BUENOS AIRES - C'est la déprime en Argentine. Dans ce pays totalement fan de foot, le sport national lui aussi est gravement touché par la crise: le début de la saison du ballon rond est reporté jusqu'à nouvel ordre, pour raisons financières, les clubs étant massivement surendettés, et l'affaire vire à la crise politique, avec les droits télévisuels en ligne de mire.

D'habitude, les "hinchas", les supporters de football, savourent ces quelques jours précédant le lancement de la saison, qui aurait dû s'ouvrir le 14 août, et fourbissent leurs armes... Mais là, personne ne sait combien de temps il faudra attendre, quelques jours, une semaine, un mois?

"S'il n'y a pas de football, je vais mourir": Ruben Tuci, 58 ans, médecin et "hincha" de Boca Juniors, le club mythique de la capitale, est catégorique.

"Ca m'inquiète, parce que ne pas avoir le football qui commence dans ce pays c'est quelque chose de dramatique", déclarait la semaine dernière le légendaire Diego Maradona, sélectionneur des "albi-celeste", l'équipe nationale. Car le football, c'est un peu la seule chose qui aide les Argentins à supporter la crise et la paupérisation...

L'Argentine vend certes régulièrement ses talents aux richissimes clubs européens, mais la plupart des méga-stars du pays jouent déjà dans les grands clubs du Vieux Continent, comme Lionel Messi à Barcelone, Carlos Tevez à Manchester, Javier Mascherano à Liverpool et Sergio Aguero à l'Atletico Madrid. Mais la crise frappe fort ce juteux commerce: en 2008, la vente de joueurs avait rapporté 150 millions de dollars aux clubs argentins. Le chiffre pour 2009 ne serait plus que de 34 millions.

Aujourd'hui, la dette cumulée des 20 clubs de la première division est estimée à un impressionnant total de 700 millions de pesos (182 millions de dollars): le football argentin semble en phase terminale. Du coup, l'AFA, l'Association argentine de football, a suspendu le lancement de la saison pour toutes les divisions et cherche désespérément depuis une semaine une solution à la crise.

Tous montrent du doigt les directeurs de clubs, coupables de dépenses somptuaires et de mauvaise gestion, ainsi que les dirigeants de l'AFA, pour incapacité à leur demander des comptes.

Bien que surendettés, les clubs continuent à dépenser à tour de bras: Boca Juniors, Independiente, San Lorenzo et le Racing Club, qui avec River Plate constituent les cinq grands du football argentin, ont annoncé plusieurs achats de joueurs ou leur intention de le faire.

"C'est invraisemblable. C'est de la science-fiction. Ils ont un cadavre en décomposition dans leur salon et ils continuent à faire leur shopping. Beaucoup de club frisent l'irresponsabilité", s'insurge Sergio Marchi, secrétaire général du syndicat des joueurs, qui bataille actuellement pour que les clubs versent les arriérés de salaires aux joueurs.

La seule solution, bien sûr, "c'est l'argent", note le tout-puissant et indéboulonnable président de l'AFA, Julio Grondona, 77 ans. Les détenteurs des droits de diffusion télévisuelle ont refusé de mettre la main au portefeuille et de payer plus. Le gouvernement a pour sa part refusé d'autoriser les paris en ligne sur Internet pour renflouer les caisses.

Aujourd'hui, Grondona fait campagne auprès des clubs pour obtenir leur feu vert afin de dénoncer le contrat de diffusion avec TSC (Television satellite codificada) et TyC (Torneos y Competencias), qui détient les droits. Un contrat qui court encore jusqu'en 2014.

L'idée serait de transférer les droits au gouvernement, qui diffuserait les matches sur les chaînes publiques, notamment Canal 7. Et verserait pour ce faire environ 600 millions de pesos (154 millions de dollars), soit bien plus que les 268 millions que l'AFA reçoit des diffuseurs actuels.

Une réunion cruciale de l'AFA se tient mardi, qui devrait donc décider de l'avenir de la saison. Et la querelle sur les droits télévisuels sera sans doute au coeur de la réunion, rapportent les médias argentins.

Il devrait y avoir le même jour un "contre-sommet", les patrons des télés convoquant ceux des clubs dans les locaux de la TSC. Car Marcelo Bombau, patron de TyC, l'homme qui gère les droits du foot, dénonce un complot politique: pour lui, le "tsar" Grondona roule pour les Kirchner, le couple présidentiel, en guerre contre le groupe de presse Clarin, journal ennemi des Kirchner. Et comme TyC appartient au Groupe Clarin...

Quant à Sergio Marchi, il se veut quand même optimiste: il estime que la crise actuelle "soit débouchera sur une catastrophe majeure, soit sera l'occasion d'améliorer le système".