faire signe. »