MONTRÉAL – Le contexte se prêtait parfaitement à l’envoi d’un message fort. 

Le monde du sport était encore majoritairement à l’arrêt vendredi soir, deux jours après que les Bucks de Milwaukee aient initié un mouvement de grève endossé par cinq autres équipes de la NBA afin de contester contre la plus récente démonstration de brutalité policière envers les Noirs aux États-Unis. 

Il n’y avait pas de basket à l’horaire avant samedi après-midi. La Ligue nationale de hockey avait elle aussi reporté ses prochains matchs au week-end. Seul le Baseball majeur avait repris ses activités régulières. 

En MLS, un seul match était à l’horaire. Les deux rivaux canadiens avaient le monopole du parquet. Pour les amateurs de soccer, le derby qui se préparait au nord de la frontière était la seule option au programme. Considérant que la Ligue, mise sous pression par ses joueurs, avait été forcée d’annuler cinq des six matchs à son  calendrier deux jours plus tôt, il était clair que tous les yeux seraient rivés vers Montréal.   

Toutes les conditions semblaient réunies pour que les joueurs de l’Impact de Montréal et du Toronto FC joignent leurs voix au puissant message de solidarité qui avait été précédemment véhiculé par leurs pairs. Il en revenait à ces deux équipes, ennemies sur le terrain, de mettre de côté leurs différends afin de prolonger la durée de vie d’une discussion dont la pertinence dépasse largement tout enjeu sportif. 

On a plutôt décidé de jouer. 

En fait, précisons : Toronto a décidé de jouer. 

« On s’était mis d’accord avec l’équipe pour ne pas jouer, a expliqué le défenseur Rudy Camacho après la rencontre, que l’Impact a perdue au compte de 1-0. Entre-temps, on a eu un appel téléphonique avec les joueurs, les soi-disant militants pour la cause, et eux nous ont signalé qu’ils voulaient jouer. On trouvait ça un peu bizarre. On s’est posé des questions. Au final, on a un peu hésité. On a dit au club qu’on allait finalement jouer le match, mais le lendemain, on a réfléchi et on n’était pas du tout d’accord. Voilà, c’est un peu oui et non. » 

« Au final, on ne voulait vraiment pas jouer ce match, mais on a senti que personne ne nous soutenait. On a été un peu déçu de certains joueurs adverses », a accusé le Belge. 

« Aucun de nous ne voulait jouer, a confirmé Luis Binks. Plusieurs joueurs dans le vestiaire, pour ne pas dire tout le monde, sentaient que la chose à faire était d’afficher notre support à ce qui se passe aux États-Unis. On croyait que l’image aurait été puissante venant de deux clubs canadiens. Pour une raison que j’ignore, ça ne s’est pas produit. [...] Ils voulaient une chose, on voulait autre chose. On n’a pas été capable de s’entendre. »

Une absence révélatrice? 

Il est fort probable que la conclusion qui soit ressortie du vestiaire torontois ait créé une dissension au sein même du club. D’ailleurs, lorsque les formations des deux équipes ont été annoncées, une heure avant la rencontre, le nom de l’attaquant Jozy Altidore, une voix forte dans la défense de la cause des Noirs, n’y figurait pas. Des « raisons personnelles », a-t-on évoqué chez les Reds, l’ont empêché de faire le voyage à Montréal.

« J’ai eu une discussion avec les gars, a commenté l’entraîneur du TFC, Greg Vanney, après la victoire des siens. L’important pour moi, c’était d’appuyer la décision de nos joueurs noirs et de ceux qui sont en contact avec la Coalition des Joueurs Noirs, dont Justin Morrow est un leader et au sein de laquelle Jozy occupe une grande place. Ces gars-là ont une place importante dans ces discussions, alors tard hier soir, on attendant de savoir quelle serait leur position. Ils se sont finalement entendus pour jouer et utiliser leur plateforme afin de crier leur message à partir de la plus haute des montagnes. C’est le choix qui a été fait et les gars comme moi, on suit. »

Michael Bradley, le capitaine du TFC, est le seul joueur des deux équipes à ne pas avoir mis un genou au sol lors de la présentation de l’hymne national. Vanney est lui aussi resté debout sur le banc de touche.  

« Je prêterai toujours ma voix à la dénonciation des inégalités raciales, s’est défendu Bradley après la rencontre. Je vais continuer d’utiliser ma tribune pour parler des choses que je juge importantes. Quand vous regardez notre société, ça brise le cœur de voir le racisme systémique qui persiste depuis des centaines d’années. Les injustices sociales, la brutalité policière, il faut que ça cesse. » 

« Je supporte de tout mon cœur Black Lives Matter. Pendant l’hymne national, j’ai eu une pensée pour Ahmaud Arbery, Breonna Taylor, George Floyd, Jacob Blake. J’ai pensé à eux, à leur famille. Je veux que justice soit rendue. » 

Les paroles de Bradley étaient bourrées de bon sens. Mais au même moment où il servait son plaidoyer, le contexte dans lequel il avait décidé de s’exprimer suscitait l’incompréhension. 

« On attendait que Toronto aient la même réflexion que nous et décide de ne pas jouer le match, répétait Rudy Camacho. On ne parlait pas de boycotter ou quoi que ce soit, c’était juste pour la cause. Parce que comme je vous l’ai déjà dit, on a beaucoup de couleurs dans l’équipe, alors on voulait faire ce geste. Après, [les joueurs de Toronto] doivent sûrement avoir leurs raisons. Mais on n’était pas d’accord sur ce point-là. »

Impact 0 - Toronto FC 1