Le soccer a fait vibrer la population de toutes les régions du Canada en 2021. Pas seulement les communautés italiennes des grandes villes du pays qui ont festoyé après le triomphe des leurs lors du Championnat d'Europe en juillet, mais également les Canadiens d'un océan à l'autre. Et probablement comme jamais auparavant.

De janvier à décembre, un peu partout dans le monde, des Canadiennes et Canadiens qui ont grandi dans les terres du hockey ont attiré l'attention de leurs compatriotes vers ce sport le plus pratiqué au monde. Un sport qui attire tant de jeunes filles et garçons, et ce depuis de nombreuses années, mais qui peinait encore à obtenir toute l'attention désirée de la part des grands médias du pays.

Ce phénomène est probablement révolu grâce à des performances exceptionnelles de la part d'athlètes féminines comme Christine Sinclair, Stephanie Labbé, Jessie Fleming, Évelyne Viens et Julia Grosso, auteure du filet décisif en tirs de pénalité lors de la grande finale pour la médaille d'or des Jeux olympiques de Tokyo face à la Suède, le 6 août.

Et que dire de la contribution de joueurs comme Alphonso Davies, Jonathan David, Samuel Piette, Kamal Miller, Tajon Buchanan et de Cyle Larin, qui a inscrit les deux buts des siens lors d'une mémorable victoire de 2-1 du Canada contre le Mexique en matchs de qualification en vue de la Coupe du monde, le 16 novembre.

Chemin faisant vers ces exploits, les deux équipes canadiennes ont frôlé la perfection en 2021.

À Tokyo, la formation féminine a joué six matchs et n'en a perdu aucun (4-0-2), allant même battre ses grandes rivales des États-Unis 1-0 en demi-finale.

Et grâce à sa victoire contre le Mexique, l'équipe masculine s'est hissée au sommet du classement du tournoi de qualification de la Concacaf (4-0-4). Des huit clubs en lice, le Canada est le seul à ne pas avoir subi une défaite.

Moments magiques

Pour ceux qui pourraient douter de l'engouement au pays envers l'élite du soccer au Canada, trois moments pourront le leur confirmer.

Pour être témoin du match pour la médaille d'or de soccer féminin aux Jeux de Tokyo, il fallait être matinal car le match a été joué à 21h au Japon, soit 7h au Québec.

Malgré cela, selon des chiffres publiés dans les jours suivant ce duel, 776 000 téléspectateurs au Canada français et quelque 4,4 millions au Canada anglais ont été rivés à leur petit écran dans l'espoir que les Canadiennes "changent la couleur de la médaille", comme le dictait le slogan choisi par Bev Priestman et ses joueuses, une allusion aux troisièmes places aux Jeux de 2012 et de 2016.

« J'ai vécu ça un match à la fois, sur le bout du fauteuil parce que je ne tenais pas beaucoup en place! », lance Francis Millien, un pionnier du soccer au Québec, arrivé de France en 1970.

Celui-ci partage l'opinion de Luce Mongrain, une Trifluvienne qui a vécu les débuts de l'équipe nationale féminine en Coupe du monde en 1995, qui est d'avis que l'élaboration aussi claire de l'objectif des Canadiennes avant les Jeux de Tokyo nécessitait du courage et une dose de confiance sans tomber dans une forme d'arrogance.

« Les filles savent maintenant qu'elles ont des outils leur permettant d'atteindre des objectifs qu'on pensait impossibles avant. Et les premiers résultats plus que positifs qui arrivent ne font que leur donner plus de confiance» , estime-t-il. 

« Elles voient aussi que la concurrence est plus dure parce que tu as beau être bonne, tu en as d'autres bonnes autour de toi. Dans le temps, tu en avais deux ou trois qui étaient bonnes; maintenant, tu en as 15 ou 20. Ça t'oblige à garder cette humilité. Et tant mieux si elles sont dans cette façon de penser, parce que c'est celle qui va leur permettre de progresser le plus loin et le plus vite possible. » 

Engouement

Moins de trois mois plus tard, par une fraîche soirée d'octobre, plus de 11 000 personnes, nullement découragées par la pluie tombée toute la journée à Montréal, se sont rendues au stade Saputo pour assister à un match amical entre l'équipe féminine du Canada et celle de la Nouvelle-Zélande.

Il fallait par ailleurs être courageux pour assister en personne

à la confrontation entre le Canada et le Mexique. Doit-on rappeler le contexte? Un match joué un soir de semaine de la mi-novembre, à Edmonton, par une température de moins-9 Celsius (-14 Celsius en tenant compte du facteur éolien) quelques heures après le passage d'une importante tempête de neige.

