Marc Blondin nous raconte sa carrière d'animateur dans le monde de la lutte au Québec
Lutte mercredi, 25 juil. 2018. 13:54 jeudi, 12 déc. 2024. 02:37J’ai discuté avec Marc Blondin une première fois à quelques semaines du retour de la diffusion de la lutte sur les ondes de RDS2 à l’automne 2017. C’était un nouveau projet après plusieurs années d'absence sur les ondes, mais c’était impensable de l’amorcer sans au moins lancer l’invitation à l’homme qui, durant près de 30 ans, a prêté sa voix au divertissement sportif dans la Belle Province.
Avant même de le rencontrer, sa voix accompagnait plusieurs de mes souvenirs. Sa célèbre accroche, « Bonsoir mesdames, messieurs », avec ses accents toniques exagérés, comme une fenêtre ouverte sur mes premiers souvenirs de la WWF et de la WCW du début des années 90.
Son timbre de voix, doublé d’une énergie contagieuse, a laissé une marque indélébile dans l’imaginaire collectif. La preuve, même une banale condition des pentes de ski de la province s’est invitée dans nos souvenirs puisqu’il ponctuait tous ses bulletins d’une même salutation : « Bon ski mesdames, messieurs ».
Plusieurs mois après cette première discussion, quand il a accepté l’invitation pour venir nous raconter sa carrière dans nos studios avant l’enregistrement d’une émission, j’anticipais un peu la rencontre puisque, d’une certaine façon, j’occupais un poste qui lui a longtemps appartenu et qu’il convoitait encore même sans l’exprimer explicitement.
«C’est sûr que ça fait spécial», qu’il me confiait quand je lui posais directement la question à savoir si c’était étrange pour lui d’être l’invité d’un plateau qu’il a si longtemps dirigé. «Juste arriver dans le stationnement en bas, aller au maquillage, tu revois des visages que t’as pas vus depuis plusieurs années et ça fait spécial. »
C’était effectivement spécial à regarder, mais c’était aussi inspirant et intrigant, comme l’homme derrière les mille et une blagues.
Magnétisme et main heureuse
En l’observant discuter avec d'anciens collègues avant notre entretien, on comprend vite que Marc Blondin est un homme qui aime les gens. Il carbure à l’appréciation des autres et n’hésite pas à fournir un effort supplémentaire afin d’obtenir un sourire de la part de son interlocuteur. C’est particulièrement flagrant quand il bascule de sa voix normale, celle qu’il utilise pour te parler de la circulation ou de ses vacances, par exemple, et sa voix de M. Fun, son alter ego qui projette un écho clair et dynamique avec sa ponctuation spécifique et son français tronqué par un humour cabotin et attachant.
C’est sans surprise qu’on découvre que Blondin était, à la base, un homme de radio et de divertissement.
« La lutte a toujours été une carrière secondaire » m’explique-t-il quand je lui parle de ses débuts. « J’ai toujours eu mon entreprise, le monde de M. Fun, pour subvenir aux besoins de ma famille. »
Dans cette optique, le sport-spectacle s’est invité dans sa vie comme un cheveu sur la soupe, voire presque un indésirable au début d’une carrière prometteuse dans le monde des communications. À l’époque, l’étiquette de la lutte professionnelle n’était pas forcément un facilitant pour s’ouvrir des portes dans le milieu.
« C’est un accident qui a duré au-delà de 27 ans. J’étais avec CKOI à l’époque (en 1986) et on s’occupait de la promotion de la WWF à Montréal. »
La suite de l’histoire est un heureux concours de circonstances qui, de nos jours, semble aussi farfelu qu’improbable. De son propre aveu, Marc Blondin sait qu’il était au bon endroit au bon moment et qu’il avait un front de bœuf quand venait le temps de négocier ses contrats. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé, sans expérience dans le domaine, à faire les entrevues en français de la WWF pour le Québec en plus de distribuer les produits dérivés de l’organisation après une visite impromptue chez Vince McMahon lui-même au sommet de la Hulkamania et des centaines de milliers de chandails jaunes et rouges portés par les partisans.
« Honnêtement, je n’avais pas d’ambitions avec ça », me dit-il avec un petit sourire en coin. « Tout allait tellement vite. »
Vite est un mot faible pour décrire l’ascension de Blondin dans le monde de la lutte au Québec.
