En Amérique du Nord, ce qui nous caractérise, c'est notre impatience. Il faut aller vite, être bon tout de suite, réussir rapidement, faire plus d'argent, plus tôt dans la vie tout ne doit être que succès, on est incapable d'attendre. On n'est pas patient, vraiment pas patient. Et c'est ainsi dans toutes les sphères de la société, y compris dans le sport.

Si un jeune n'a pas de résultats tout de suite en sport amateur, les gens perdent patience avec lui et on ne le garde pas. Ça coûte cher aux parents, ça coûte cher au système, toute la machine coûte cher et on ne veut pas attendre, on ne laisse pas le temps. En agissant ainsi, on perd énormément de talent. Dans le développement d'un jeune athlète, on ne tient pas compte de sa maturité, de son expérience, de sa sagesse, de la sagesse des entraîneurs qui l'entourent, on focusse juste sur ses performances. C'est pas tous les skieurs qui sont comme Mélanie Turgeon, qui sont à 16 ans sur l'équipe nationale.

Moi, Peter Duncan, je suis entré à 15 ans dans l'équipe nationale. Honnêtement, j'étais là 5 ans trop tôt. Premièrement, j'étais un garçon immature, pas déniaisé, je n'avais pas la sagesse et l'expérience qu'il fallait. Mais on ne m'a pas donné le choix, on n'avait ni les moyens ni la patience d'attendre que j'aie plus de maturité, de sagesse.

Ici, avec Anne-Marie Lefrançois, on peut associer le mot patience. Si un gars comme Daniel Lavallée n'avait pas agi, n'avait pas tenu son bout, Anne-Marie aurait été écartée du système depuis longtemps, parce qu'elle s'est blessé, parce que ce n'est pas une fille flamboyante, parce qu'elle ne performait pas rapidement, tous ces points-là font qu'elle a passé inaperçue dans une période de sa carrière qui est importante. Et maintenant, Anne-Marie est une athlète qui est mature, qui a de l'expérience et qui est prête à skier parmi les grandes et à performer.

Moi je pense qu'au Québec, en ski alpin, il faut imposer aux autorités concernées une attitude de patience et l'imposer surtout au ski canadien. Nous devons être patients avec nos jeunes athlètes. Ça va nous coûter plus cher, ça va prendre plus de sous, plus de temps, c'est évident. Mais l'athlète qui a beaucoup de talent, ne va pas nécessairement éclater tout de suite, ne va pas avoir rapidement des résultats. Nous, c'est notre travail de voir où l'on peut placer ces athlètes dans notre système, en attendant qu'ils performent, qu'ils éclatent. Il faut prendre le temps qu'il faut pour les amener à performer. Leur donner le temps de réussir, ne pas étouffer leur talent avant même qu'il se montre.

Si un jeune athlète a réellement le feu sacré, il va s'accrocher. Et on ne doit pas s'inquiéter de trouver le talent, au Québec, au Canada, il y en a suffisamment, on doit plutôt s'inquiéter de trouver le temps et l'argent pour faire éclater ce talent. Parce que le talent va toujours faire surface, pas seulement dans le sport, mais dans tous les domaines, que ce soit la musique, les arts visuels ou les sciences par exemple, le talent finit toujours par percer, s'il en a le temps. C'est le système, parce qu'il demande des résultats et des performances trop rapidement, qui étouffe ce talent.

Pourquoi devrait-on éliminer les jeunes à 16, 17, 18 ans, quand on devrait plutôt avoir la sagesse de les garder? Prenons par exemple Sara-Maude Boucher il y a deux ou trois ans, si elle n'avait pas eu les contacts et l'appui qu'il faut pour rester dans le système, elle aurait été éliminée et ne se serait jamais rendue à l'équipe nationale.

Chez les garçons, on élimine les athlètes à 16, 17, 18 ans, c'est beaucoup trop vite. Si nous n'avons pas l'œil assez aiguisé et que nous ne faisons pas assez confiance en notre jugement, on perd des athlètes de talent. Le jeune athlète qui n'est pas fait pour le ski alpin, qui n'a pas le talent, s'en rendra compte de lui-même et partira.

Si l'Autriche n'avait pas eu de patience, on n'aurait jamais connu Hermann Maier. Il a refait l'équipe autrichienne à 25 ans, et a gagné sa première course à 25 ans. L'Autriche lui a permis de faire des courses en attendant, d'enseigner le ski, on lui a permis de rester dans le système, on ne l'a pas exclu. Ce type de système-là permet aux athlètes de rester actifs dans le système, de ne pas le haïr. Ils peuvent travailler dans le système et les courses leur restent toujours ouvertes. Quand ils se sentent prêts, quand la maturité est là, ils reprennent le circuit et ils performent parce qu'on leur en a donné le temps.

Au Canada, on a réouvert les portes à un skieur appelé Christian Shedel, un petit gars de Sainte-Marguerite. Il était dans l'équipe du Québec il y a 7 ans, il a fait l'équipe canadienne de la relève, mais il ne performait pas, alors, on ne l'a pas gardé. Il avait alors 18 ans. Christian a 25 ans maintenant. Il est venu me voir et m'a confié que pour lui, sa carrière de skieur n'était pas terminée. On l'a repris dans l'équipe du Québec, ça a fait du remue-ménage et soulever bien des protestations, mais il est là, et il performe très bien. Ça force nos skieurs plus jeunes à se dépasser, et Christian performe mieux que jamais parce qu'il veut pas se faire battre par les plus jeunes. Ça change une dynamique d'équipe, pour le mieux. Cette année, on va avoir toute une équipe du Québec chez les garçons. Ce fut une excellente décision de prendre Christian dans l'équipe, il performe bien, il n'a jamais manqué un temps d'essai. S'il fait l'équipe nationale à 27 ans, so what? Il a du talent, on va l'attendre. Il faut l'attendre.

Même le Canadien de Montréal fait preuve d'impatience aujourd'hui, on prend un nouveau joueur, s'il ne compte pas 5 buts en 3 parties, on le renvoie chez les mineurs. Je me souviens que Yvan Cournoyer, dans les premières années qu'il était dans le Canadien, jouait sur le banc la plupart du temps. Quand le coach l'envoyait sur la glace, il défonçait les bandes pour compter et patinait comme pas un. On se disait que s'ils ouvraient les portes au bout du forum, on perdrait Cournoyer tellement y patinait. On ne l'appelait pas le « Road Runner » pour rien. À l'entraînement, Jean Béliveau le voyait bien Cournoyer, il voyait à quel point il était bon, ça lui mettait de la pression et Béliveau se dépassait pour ne pas se faire rattraper par Cournoyer. Cette façon de faire stimulait toute l'équipe.

Mon message aux entraîneurs, aux responsables de nos équipes de ski alpin, prenez le temps, soyez patients. Installez une base large, 10 gars, 10 filles, qu'on les laisse grandir, acquérir de la maturité, de la sagesse de l'expérience. On a beaucoup plus de chances de performer que si on prend 10 athlètes plutôt que 5 comme c'est le cas maintenant.

En terminant, le grand mot, c'est la patience. Pensez à long terme, on doit encourager nos responsables, nos entraîneurs, et même nos jeunes athlètes à être patients. Après tout, tout vient à point à qui sait attendre...