Qu'à cela ne tienne; on comptait plus de 40 000 spectateurs dans les gradins du Commonwealth Stadium, selon ce que Soccer Canada a annoncé. Quatre jours plus tôt, on avait dénombré plus de 48 000 partisans dans la même enceinte pour un duel contre le Costa Rica.

Samir Ghrib, un Tunisien d'origine et l'un des bâtisseurs du soccer dans la grande région de Québec depuis des décennies, avoue n'avoir jamais autant suivi l'équipe nationale masculine que lors des deux ou trois dernières années.

Cette hausse d'intérêt coïncide avec l'arrivée de John Herdman à la barre de l'équipe, en 2018.

« Avant, mon intérêt pour l'équipe nationale décrochait aussi vite que l'équipe perdait. Il n'y avait pas de suite. C'était l'époque où les entraîneurs faisaient un an, deux ans. Le mérite de John Herdman, c'est que c'est un gars qui s'installe dans la durée. Regardez le travail qu'il a fait avec les filles. Je pense qu'il les a dirigées pendant huit ou neuf ans. Quand j'ai appris sa nomination (avec l'équipe masculine), j'ai dit 'lui, là, il va travailler parce qu'il a envie de le faire'. Il est passionné. C'est ça, la grosse différence. »

Selon lui, Herdman et ses joueurs sont parvenus à rassembler les Canadiens de toutes les origines grâce à un style de jeu attrayant.

« On aime ce qu'on voit. Il procure du bonheur, des émotions. Regardez l'équipe canadienne jouer. Ce n'est plus du jeu long comme en 1986, qui avait un style `british'. Là, on a une équipe qui construit et qui a un style de jeu qui plaît aux gens. Le foot, c'est un spectacle. Pour moi, un match, c'est d'abord un spectacle qui donne du bonheur aux gens. »

De son côté, Francis Millien est d'avis que l'équipe canadienne peut maintenant compter sur des individus capables de faire tourner le vent en sa faveur.

« Pour moi, il y a toujours eu de bonnes équipes sur le terrain, mais on n'avait pas de joueurs vedettes qui font la différence dans un match. Et quand tu fais un match 0-0 ou 1-0 ou 2-2, la petite différence qui fait que tu vas gagner 3-2 ou tu vas perdre 3-2 se joue souvent sur un seul homme. On n'avait pas nécessairement, dans les dernières années, des joueurs capables de faire la différence. Là, on en a maintenant deux, puis trois, puis même peut être quatre. »

Bonne entrée en scène de Nancy

Les succès des deux équipes nationales ont relégué au second plan la campagne au-delà des attentes du CF Montréal en MLS.

Dirigé avec brio par l'entraîneur-chef recrue Wilfried Nancy, dans des conditions encore difficiles en début de saison, le club a raté les éliminatoires lors du tout dernier match du calendrier alors que les observateurs les voyaient croupir dans les bas-fonds du classement.

« Ce que j'ai toujours aimé de (Nancy), c'est qu'il n'a jamais changé. Pour moi, c'est un leader authentique dans ses rapports humains et je suis certain que c'est ça qui a fait la différence pour lui donner sa chance », décrit Ghrib, l'entraîneur-chef du Rouge et Or de l'Université Laval, qui a connu Nancy lorsque celui-ci a joué au niveau universitaire. 

« J'ai beaucoup de respect quand des dirigeants font confiance aux gens qui sont dans le club, qui avaient le logo de l'équipe tatoué. (Nancy) a fait l'unanimité autour de lui parce que c'est quelqu'un de vrai. »

Malgré toutes les vagues de mécontentement qui ont déferlé sur l'organisation à cause d'un changement d'identité annoncé en janvier et qui, en novembre, continuait de susciter la grogne parmi les partisans les plus passionnés de l'équipe, le CF Montréal devrait rallier bon nombre d'entre eux à compter de février, lors du tournoi de la Ligue des champions de la Concacaf, grâce à sa conquête du Championnat canadien.

« La qualification pour le prochain championnat de la Concacaf face à Toronto prouve qu'on a encore une équipe plus que valable sur le terrain, affirme Millien.

« L'équipe ne fait pas honte, et plusieurs matchs ont été perdus avec un but d'écart ou avec une erreur de dernière minute. C'est le sport, c'est la beauté du soccer ou n'importe qui peut battre n'importe qui. Ça dépend de tellement de choses autour d'eux. Tu ne peux pas être assuré en rentrant sur le terrain que tu vas gagner ton match. »