« Le regretté Robert Rivest avait de la misère avec son anglais, [...] après une chicane entre Édouard Carpentier et Guy Hauray je me suis retrouvé à faire les entrevues en français avec la WWF. »
Les segments en français à la WWF se sont transformés, quelques années plus tard, en une opportunité d’animer la lutte de la WCW sur les ondes de RDS aux côtés de Richard Charland, dit le Magnifique. C’était le début d’une longue tradition puisque la lutte restera en ondes, sous une forme ou une autre, jusqu’à l’expérience avortée de la TNA en 2015.
Mais avant d’en arriver là, Blondin a fait son petit bonhomme de chemin aux côtés de Richard Charland jusqu’à ce que la WCW elle-même change de direction.
« C’est Jacques Rougeau qui m’a donné le contact pour la nouvelle WCW », souligne-t-il.
Il faut savoir qu’au début des années 1990, la WCW vivait fermement dans l’ombre de la WWF de Vince McMahon et c’est seulement au milieu de la décennie que la compagnie d’Atlanta a commencé ses offensives concrètes sur l’empire du Connecticut. D’abord avec la venue de Hulk Hogan en 1994, puis avec de nombreux changements organisationnels qui mèneront, dès 1996, à la tristement célèbre Monday Night War entre les deux émissions concurrentes de la WCW et de la WWF, Nitro et Raw, toutes deux les lundis soirs.
Devant ces changements, Marc Blondin sentait qu’il devait adapter son approche et, surtout, continuer d’être au bon endroit au bon moment.
« Au début, c’était pour l’Europe, la France et la Belgique. C’est pour ça que je ne pouvais pas animer avec Richard Charland. Michel Letourneur travaillait déjà pour ma compagnie et il était d’origine française. »
Le jeune trentenaire intimidé à l’écran par le tonitruant Charland allait ainsi devenir le sympathique bourreau d’un Michel Letourneur jusqu’ici inconnu du public québécois. Mais la paire fera la pluie et le beau temps sur les ondes durant plus d’une décennie.
De la WCW à la TNA
Au beau fixe jusqu’à l’achat de la WCW par la WWF en 2001, la carrière télévisuelle de Marc Blondin est ensuite doublée d'un partenariat avec les Alouettes de Montréal, à l’animation sur le terrain, ainsi que par d’autres projets à l’extérieur des ondes avec sa compagnie, Le monde de M. Fun.
La fin du concurrent de la WWF aurait pu sonner le glas du volet lutte de la carrière de Marc Blondin. Mais d’autres hasards l’attendaient au détour et, opportuniste, Blondin n’avait pas l’intention de regarder la parade passer sans lui offrir ses refrains cabotins.
Il faudra attendre à 2004 avant de voir une opportunité se présenter pour un retour en ondes, cette fois grâce à l’émergente TNA.
« Bob Wright avait les droits de la TNA au Canada » m’explique Blondin, sans trop pourtant insister sur les dates et les lieux de leurs discussions. Ses souvenirs sont peut-être approximatifs, mais on comprend vite que la naissance de la TNA à RDS était une affaire d’un petit groupe d’individus, tous proches du réseau de Blondin. « On a vite fait le pont avec (Michel) Letourneur et Pierre-Carl Ouellet. Ensuite c’était Sylvain Grenier et Jean-François Kelly, ben lui il a toujours été là. »
C’est ainsi qu’une autre génération de jeunes partisans allait découvrir les frasques de Marc Blondin et son style unique à la barre d’une émission de lutte. Des phrases « en bilingue » s’inscriront vite dans le canon de l’animation de Blondin et tout le monde sait qu’à la TNA, la foule était souvent en délire ou, comme il l’expliquait en anglais, « the foule is in delire (sic) ».
C’est une animation plus burlesque qui marquera ce volet de la carrière de Blondin et, pour plusieurs, c’est l’héritage qu’il laisse puisque la TNA, graduellement, a fait le pont vers la scène locale pour Blondin quand l’idée d’une fédération à lui s’est mise à germer dans ce qui était pourtant, de son propre aveu, un parcours sans ambition dans le monde de la lutte.
« C’est (Jean-François) Kelly qui a amené l’idée avec PCO (Pierre-Carl Ouellet). On s’est dit qu’on allait en faire un à Blainville, on se paye la traite avec le concept ‘’Team PCO’’ contre ‘’Team Blondin’’. On l’a fait en 2007 et ça a bien été alors on a continué. »
Cette idée, c’était la TOW – la Top of the World Wrestling.
De 2007 à 2015, la TOW s’est doucement invitée dans le portrait de la lutte québécoise. Ce qui a commencé comme l’expérience d’un soir a répété l’expérience quelques fois par an jusqu’à son explosion en 2013 et 2014 et la tentative d’amener la production sur les ondes de RDS.
« Dès que tu lances une fédération, ça vient avec, l’ambition c’est de la voir à la télé. » Quand Blondin me fait cette confession, on sent la confiance l’habiter tout doucement, comme si son coffre, soudainement, n’était plus nostalgique, mais plutôt bombé d’une fierté mal dissimulée.
Ceci dit, le projet de la TOW à la télévision était peut-être trop ambitieux pour les réalités de notre marché et Blondin s’est buté à ce qui sera, d’une certaine façon, son seul échec dans le monde de la lutte.
« En une soirée, on a filmé quatre émissions et tout le monde nous chargeait le minimum », précise-t-il en me parlant des enregistrements à LaSalle d’une série d’épisodes pilotes au Studio Cinepool . «Mais, même là, on n’a pas généré de profits. Donc c’était impossible comme projet si on voulait le faire de la bonne façon. »
Éviter le piège de l’amertume
Après l’échec de la TOW à la télévision et la fin de son association avec RDS quand le contrat avec la TNA n’a pas été renouvelé en 2015, Blondin aurait facilement pu verser dans l’amertume et la rancœur face à des projets moins fructueux.
Mais le temps arrange bien les choses et, aujourd’hui, il en parle avec ce même sourire taquin malgré la soixantaine qui pointe aux coins de ses yeux et de son rictus.
« C’est sûr que tu ne comprends pas pourquoi ça ne fonctionne pas. Les billets ne se vendaient pas comme on pensait, je ne tripais pas. C’est sûr que c’est une déception […] mais je suis content et fier de l’avoir fait. Je n’en garde pas d’amertume. »
C’est tout à son honneur de regarder une aventure comme la TOW et d’en tirer un sentiment d’accomplissement. Après tout, les promoteurs d’ici en témoigneront, faire vivre une fédération avec des ventes de billets à la baisse, c’est un défi de taille et un chemin de croix qui en rebute plusieurs.
Trouver le dosage entre le bon prix pour les billets et donner un spectacle de calibre international aux partisans, c’est une formule que perfectionnait la TOW et qui est reprise aujourd’hui par plusieurs fédérations au Québec lorsqu’elles invitent des lutteurs des États-Unis, par exemple, pour se frotter aux meilleurs de la province devant des centaines d’irréductibles du sport-spectacle.
Pour ce qui est de la suite des choses, ne soyez pas surpris si le nom de Marc Blondin s’efface un peu de la place publique. Il planifie, au moment d’écrire ces lignes, un mariage avec la mère de son premier fils, Cédrik, avec qui il a renoué sur le tard afin de vivre une deuxième idylle sous le signe de la réconciliation. Sa compagnie, Le monde de M. Fun, fêtera ses 35 ans et, à l’âge où la plupart des Québécois envisagent la retraite, c'est peu probable que Blondin ajoute un nouveau cycle à son association avec la lutte professionnelle - même si la scène locale est particulièrement en santé depuis quelques années.
Mais quand une porte se ferme, une fenêtre peut s’entrouvrir.
« Je me vois encore être capable d’animer n’importe quoi », ponctue-t-il à la fin de notre entretien. « Même si ce n’est pas de la lutte. Je prends ça tranquillement, ça va bien, je vais me marier. »
Si le hasard a bordé Marc Blondin jusqu’au monde iconoclaste de la lutte professionnelle au milieu des années 80, parions que la providence a encore quelques cartes dans son jeu pour le polyvalent animateur qui est toujours prêt à décocher sa phrase célèbre avec l’énergie qui lui est propre, comme il l’a fait dans nos studios quand je lui ai humblement cédé le mot de la fin pour les internautes du RDS.ca.
« Bonne lutte mesdames, messieurs »